Comment rendre les économies africaines plus résilientes ? C’est l’objectif de la Société financière internationale (SFI), branche chargée du secteur privé au sein du Groupe de la Banque mondiale, qui élabore des outils innovants pour aider le secteur financier et les entrepreneurs à mieux faire face aux contraintes liées au marché. Les explications d’Aliou Maiga, directeur chargé des institutions financières pour la région Afrique.
Forbes Afrique : De quelle façon la SFI contribue-t-elle à renforcer la résilience du secteur financier africain, afin de soutenir une croissance inclusive et durable à long terme ?
Aliou Maiga : Pour le secteur financier, la résilience consiste à garantir que les banques puissent continuer à prêter même en période difficile. C’est une priorité pour nous. Nous travaillons avec les prêteurs pour améliorer la gestion des risques tout en renforçant leur gouvernance et leurs capacités, afin que les chocs – économiques ou environnementaux – ne freinent pas l’accès au financement.
À titre d’exemple, citons les mécanismes de partage des risques que la SFI a lancés en mars 2025, dans le cadre de sa plateforme de financement des micro, petites et moyennes entreprises (MPME), avec Société Générale Côte d’Ivoire, la Société ivoirienne de banque et Bridge Bank Group Côte d’Ivoire. Chaque mécanisme couvre 50 % du risque de crédit des portefeuilles de PME – étendus à des secteurs clés, notamment l’agriculture et le commerce – et comprend des incitations à la performance pour soutenir spécifiquement les entreprises dirigées par des femmes. Ceci permet aux banques de continuer à proposer des prêts aux PME, même dans un contexte économiquement difficile.
D’autres secteurs, et notamment le financement du commerce, ont bénéficié de mécanismes similaires, tel que celui mis en place avec la banque Zemen en Éthiopie, et financé à hauteur de 20 millions de dollars par la SFI dans le cadre du « Global Trade Finance Program- Africa Trade and Supply Chain Finance Recovery Initiative » (GFTP-ATRI). Ce programme aide les PME à maintenir leurs opérations transfrontalières malgré les défis du marché.
Comment la SFI agit-elle pour mobiliser davantage d’épargne domestique vers des investissements productifs et renforcer les marchés financiers locaux ?
A. M. : Des canaux plus efficaces pour transformer les capitaux nationaux en investissements : c’est une condition clé pour la croissance de l’Afrique. Le rôle de la SFI est d’aider à créer ces canaux – en soutenant la titrisation, l’émission d’obligations durables, et les marchés de capitaux locaux. Nous travaillons avec le reste du Groupe de la Banque mondiale sur des réglementations permettant aux investisseurs institutionnels, aux émetteurs et aux régulateurs d’améliorer la disponibilité de capitaux à long terme.
« Des canaux plus efficaces pour transformer les capitaux nationaux en investissements : c’est une condition clé pour la croissance de l’Afrique »
Au Maroc, en 2017, nous avons été l’investisseur de référence pour la première obligation verte de la Banque centrale populaire (BCP), avec un engagement de 100 millions d’euros. En contribuant à démontrer que les banques du continent pouvaient lever des capitaux par le biais d’instruments bien structurés et durables, la transaction a révélé un fort appétit des investisseurs pour les émetteurs africains. La SFI a structuré de nombreuses opérations inédites sur les marchés de capitaux d’emprunt dans le cadre de « J-CAP », un programme conjoint Banque mondiale-SFI visant à développer les marchés de capitaux nationaux et régionaux dans les pays émergents.
« Au Maroc, en 2017, nous avons été l’investisseur de référence pour la première obligation verte de la Banque centrale populaire (BCP), avec un engagement de 100 millions d’euros »
Les PME et les femmes entrepreneuses en Afrique se heurtent à des obstacles persistants en matière de financement. Quel rôle joue la SFI pour les aider à se développer et à s’intégrer aux chaînes de valeur régionales ?
A. M. : Pour se développer, les PME ont besoin d’un écosystème qui soutient leur développement et leur croissance ainsi que leur intégration dans les chaînes de valeur. Notre objectif est d’aider à construire ces écosystèmes aux niveaux national, régional et mondial.
Par le biais de la Plateforme de financement des MPME, nous avons aidé des banques africaines à élargir leur clientèle aux entreprises dirigées par des femmes et aux petites structures. Au Nigéria, la facilité de 50 millions de dollars que nous avons accordée à First City Monument Bank (FCMB) en 2020 a permis à des PME d’accéder à des fonds de roulement pendant la pandémie. Plus récemment, la SFI a octroyé un prêt de 30 millions de dollars à BNI Madagascar, pour élargir les prêts aux MPME – notamment celles détenues par des femmes – dans un marché où le déficit de financement atteint 2,6 milliards de dollars.
