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Art : La révolution des NFT

NFT_Afroscope ©Cyber Baat DAO

Soucieux de gagner en notoriété et de défendre au mieux leurs intérêts financiers, de plus en plus d’artistes du continent se tournent vers le marché des NFT adossé à des œuvres numériques. Un segment du marché de l’art qui est aujourd’hui en forte croissance. Décryptage

Patrick Nelle

69,3 millions de dollars. C’est le montant auquel a été vendue l’œuvre numérique « Everydays : the First 5 000 Days » en mars 2021, un assemblage de dessins et d’animations réalisés quotidiennement durant 5000 jours d’affilée par l’artiste américain Beeple. Cette somme record traduit le bouleversement en cours sur le marché de l’art digital. Selon une récente étude de la société spécialisée Chainalysis, 41 milliards de dollars de transactions sur le marché des jetons non fongibles  non-fungible token » (NFT ou «non-fungible token » en anglais)- qui sont des œuvres d’art numériques liées à la technologie de la blockchain- ont été réalisées en 2021. Presque autant que les ventes comptabilisées sur le marché de l’art « conventionnel », qui tournent autour de 50 milliards de dollars par an. De fait, sur ce segment de niche, longtemps confidentiel, de plus en plus de créateurs vendent désormais des œuvres d’art immatérielles, via les NFT, qui permettent d’authentifier une création.

Pour l’artiste, la formule offre en premier lieu une meilleure protection de ses droits d’auteurs puisque les NFT étant encadrés par des contrats programmables, il peut par exemple être spécifié qu’à chaque revente ultérieure, le créateur de l’œuvre touchera des « royalties » de manière perpétuelle. Du côté des acheteurs aussi, les NFT ont des atouts à faire valoir puisqu’ils garantissent, via la certification apportée par la blockchain, l’originalité d’une œuvre, par opposition à une possible copie.

De multiples avantages

Une série d’avantages qui n’a bien évidemment pas échappé aux créateurs venus du continent, ces derniers étant de plus en plus nombreux à percer sur ce nouveau marché, à l’image des nigérians Osinachi, Niyi Okeowo, de la libano-sénégalaise Linda Dounia, du ghanéen Ahmed Partey ou encore du congolais Kashya . « La blockchain va clairement aider les artistes à garantir une meilleure sécurisation de leurs œuvres », assure ainsi Kofi Akosah, président de l’Africa Blockchain University (ABU), une organisation qui œuvre depuis sa création (en 2017) à promouvoir l’adoption de cette technologie à travers l’Afrique.  « Qu’il s’agisse des musiciens, des cinéastes, des artistes visuels, leurs œuvres ne sont actuellement pas protégées à cause des faiblesses en matière de protection de la propriété intellectuelle. Leurs œuvres sont facilement dupliquées. Mais la blockchain est conçue de telle manière que ce que vous enregistrez dessus ne peut être ni modifié, ni copié  », rappelle notre interlocuteur ghanéen, installé à l’Île Maurice.

La contrefaçon des œuvres culturelles reste de fait un fléau sur le continent, une récente étude de l’Unesco estimant par exemple à au moins 50% la part de marché de la production musicale copiée en Afrique, privant d’autant de revenus les artistes concernés.  De ce point de vue, l’authentification des œuvres apportée par les NFT rime avec la sécurisation des revenus, ce qui fait dire à Kofi Akosah que « c’est une véritable révolution puisque dans le marché de l’art actuel, une fois que l’artiste a vendu son œuvre, elle ne peut plus rien lui rapporter ».

Un secteur qui s’organise

D’ores et déjà, les artistes africains s’organisent pour tirer avantage des promesses de la blockchain. De plus en plus d’œuvres sont produites sous la forme de NFT, tandis que des communautés se créent sur les réseaux sociaux pour en assurer la promotion et la commercialisation sur certaines plateformes telles que KnownOrigin, SuperRare ou MakersPlace : « Des communautés de NFT comme Art Support peuvent être une famille pour soutenir et promouvoir les artistes, et ASS a été en mesure d’acheter et de vendre des NFT de sa communauté et au-delà. Ces derniers temps, au cours des trois derniers mois, ils ont pu réaliser plus de 100 ventes. Certaines de ces œuvres ont été collectées par des collectionneurs du monde entier et d’autres par les artistes en Afrique et au Nigeria », explique ainsi Stanley Ebonine, artiste nigérian et membre d’Art Support System, une communauté d’artistes NFT regroupant plus d’une quarantaine de créatifs.

Des événements dédiés, notamment des expositions consacrées aux artistes NFT commencent à apparaître sur le continent.  En novembre dernier, Art X Lagos, la plus grande foire d’art d’Afrique de l’Ouest, s’est associée à la plateforme NFT SuperRare pour accueillir l’une des premières expositions NFT pour les artistes africains.  Dans le même temps des acteurs de la filière, tels que Kofi Akosah de l’ABU, initient des ateliers à travers le continent pour aider les artistes à se familiariser avec ce nouvel outil. Le ghanéen était de passage au Cameroun au mois d’avril pour une session de formation, un événement qui a attiré plusieurs dizaines d’artistes. Des plateformes de vente en ligne telles qu’Open Sea, Foundation, SuperRare, Mintable, Wax, et bien d’autres, permettent aujourd’hui à de nouveaux artistes de gagner de l’argent en vendant leurs œuvres sous la forme de NFT. Ce d’autant plus que « le processus de transformation d’une œuvre d’art en NFT est aussi simple que télécharger un fichier sur son ordinateur », explique Kofi Akosah.

Coûts associés

Toutefois, ce type d’opération implique un coût non négligeable, notamment écologique, puisqu’une seule transaction en Ethereum (la devise numérique de référence pour ce type de transaction) équivaut à la consommation d’électricité journalière d’un ménage sud-africain. Plus largement, le coût économique associé à une opération en NFT dépend de la plateforme utilisée, poursuit le président de l’Africa Blockchain University. Certaines plateformes demandent un montant pour l’inscription initiale, tandis que d’autres imposent une charge sur chaque œuvre créée ou échangée: « Sur Open Sea, cela peut vous coûter de 50 à 200 dollars pour une œuvre d’art, et il est possible que vous ne la vendiez jamais. Imaginez vous-même, pour un jeune artiste africain qui cherche encore à émerger, c’est très difficile de mobiliser un tel montant », pointe du doigt Kofi Akosah, qui assure toutefois qu’il existe des alternatives, des plateformes plus récentes proposant notamment des prix beaucoup plus abordables pour pouvoir gagner en visibilité sur ce segment en forte croissance de l’art numérique.

De fait, le pari de s’exposer ainsi peut s’avérer payant, comme le prouve l’exemple du nigérian Osinachi. En octobre 2021, sept mois après la transaction record associée à l’artiste américain Beeple, le crypto-artiste nigérian Osinachi vendait, lui aussi chez Christie’s, cinq NFT pour 214 000 dollars chez Christie’s. Un record continental pour ce type de transaction et qui devrait contribuer à alimenter encore un peu plus l’intérêt des artistes africains pour le marché des jetons non fongibles.  

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