Les 2 et 3 août, Porto-Novo (Bénin) accueillait la seconde édition du Festival des Masques. Vecteur d’attractivité et de croissance, cet événement situé à la croisée du cultuel et du culturel comptait cette année de nombreuses personnalités comme Lauryn Hill (ex-Fugees) qui vient, elle aussi, de faire le choix du Bénin, un pays en quête de réparation mémorielle…Reportage
Par Marie-France Réveillard
« C’est la première fois que je participe au Festival des Masques de Porto-Novo. Je suis curieux des cultures étrangères et j’ai beaucoup appris pendant cet événement », explique Yannick, 34 ans, musicien et créateur de contenu canadien, de père béninois et de mère gambienne, qui parcourt le pays depuis trois semaines. Basé à Montréal, le jeune homme est impressionné par la profusion de couleurs et de sensations véhiculées tout au long de ce grand rendez-vous proposé au cœur de la capitale politique béninoise. « J’ai beaucoup aimé les danses et les costumes et cela m’a donné envie d’en savoir plus sur les coutumes nationales », ajoute sa compagne Sabrina, 29 ans, designer canadienne.

En 2024, le Festival des Masques de Porto-Novo avait accueilli plus de 40 000 personnes lors de sa première édition. Cette année, les organisateurs annoncent quelque 60 000 visiteurs. Toutes les places de la ville ont été réquisitionnées. Entre spectacles culturels et enseignements cultuels, le programme fut riche et varié. De nombreux artistes et artisans locaux se sont joints aux festivités. C’était notamment le cas de Paul Kileyi, qui enchaîne les explications sur la fabrication des masques, derrière son stand placé sur l’Esplanade de l’Assemblée nationale. Spécialiste du raphia, l’artisan a senti l’opportunité de générer de nouveaux revenus autour de ce rendez-vous populaire. « Il y a un an, j’ai vu un artisan burkinabé qui fabriquait des masques en raphia, et ça se vendait bien. Je me suis dit que c’était une bonne idée. Avant je ne faisais que des sacs, des paires de chaussures et des tabourets. Aujourd’hui je peux faire des masques pour les touristes, même si j’en réalise aussi sur commande pour les couvents », explique-t-il. Malgré les ressemblances entre les objets destinés aux touristes et les masques sacrés, il existe pourtant une grande différence. « Les masques rituels sont réalisés en cachette dans les couvents. Il y a un secret autour de leur fabrication qui ne doit pas être révélé sous peine de malédiction », ajoute-t-il.
« Les masques rituels sont réalisés en cachette dans les couvents. Il y a un secret autour de leur fabrication qui ne doit pas être révélé sous peine de malédiction »
Un masque sacré se vend bien. C’est le prix du secret qui représente jusqu’à deux mois de salaire et dont la confection peut prendre huit semaines, à condition d’être initié. En revanche, un masque destiné aux touristes est confectionné en quelques heures seulement et peut être cédé à partir de 5 000 francs CFA (soit 7,6 euros). « Vendre des masques sur le festival, c’est rentable, car les touristes aiment ramener des souvenirs chez eux », explique Paul, qui multiplie les démonstrations avec une certaine dextérité. Pour Wendy Mekaptué aussi, le festival est synonyme de bonnes affaires. La manager de l’hôtel 4 étoiles ART Residence de Porto-Novo se réjouit de l’affluence des visiteurs. « Nos chambres sont réservées depuis plus d’un mois et nous affichons complet à chaque repas », confie-t-elle.

Un Rendez-Vous Générateur de Croissance
« Pendant la période de la traite négrière, les pratiques cultuelles nées au Bénin se sont exportées à travers le monde. Aujourd’hui, le Festival des Masques permet de revenir à la source. Cet événement recouvre une dimension cultuelle, culturelle mais aussi économique, avec l’arrivée de touristes. Nous avons rénové les principales places de Porto-Novo, amélioré l’assainissement et les voiries. C’est un travail de longue haleine que nous allons poursuivre pour faire de ce festival un rendez-vous répondant aux standards internationaux. Près d’un milliard de francs CFA (plus de 1,5 million d’euros) a été mobilisé pour la rénovation des places de la ville et environ 6 milliards de francs CFA (plus de 9 millions d’euros) pour améliorer l’assainissement », explique Charlemagne Yankoty, le maire de Porto-Novo.

