Le média de ceux qui construisent l'Afrique d'aujourd'hui et de demain

Alexandre Bonneau met la photo à l’ère du Web 3.0

©Julia Mula Olmos

Permettre aux entreprises évoluant en Afrique d’avoir un unique prestataire pour la création de leurs images sur le continent : c’est ce que propose Afroto, plateforme qui réunit les meilleurs photographes et vidéastes locaux. Alexandre Bonneau est le fondateur de ce service déjà actif dans une quinzaine de pays. Portrait d’un jeune homme inspirant.

Par Harley McKenson-Kenguéléwa

« Notre ambition est de construire un véritable écosystème dédié aux photographes et vidéastes, au cœur duquel se trouveront une multitude d’applications, d’outils et de services. Et nous voulons aller très loin. »  Fondateur de la plateforme de services photographiques Afroto, Alexandre Bonneau porte un regard résolument neuf sur les problèmes que rencontre le secteur de la photographie en Afrique. Et il propose des solutions en tous points créatives à l’attention des professionnels de cet univers, qu’il connaît parfaitement bien. 

Alexandre Bonneau, fondateur & CEO de la plateforme ©Afroto

Un compétiteur hors norme

Ce grand gaillard (1 mètre 90) serait-il tombé dedans quand il était petit ? On pourrait le croire au premier abord. Plein d’entrain et de vivacité, il se dégage de sa personne une spontanéité et une « niaque » qui rendent tout à fait crédible sa quête de réussite. Pour preuve, l’avalanche de commentaires positifs issus de clients ou d’utilisateurs particulièrement satisfaits de la plateforme Afroto. Ainsi de Jill Gross, responsable de programme pour l’association internationale Grdr Migration, qui considère Afroto comme un site regorgeant de « nombreuses variétés d’images de qualité, adaptées au contexte et aux réalités de chaque utilisateur ». Marie Lechapelays, chargée de la communication et du plaidoyer au sein de l’organisation médicale humanitaire ALIMA (The Alliance for International Medical Action), dont le siège est à Dakar, estime de son côté que « le site Web conjugue un design esthétique et un accès rapide aux informations essentielles ». Interrogée sur les photos produites par Afroto, elle les qualifie de « parlantes, émouvantes, conformes au niveau d’exigence et de qualité souhaité ». Même son de cloche chez Mouslim Sidi Mohamed, employé de la Banque mondiale au Niger, pour qui  « Afroto donne brillamment vie aux photos, offrant un résultat éclatant, avec une recherche graphique qui ravit l’œil ». Philippe Chereau, directeur de l’incubateur SKEMA Ventures, fait valoir, pour sa part, que « les photos d’Afroto ont du sens et sont inspirantes, sincères. La plateforme en ligne est didactique, en phase avec les attentes de sa clientèle ». 

Pour en arriver là, il aura fallu à Alexandre Bonneau des qualités exceptionnellesIsmaël D. Hima, ancien camarade de lycée et ami, loue ainsi « le côté créatif » du jeune entrepreneur et assure qu’il « parvient toujours à se sortir de situations extrêmement difficiles ». Jill Gross, qui en 2020 s’est trouvée en mission de volontariat avec Alexandre, au Niger, évoque une personne « bienveillante, positive, déterminée et très impliquée dans ses initiatives professionnelles ». Abdoul Aziz Amadou, un autre ancien camarade de lycée et ami, poursuit : « C’est surtout un jeune homme d’un tempérament fonceur et plein d’énergie… qui parfois ne sait pas où arrêter ses efforts ». Nul doute que ces traits de caractère sont ceux qui ont permis à Alexandre Bonneau de développer son projet et de maintenir la pérennité de son activité. 

Du sport à la photographie

Né à Sèvres, près de Paris, d’un père français employé d’ambassade et d’une mère au foyer d’origine togolaise, issu d’une fratrie de trois enfants, Alexandre Bonneau passe son enfance entre Meudon, Madagascar, Arcueil, Tarbes et le Chili. À cette époque, il affiche déjà son indépendance face aux conventions et supporte mal la hiérarchie. « J’étais très sage à la maison, mais je ne supportais pas de me conformer aux règles de l’école, raconte-t-il. En classe, j’avais constamment des problèmes de comportement, notamment au collège ». À la faveur d’un déménagement à Niamey (Niger) en 2010, il rejoint le lycée international La Fontaine. C’est durant cette période que le jeune homme cultive « la culture de la gagne », qu’illustre cette anecdote racontée par son ami Ismaël D. Hima : « Un jour, nous participions à une compétition de basket, l’un contre l’autre. Alors que mon équipe menait au score, Alexandre, totalement furieux, a décidé de quitter le terrain, sans rien dire, pour rentrer chez lui […]. Il pouvait s’emporter momentanément, mais ne gardait aucune rancune ». Déjà la volonté farouche de gagner, quel qu’en soit le prix ! En tout cas, son côté « électron libre » ne l’empêche nullement d’obtenir, en 2013, un baccalauréat scientifique. S’adonnant au basket depuis sa plus tendre enfance, il envisage alors une carrière professionnelle. Mais le manque criant d’infrastructures et d’encadrement sportifs au Niger le convainc de renoncer. Le passionné de sport qu’il est décide de retourner en France, où il décroche, en 2016, une licence STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives), dans le but de créer plus tard, sur le continent, un Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP). En raison du « côté obscur de l’industrie du sport » (dixit Alexandre), le projet, très ambitieux, ne verra finalement pas le jour. C’est donc vers son autre passion, la photographie, que se tourne le jeune homme qui décide, en parallèle, de préparer des concours d’entrée aux écoles de commerce.