« La SFI a octroyé un prêt de 30 millions de dollars à BNI Madagascar, pour élargir les prêts aux MPME – notamment celles détenues par des femmes – dans un marché où le déficit de financement atteint 2,6 milliards de dollars »
Nous venons aussi de publier le MSME Handbook, un guide pratique pour aider les institutions financières à concevoir de meilleurs produits destinés aux PME. L’objectif est d’intégrer davantage de petites entreprises dans les chaînes de valeur régionales, pour ainsi créer des emplois et diversifier les économies.
Quelles sont les priorités de la SFI pour parvenir à constituer des portefeuilles de projets bancables et créer les conditions favorisant les investissements privés à grande échelle dans des secteurs comme l’agriculture ou le numérique ?
A. M. : Souvent, le défi n’est pas le manque de capitaux, mais l’absence de projets considérés comme suffisamment mûrs par les investisseurs. La constitution de ce pipeline est donc au cœur de l’action du département Institutions financières (FIG) de la SFI. Nous travaillons pour étendre le crédit aux secteurs mal desservis, en améliorant la réglementation, en renforçant les capacités si nécessaire, en structurant les transactions bancables et en montrant aux investisseurs qu’il existe bel et bien des opportunités viables.
La facilité de partage des risques pour les PME que nous avons mise en place en Afrique du Sud avec FirstRand Bank, à la suite d’une mission de conseil, illustre bien notre approche. En Égypte, la SFI a investi dans la finance durable auprès de la Commercial International Bank, d’abord en 2021 en soutenant la première obligation verte du secteur privé égyptien avec un investissement de 100 millions de dollars, puis à nouveau en 2023, par le biais d’une enveloppe de 250 millions de dollars visant à étendre les prêts aux énergies renouvelables, aux bâtiments écologiques et à d’autres projets. La SFI travaille également activement à développer des solutions de finance durable à travers l’Afrique en tirant parti des technologies agricoles, qui ont beaucoup progressé au cours de la dernière décennie.
« En Égypte, la SFI a investi dans la finance durable auprès de la Commercial International Bank, d’abord en 2021 […] puis à nouveau en 2023 »
Et lors de forums régionaux et mondiaux – de l’Africa Energy Forum au Global SME Finance Forum en passant par l’Africa Financial Summit –, nous mettons en exergue ces efforts qui démontrent aux investisseurs qu’émergent aujourd’hui des projets crédibles, bancables et pouvant être déployés à grande échelle.
L’agriculture est au cœur des économies africaines. Comment la SFI travaille-t-elle avec les AgTechs et les institutions financières pour développer des solutions innovantes qui renforcent la sécurité alimentaire ?
A. M. : L’agriculture est au cœur des économies africaines : elle fournit des emplois à environ la moitié de la main-d’œuvre du continent et joue un rôle essentiel pour la sécurité alimentaire. Pourtant, le secteur est confronté à d’importants déficits de financement, les banques n’allouant généralement qu’une petite partie de leurs prêts au secteur. Combler ces écarts est une priorité pour la SFI et le Groupe de la Banque mondiale dans son ensemble, qui s’efforce de transformer le financement de l’agroalimentaire grâce aux partenariats public-privé, aux innovations numériques et aux pratiques durables. La SFI est à l’avant-garde du développement de nouveaux modèles de financement agricole, en soutenant des AgTech qui facilitent l’accès des agriculteurs aux intrants, aux services mécanisés, aux marchés et au financement.
« Le Groupe de la Banque mondiale dans son ensemble […] s’efforce de transformer le financement de l’agroalimentaire grâce aux partenariats public-privé, aux innovations numériques et aux pratiques durables »
Ainsi, au Maroc, une plateforme numérique met en relation les petits exploitants agricoles avec les fournisseurs et les acheteurs d’intrants, et réduit les risques pour assurer le financement. Au Sénégal, la digitalisation de la distribution des subventions agricoles aide le gouvernement à mieux cibler ses interventions. Et au Nigéria, des solutions technologiques à guichet unique émergent pour fournir un service complet aux agriculteurs. Le résultat : un écosystème qui stimule la productivité agricole pour les petits exploitants, les transformateurs et les marchés, de manière à améliorer les rendements et les revenus des agriculteurs, tout en renforçant leur résilience face aux chocs. Tout ceci crée des opportunités – et c’est bien ce que nous faisons à la SFI.

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