” Cet événement recouvre une dimension cultuelle, culturelle mais aussi économique, avec l’arrivée de touristes”
Dans les rues de la cité au charme suranné, les commerçants s’activent pour répondre aux demandes des visiteurs. En temps ordinaire, la ville compte environ 400 000 habitants mais ce nombre grimpe de 10 % environ pendant les festivités. «Pour accueillir les visiteurs, nous allons renforcer nos capacités d’accueil. Plusieurs projets hôteliers sont en cours de discussion, dont un avec la chaîne Golden Tulip Hôtels. Par ailleurs, la mairie multiplie les initiatives avec des résidences privées pour accueillir des festivaliers dans des maisons d’hôtes. Les touristes recherchent aujourd’hui l’authenticité », ajoute le maire. Cependant, en dépit de quelques projets consécutifs à l’afflux de touristes pendant le festival, l’essentiel des capacités hôtelières restera concentré à Cotonou, le poumon économique du pays situé à une demi-heure de la capitale politique béninoise.
“En temps ordinaire, la ville compte environ 400 000 habitants mais ce nombre grimpe de 10 % environ pendant les festivités”
« Nos rendez-vous événementiels permettent de mieux faire comprendre le vaudou (du mot Fon « Vodun », qui signifie esprit ou divinité) aux Béninois et aux visiteurs. Les Vodun Days représentent l’Acte I de ce programme de valorisation de notre patrimoine immémoriel. Ces rencontres se tiennent en janvier à Ouidah. Le Festival des Masques de Porto-Novo représente l’Acte II de cette stratégie », souligne Jean-Michel Hervé Abimbola, le ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts qui porte les ambitions touristiques nationales. Le Bénin prévoit une contribution du secteur de 13,6 % dans le PIB, à l’horizon 2030. « Selon nos derniers chiffres, nous sommes à 6 % », précise le ministre, qui a récemment revu ses chiffres à la hausse. « Depuis peu, nous disposons d’outils statistiques grâce à l’ONU-Tourisme et au financement de la Banque mondiale. Nous avons corrigé nos données de 2019, où nous pensions recevoir 400 000 visiteurs par an. Or, nous étions déjà à 1,6 million de visiteurs à cette époque. Tous nos chiffres sont en train d’être rectifiés », ajoute-t-il.
Pour promouvoir son patrimoine, le Bénin n’a pas lésiné sur les moyens, investissant 1 250 milliards de francs CFA (environ 2 milliards d’euros) sur la décennie 2016-2026. « Pour 2025-2029, nous allons investir 900 milliards de francs CFA supplémentaires (plus de 1,3 milliard d’euros, NDLR) », annonce le ministre.
” Pour promouvoir son patrimoine, le Bénin n’a pas lésiné sur les moyens, investissant 1 250 milliards de francs CFA (environ 2 milliards d’euros) sur la décennie 2016-2026 “
En pleine phase de renforcement des capacités locales (écoles dédiées aux métiers du tourisme et universités dotées de filières spécialisées), la stratégie conduite par le gouvernement commence à porter ses fruits. « En termes d’emplois générés, nous avions la perspective de créer 800 000 emplois sur une décennie, selon nos premières études, mais cet objectif va également être revu à la hausse », se félicite-t-il.
” C’est toute une économie qui se construit autour de ces événements liés à notre culture et à nos traditions “
« Les retombées économiques sont considérables, que ce soit à Ouidah ou à Porto-Novo. Pendant ce type d’événements, les gens circulent et donc ils doivent alimenter leur véhicule en carburant et parfois payer un péage. Ils se restaurent, se logent, achètent des souvenirs… Pendant les trois jours des Vodun Days, les commerçants réalisent leur chiffre d’affaires annuel. C’est toute une économie qui se construit autour de ces événements liés à notre culture et à nos traditions », souligne Wenceslas Adjognon, le directeur de Projet du Festival des masques et Directeur de Projets pour le compte de Bénin Tourisme.
À la Croisée du Cultuel et du Culturel !
« Cette année, le festival est porté par l’Agence Bénin Tourisme. Cinq places publiques situées au cœur de la ville ont été réservées aux expressions des masques sacrés, tandis que le Village des festivités (face à l’Assemblée nationale) expose les masques profanes au grand public », explique Wenceslas Adjognon.« Des ingénieurs de l’événementiel, ainsi qu’une centaine de bénévoles, ont été mobilisés. Nous avons organisé la circulation dans la ville en mettant des tricycles et des navettes à disposition des touristes gratuitement, grâce à un partenariat avec la société Gozem. Nous attendons 60 000 festivaliers cette année. Cet afflux de visiteurs va renforcer les investissements à Porto-Novo, tout en générant de l’emploi », se félicite-t-il.
