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Byju’s, un modèle indien de l’e-learning à émuler

Divya Gokulnath, co-fondatrice de BYJU'S ©BYJU'S

Entreprise de la Ed-Tech la mieux valorisée de la planète, la start-up indienne Byju’s a vu son activité exploser avec les confinements nés de la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, dans le sillage du retour à la normale, la société doit se réinventer pour pérenniser son succès. Une leçon entrepreneuriale dont pourraient s’inspirer nombre d’acteurs africains de l’e-learning.

Par Anu Raghunathan

Ces deux dernières années auront été une aubaine pour la start-up indienne Byju’s. Et pour cause, spécialisée dans les « Ed-Tech », les technologies de l’éducation, l’entreprise a profité à plein des périodes de confinement liés à l’épidémie de Covid-19 pour voir ses ventes de cours en ligne exploser. Flairant l’opportunité, les investisseurs ont afflué, et Byju’s s’est lancé dans une frénésie d’acquisitions, ajoutant de nouveaux marchés et programmes à sa gamme.  Résultat, une nouvelle levée de fonds réalisée en mars a encore fait grimper sa valorisation, à 22 milliards de dollars, ce qui fait de Byju’s la licorne EdTech la mieux valorisée de la planète. 

Aujourd’hui, l’entreprise basée à Bangalore se prépare à un retour à la normale. Les écoles ont rouvert leurs portes, les restrictions budgétaires dues à l’inflation menacent d’affecter les dépenses supplémentaires comme les frais de scolarité et nombreux sont ceux qui regardent de plus près le modèle d’apprentissage numérique. “Il n’y a absolument pas de place pour la complaisance”, affirme Divya Gokulnath, 36 ans, cofondatrice et directrice de Byju, lors d’un appel vidéo. “Nous sommes là pour le long terme”.

Byju’s poursuit une politique agressive pour compléter son offre de base, qui va de la maternelle à la terminale. Au total, depuis janvier 2021, Byju’s a investi pas moins de 2,6 milliards de dollars dans des entreprises de technologie de l’information, grâce aux 2 milliards de dollars levés pendant la pandémie auprès d’investisseurs de renom tels que Blackstone, UBS et le fonds souverain ADQ d’Abu Dhabi. Plus récemment, Great Learning, filiale de Byju’s, a acheté Northwest Executive Education de Singapour en mai pour un montant estimé à 100 millions de dollars. Great Learning, une entreprise de formation supérieure basée à Singapour, est elle-même une nouvelle acquisition, acquise en juillet dernier pour 600 millions de dollars. Byju a également déboursé environ 100 millions de dollars pour l’application autrichienne d’apprentissage des mathématiques GeoGebra en décembre. “Nous ne dépensons pas uniquement parce qu’il y a du capital”, rappelle toutefois Divya Gokulnath, qui dirige l’entreprise avec son mari, le cofondateur et PDG Byju Raveendran, avec qui elle partage une fortune de 3,6 milliards de dollars selon nos confrères de Forbes.  

Une entreprise en pleine expansion

En plus d’ajouter le codage, les compétences professionnelles et l’éducation tout au long de la vie à son portefeuille en expansion, l’entreprise renforce sa présence aux États-Unis et s’implante au Moyen-Orient. (Byju’s est le sponsor officiel de la Coupe du monde de la FIFA 2022 qui se déroulera au Qatar). Elle envisage également une introduction en bourse au cours de l’année prochaine, soit en Inde, soit aux États-Unis. “Il est encore trop tôt et nous explorons les deux voies. Mais il n’y a aucune pression pour faire l’une ou l’autre”, indique la directrice de Byju’s.