Cette quête d’excellence ne se fait pas sans sacrifices. Abdoul Aziz Amadou se souvient : « Pour financer l’achat de son premier appareil photo professionnel, qui d’ailleurs lui sera dérobé dans la foulée, Alexandre devait mener de front ses études et un métier de chauffeur-livreur en restauration ». Mais l’entrepreneur en herbe a en lui une inépuisable rage de vaincre. « Cristiano Ronaldo, Lebron James et Rafael Nadal m’inspirent au plus haut point, nous confie-t-il. Je me nourris du meilleur de chacun de ces sportifs. La culture de l’excellence, la résilience et l’audace de ces personnalités me conduisent perpétuellement au dépassement de soi ».

Le soutien de SKEMA Ventures

Heureusement pour lui, cette traversée du désert n’est que de courte durée : en 2018, il intègre la SKEMA Business School, au campus de Sophia-Antipolis. Et déjà, c’est un projet photographique qu’il y fait incuber : baptisé La Fabrique De Souvenirs, son but est d’aider les utilisateurs à co-créer leurs photos afin d’améliorer leur image en ligne ou de construire des souvenirs.

Toutefois, mener un projet en solo ne lui convient pas. L’ancien pratiquant de basket se sait doté d’un sens aigu du collectif, qu’il compte bien mettre à profit. Philippe Chereau, directeur de l’incubateur SKEMA Ventures, observe : « Lors de l’incubation de son projet La Fabrique de Souvenirs, Alexandre a démontré une capacité à se confronter à la réalité du terrain afin de pouvoir co-construire avec les prescripteurs. Pour son âge, j’ai trouvé que c’était la preuve d’une très grande maturité. Même s’il n’avait pas de collaborateurs à cette époque, on sentait dans sa réflexion une approche collaborative, notamment pendant les bootcamps auxquels nous participions. Il avait l’envie de partager avec les autres ou d’enrichir leurs idées à partir de ses propres contributions ». Toujours dans le cadre de ses études, il retourne au Niger pour travailler au CIPMEN (Centre Incubateur des Petites et Moyennes Entreprises du Niger), comme chargé d’appui Fundraising. L’occasion pour lui de poursuivre le processus de maturation de son projet. 

Finalement, l’aspirant entrepreneur décroche un Programme Grande École (Bac+5) et un master Entrepreneurship & innovation. De plus, son statut de porteur de projet incubé chez SKEMA Ventures lui a permis tout à la fois de bénéficier d’un encadrement solide, de parfaire ses compétences en management et gestion d’entreprise, d’améliorer son aisance à l’oral, de tester son concept et, surtout, de se remettre en question.

Opérant déjà sur 18 pays d’Afrique, Afroto travaille en collaboration avec 300 photographes et vidéastes. 

Valoriser les métiers de l’audiovisuel

Ainsi est-ce cet exercice profond d’autocritique qui l’amène à fermer définitivement La Fabrique de Souvenirs… pour développer un projet bien plus élaboré. Il s’y attelle dès son retour à Niamey, au courant de l’année 2020. Alexandre part d’un double constat : la faible attractivité des revenus perçus dans les métiers de la photographie, mais aussi le mépris affiché vis-à-vis de leurs professionnels. « J’ai rapidement compris que l’idée était de pouvoir digitaliser les métiers audiovisuels sous toutes leurs formes et d’apporter un maximum de revenus décents à ceux que j’appelle les AfroCréateurs ». Dès lors, sa vocation est trouvée : il s’agira de redonner leurs lettres de noblesse à ces métiers, tout en générant un réel impact socio-économique. Ainsi naît, en novembre 2020, l’entreprise Afroto. Aujourd’hui, Alexandre Bonneau pilote son business depuis Cotonou au Bénin, où il s’est installé en septembre 2022. Opérant déjà sur 18 pays d’Afrique, Afroto travaille en collaboration avec 300 photographes et vidéastes. « Nous avons réalisé un chiffre d’affaires d’environ 100 000 euros les deux premières années », dévoile le chef d’entreprise, qui est désormais épaulé par un directeur des nouvelles technologies, un ingénieur en logiciel, un réalisateur-monteur et une motion-designeuse. « 80 % de nos revenus sont issus de clients institutionnels, grandes sociétés et ONG, souligne Alexandre. Lorsqu’on lui demande les raisons de sa réussite, le jeune patron déclare sagement : « Afroto est capable de générer du contenu en volume, avec l’appui de professionnels qui maîtrisent les langues et contextes locaux ». Pas question pour autant de qualifier la plareforme de « Shutterstock africain », même s’il reconnaît qu’il songe de plus en plus à s’inspirer de ce modèle d’affaires : « Notre service est à la demande. Nous créons donc les images pour nos clients et ces images leur appartiennent. De ce fait, nous ne pouvons pas les revendre. Toutefois, tout comme Shutterstock, nous donnerons bientôt l’occasion aux photographes et vidéastes les plus talentueux de vendre leurs images libres de droits sur notre plateforme ».

www.afroto.com

Partager l’article


Ne manquez aucun de nos articles.

Inscrivez-vous et recevez une alerte par email
à chaque article publié sur forbesafrique.com

Bonne lecture !

Profitez de notre abonnement illimité et sans engagement pour 5 euros par mois

√ Accédez à tous les numéros du mensuel Forbes Afrique de l'année grâce à notre liseuse digitale.
√ Bénéficiez de l'accès à l'ensemble des articles du site forbesafrique.com, y compris les articles exclusifs.