“La grande procession des masques du dimanche 3 août, qui a rassemblé plusieurs milliers de spectateurs, fut le point d’orgue de cette édition 2025”
Au lendemain des soixante-cinq ans de l’indépendance nationale (le 1er août 2025), célébrés en grande pompe à Cotonou, en présence de nombreuses personnalités, Porto-Novo a pris le relais des festivités. Pendant 48 heures, la ville fut investie par les curieux qui se sont réunis jusque tard dans la nuit, lors de concerts gratuits qui proposaient les performances d’artistes comme Fanicko ou Zeynab Habib. La grande procession des masques du dimanche 3 août, qui a rassemblé plusieurs milliers de spectateurs, fut le point d’orgue de cette édition 2025.
Contrairement aux Vodun Days (400 000 spectateurs en 2025), le Festival des Masques recouvre aussi une dimension scientifique, grâce à l’organisation d’un colloque scientifique. Cette année, il était destiné à mieux comprendre les pratiques de l’art divinatoire du Fâ. « Pour cette édition, nous avons travaillé avec 35 prêtres du Fâ venant du Togo, du Nigéria et du Bénin. Notre Comité, qui compte une cinquantaine de membres, se penche déjà sur la thématique de 2026 », indique Mahougnon Kakpo, professeur d’études africaines à l’Université d’Abomey-Calavi, président du Comité des rites Vodun du Bénin et président du Comité scientifique.« Le Fâ est le socle des humanités classiques des peuples vivant dans le Golfe de Guinée. Ce matin (2 août 2025), Monsieur Abimbola, le ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts, a annoncé la création d’un centre de formation et d’interprétation du Fâ qui s’inscrit dans une perspective de rationalité scientifique. On ne naît pas prêtre du Fâ, on le devient, et cela relève d’un apprentissage approfondi », ajoute-t-il.
“On ne naît pas prêtre du Fâ, on le devient, et cela relève d’un apprentissage approfondi”
Ce centre de formation et d’interprétation du Fâ comprendra, à terme, des pôles de recherche scientifique et de documentation, une bibliothèque, des salles de conférences, ainsi qu’un auditorium. Avec le Musée International du Vodun, projet-phare du Programme d’Actions du Gouvernement (PAG) béninois qui devrait ouvrir ses portes début 2026, ce centre représente une nouvelle étape pour faire rayonner le patrimonial national à Porto-Novo.
Un Softpower Renforcé Contre les Stéréotypes Liés au Vaudou
« Dans certains pays, lorsque vous dites que vous êtes Béninois, cela est considéré comme une menace. Nous devons déconstruire les préjugés négatifs en réhabilitant le vaudou », explique le ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts du Bénin, eu égard aux stéréotypes qui entourent encore la mystérieuse religion née dans le Golfe de Guinée, avant de s’exporter pendant la traite négrière. « L’ouverture en début 2026 du musée international du vaudou à Porto-Novo permettra de comprendre la mécanique de la religion », ajoute-t-il.
« Venu évangéliser les peuples avec la Bible, le colonisateur a véhiculé une image négative du vaudou. Découvrant que les colonisés avaient déjà leur propre culture, il a déclaré que celle-ci était mauvaise, qualifiant nos pratiques de fétichisme dont il fallait se débarrasser. Le mot « fétiche » provient du portugais « feitiço » qui signifie « artificiel » et qui devint « sortilège » par extension. Notre religion fut associée à la sorcellerie qui nous conduirait en enfer. Seule la Bible nous ouvrirait les portes du paradis. Plus tard, Hollywood a inventé des pratiques associées à des poupées dans lesquelles on plantait des pics pour jeter des sorts, ce qui est tout à fait contraire au vaudou qui protège la vie » tient à rappeler le professeur Mahougnon Kakpo.
Dans les rues de Porto-Novo, les divinités vaudou circulent et interpellent les passants. À côté de l’aspect ludique, « le sacré reste aux Béninois », assure toutefois Ismaël Fatoumbi qui est le président de la Fédération des adeptes du culte Egun-gun (célébrant le culte des ancêtres), de Porto-Novo (Facep). « Nous donnons aux visiteurs des clés pour mieux
comprendre notre culture, mais à aucun moment nous ne révélons nos secrets », explique -t-il. « Si je n’étais pas convaincu par ce festival, je ne serais pas ici. C’est une opportunité de faire connaître le vaudou », ajoute le dignitaire Medegan Fagla Léopold, à ses côtés.