“La grande question est “Le boom de l’edtech va-t-il durer ?”, s’interroge toutefois Ganesh Natarajan, président de la plateforme d’investissement 5F World pour qui « la forte valorisation de Byju’s est difficile à justifier » dans la mesure où l’entreprise n’est pas encore profitable.  Think & Learn, la société mère de Byju, a ainsi déclaré un chiffre d’affaires consolidé de 24 milliards de roupies (325 millions de dollars) pour l’exercice clos en mars 2020, les derniers résultats disponibles, en hausse de 82% par rapport à l’année précédente. Mais dans le même temps, la holding a également affiché une perte nette  de 2,6 milliards de roupies sur l’exercice (35 millions de dollars), que les analystes attribuent aux coûts de développement commercial et de marketing. Pas de quoi inquiéter cependant Divya Gokulnath, qui ambitionne de multiplier par trois les revenus de Byju’s dès cette année. De fait, selon le cabinet spécialisé RBSA Advisors, basé à Ahmedabad, le marché indien de l’e-learning devrait être multiplié par près de dix au cours de la prochaine décennie, pour atteindre 30 milliards de dollars en 2032, stimulé notamment par l’augmentation de la pénétration d’Internet et des smartphones et par les initiatives gouvernementales.

Débuts

Il y a près de 15 ans, Divya Gokulnath s’est retrouvée devant une centaine d’étudiants à Bangalore, qui s’étaient inscrits à un cours de logique “. “C’était un sentiment exaltant », se souvient la jeune femme. Alors âgée de 21 ans, elle avait accepté d’enseigner à la demande de Byju Raveendran, qui dirigeait les cours de préparation aux examens. Enfant unique, Divya Gokulnath a grandi en s’intéressant aux mathématiques et à la biologie (son père est néphrologue et sa mère est productrice de programmes télévisés à la retraite) avant de s’orienter vers un diplôme d’ingénieur en biotechnologie dans une université de Bangalore, puis  d’opter pour un master aux États-Unis. Pour se préparer au GRE, un test d’admission aux études supérieures, elle suivit un cours de mathématiques donné par Raveendran en 2007, et en ressortit impressionnée. “Il avait une approche des mathématiques pleine de bon sens”, dit-elle. “C’était quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant”. Par la suite, Byju Raveendran l’a encouragée à donner elle-même des cours, en attendant d’avoir des nouvelles des programmes d’études supérieures pour lesquels elle avait postulé.

Mais au lieu d’être un simple passe-temps sans lendemain, cette expérience a débouché sur une décision qui a changé sa vie. Écartant les offres de l’université de Stanford et de Johns Hopkins, elle a rejoint Byju’s à plein temps en 2008, devenant l’un des huit premiers employés de l’entreprise. Raveendran et Gokulnath se sont mariés un an plus tard et, en 2011,  ont cofondé Think & Learn. Quatre ans plus tard, ils lançaient l’application d’apprentissage éponyme de Byju’s. Avec le succès que l’on sait. Partie de rien en 2015, la plateforme d’e-learning a aujourd’hui 115 millions d’élèves inscrits et 7,5 millions d’abonnés payants, les cours en ligne pour les abonnés de Byju’s commencant à 150 dollars par an.

Retour à la normale

Le retour à la normale post-Covid pourrait toutefois mettre à mal la rétention des étudiants et l’acquisition de nouveaux clients, les formules d’apprentissage numériques étant désormais vues comme moins pertinentes dans un contexte de réouverture des établissements d’enseignement. Pour Ankur Bissen, associé principal du cabinet de conseil Technopak, basé à Gurgaon, « des services de formation en ligne tels que ceux proposés par Byju’s  seront donc plus difficile à vendre ». Le secteur ressent déjà un changement (négatif) avec des licenciements dans les start-ups edtech telles que Vedantu et Unaca-demy en Inde. Face à cette nouvelle conjoncture, la directrice de Byju’s a décidé de s’orienter vers un modèle hybride comme “prochaine étape”. Depuis février, l’entreprise a ouvert 100 centres d’enseignement Byju’s dans tout le pays, qui combinent l’apprentissage en classe et l’enseignement en ligne. 400 autres devraient lancés d’ici la fin de cette année. Objectif visé : inscrire un million d’élèves et employer 10 000 enseignants, en facturant environ 50 dollars par mois et par élève. La pandémie a créé un espace pour l’apprentissage numérique et “les méthodes numériques continueront à être un aspect essentiel de la façon dont un étudiant apprend”, veut croire Divya Gokulnath, qui rappelle que “les vents contraires font partie intégrante des affaires”. Un constat de la vie entrepreneuriale aussi pertinent sous les cieux indiens qu’africains.

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