“De nombreuses zones restent fermées au public qui n’a pas accès aux divinités. Il faut être initié et purifié pour y accéder”
« Cet événement est strictement culturel. De nombreuses zones restent fermées au public qui n’a pas accès aux divinités. Il faut être initié et purifié pour y accéder (…) Les cathédrales sont ouvertes aux non-croyants, mais ce n’est pas pour cela que tout le monde peut y pratiquer des messes. C’est la même chose ici », explique Eloi Agbo, l’administrateur du célèbre Temple des Pythons de Ouidah, qui avait fait le déplacement dans la capitale pour participer au colloque intitulé « Le Fâ, introduction à une épistémologie ».
Le festival a donc permis aux visiteurs étrangers de se familiariser avec le Fâ et avec les pratiques vaudou, mais il a également participé à renforcer la connaissance des Béninois eux-mêmes sur leur patrimoine immatériel. C’est le cas de la jeune Ifadath, 22 ans, qui travaille pour Africa Tours Safari, une agence de voyages basée à Cotonou, et qui a longtemps craint le culte vaudou Oro (chargé de chasser les mauvais esprits). « Quand j’étais petite et que j’entendais le bruit des tambours à la nuit tombée, je savais qu’il ne fallait pas sortir. On se barricadait en éteignant les lumières, car si le Oro apercevait de l’activité quelque part, il passait et repassait devant la maison en tapant bruyamment sur des casseroles pour nous menacer. Ma grand-mère m’avait dit un jour que s’il nous attrapait, il nous battrait avec force et ferait de notre peau un tambour », se souvient la jeune femme.
“Le festival a également participé à renforcer la connaissance des Béninois eux-mêmes sur leur patrimoine immatériel”

Lauryn Hill, Nouvelle Égérie Afro-Descendante du Bénin
Dans la nuit du 31 juillet, c’était l’effervescence à l’aéroport international de Cotonou, fraîchement rénové. Après l’annonce de nouveaux ambassadeurs thématiques auprès des Afro-descendants états-uniens le 23 juillet (Spike Lee et son épouse Tonya Lewis Lee), puis la venue de la chanteuse américaine Ciara qui recevait son attestation de nationalité béninoise le 26 juillet dernier, une nouvelle star américaine devrait encore renforcer l’attractivité de la « destination Bénin ». En effet, la stratégie nationale ne s’arrête pas à l’aspect culturel, elle recouvre aussi une dimension politique liée à la réparation mémorielle…
“La stratégie nationale ne s’arrête pas à l’aspect culturel, elle recouvre aussi une dimension politique liée à la réparation mémorielle”
Ainsi, le 31 juillet au soir, de nombreux journalistes et photographes attendaient Lauryn Hill, la chanteuse de hip-hop et ex-star du groupe américain Fugees, à sa descente d’avion, en quête d’interview, mais la star ne pipera mot pendant son séjour. À la tribune d’honneur pendant la fête nationale du 1er août, face à l’esplanade qui entoure la Statue de l’Amazone (devenue un rendez-vous incontournable des Cotonois), et aux côtés du président Patrice Talon lors de la grande procession des masques du 3 août à Porto-Novo, l’artiste attira pourtant tous les regards. La chanteuse n’était pas venue “performer” lors du festival mais pour un retour aux sources africaines, de quoi alimenter les conjectures sur une future possible demande de nationalité béninoise… Pour l’heure, il n’en est rien selon les autorités.
“La chanteuse Lauryn Hill n’était pas venue pour « performer » lors du festival, mais bel et bien pour demander la nationalité béninoise”

« Nous lançons une communication forte envers les Afro-descendants d’Amérique où il y a un énorme potentiel, mais nous ne le faisons pas de façon exclusive. Les pays d’Europe et des Caraïbes notamment, sont concernés », explique le ministre Jean-Michel HervéAbimbola. « Quelles que soient les origines des Afro-descendants de la diaspora, ils sont légitimes pour demander la nationalité béninoise par reconnaissance. Nous sommes dans un devoir moral de responsabilité vis-à-vis de l’Histoire, car les torts sont partagés. Pour qu’il y ait eu des acheteurs, il a bien fallu des vendeurs. Nous assumons l’universalité de ce qu’il s’est passé », affirme-t-il.
Après le couple Thuram l’année dernière, Ciara, Lauryn Hill et Claudy Siarr (animateur vedette de Radio France Internationale) aujourd’hui, il se murmure que d’autres personnalités annonceront bientôt leur intention d’acquérir la nationalité béninoise…

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