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Edem d’Almeida, l’homme qui construit l’Afrique avec des déchets

Au Togo, les déchets deviennent désormais des matières premières, grâce au Franco-Togolais Edem d’Almeida, qui dirige depuis 2013 la société Africa Global Recycling (AGR), entreprise de collecte et de valorisation des déchets. Sur le continent africain, il fait aujourd’hui la fierté des jeunes éco-entrepreneurs.

Par Blamé Ékoué – Paru dans l’édition N°72

Arrivé en France au début des années 2000, Edem d’Almeida y découvre le concept de développement durable et, très vite, s’intéresse à la problématique de la valorisation des déchets. En 2005, il est embauché chez Suez Environnement, où il s’occupe du développement commercial et de l’approvisionnement d’un centre de valorisation de déchets industriels. Trois ans plus tard, il rejoint le groupe Samsic (un groupe familial dont le métier originel est la propreté et qui a depuis enrichi son offre en développant un panel de prestations dédiées aux environnements de vie, de travail, et aux ressources humaines, NDLR), comme responsable du pôle Filières et négoce de déchets. En 2011, il choisit de se mettre à son compte, dans le secteur du négoce international de déchets recyclables et de matières premières secondaires. C’est alors qu’il décide de revenir dans son pays natal et de se lancer dans l’entrepreneuriat vert. « Mon retour au Togo est un appel du coeur et, en même temps, un appel patriotique », explique-t-il.

« Toujours apprendre, c’est ce qui me porte aujourd’hui. Et c’est l’expérience sur le continent africain qui me permet d’adapter les solutions que j’ai apprises chez Suez »

D’énormes défis à relever

Ses années d’apprentissage en France lui ont apporté la maîtrise des techniques de gestion des déchets et l’envie de consolider ses compétences en ce domaine. « Toujours apprendre, c’est ce qui me porte aujourd’hui, dit-il. Et c’est l’expérience sur le continent africain qui me permet d’adapter les solutions que j’ai apprises chez Suez ». En 2013, deux ans après son retour au Togo, le jeune entrepreneur crée Africa Global Recycling (AGR), une entreprise de valorisation des déchets. Son objectif : se positionner comme le premier centre de tri et de valorisation de déchets du pays, mais aussi le premier modèle du genre en Afrique de l’Ouest et subsaharienne. Malgré l’enthousiasme d’Edem d’Almeida, l’implantation d’AGR à Lomé ne se déroule pas sans embûches. « J’imaginais, comme beaucoup, que j’étais attendu, d’autant que la diaspora est appelée à rentrer », raconte-t-il. C’était sans compter sur la suspicion que suscite son retour, avec son lot de questions : aurait-il vécu un échec en Europe ? Et pourquoi vient-il trier des déchets, surtout accompagné d’un Blanc ? À ces obstacles culturels viennent s’ajouter des contraintes financières. « Nous avons dû tout financer sur fonds propres », explique le DG d’AGR, en évoquant la frilosité des banques. Le militant écologiste Felix Tagba, initiateur du mouvement ÉcoJogging, se souvient : « Au début, son premier défi était d’arriver à convaincre que les déchets valent de l’or. L’autre défi, et non le moindre, est que jusqu’alors, les collecteurs d’ordures venaient prendre les déchets ménagers chez les particuliers et étaient payés pour ce service. Aujourd’hui, les gens savent qu’ils peuvent être payés pour les déchets qu’ils apportent à AGR ».

AGR traite une cinquantaine de déchets différents, dont les plastiques.

Des débouchés sur tous les continents

Dix ans plus tard, on peut dire en effet que les lignes ont bougé. AGR, qui traite en moyenne 3 000 tonnes de déchets par an (10 000 tonnes entre 2013 et 2021), a fait la démonstration qu’il était possible de développer des chaînes de valeur autour des déchets. « Aujourd’hui, l’État prête une oreille un peu plus attentive à ce sujet, observe Edem d’Almeida. Les défis ont été relevés, mais il reste encore beaucoup à faire ». AGR, en tout cas, valorise désormais presque tous les types de déchets, y compris du plastique, du papier carton, du verre, des métaux et certains équipements électriques et électroniques. Après les avoir triés et classés, l’entreprise les revend à d’autres entités qui en font de la matière première : blocs optiques, fibres synthétiques, feutres tissés pour l’industrie automobile… C’est ainsi que les déchets traités par la société AGR sont exportés vers les pays du Moyen-Orient et d’Extrême-Orient, ainsi qu’en Europe, en Amérique latine et récemment au Guatemala. AGR commercialise également ses matières au Togo et dans la sous-région, notamment au Nigéria et au Ghana, deux pays qui constituent de vrais pôles industriels. « Il n’y a pas de limite pour les débouchés d’AGR, souligne son dirigeant. Nous vendrons partout où nous aurons la meilleure offre de prix ». Face à la croissance de ces activités, Edem d’Almeida a également noué des partenariats avec d’autres acteurs du secteur afin de s’approvisionner en déchets recyclables au Burkina Faso, au Ghana et au Bénin. Ces partenariats donnent lieu à un important défi logistique, que d’incessantes tracasseries douanières viennent compliquer. Yvan Agbévé, responsable logistique d’AGR, remarque ainsi qu’il est « plus difficile de convoyer ces produits dans les autres pays d’Afrique qu’en dehors du continent ».

Le jeune patron est convaincu que ce secteur est porteur de grandes opportunités économiques et qu’il mérite une approche entrepreneuriale et sociale

Un secteur porteur de grandes opportunités

Depuis quelques années, AGR développe également des activités de formation, de conseil et d’ingénierie en gestion des déchets. « Notre credo n’est pas de dire à nos fournisseurs : “ce type de déchet que vous produisez est le seul que nous pouvons prendre chez vous”. Nous leur proposons une offre de gestion globale et c’est là qu’est notre expertise », explique le chef d’entreprise. Le jeune patron, qui milite pour l’avènement d’une filière intégrée et efficace du traitement des déchets, est convaincu que ce secteur est porteur de grandes opportunités économiques et qu’il mérite une approche non seulement entrepreneuriale, mais aussi sociale. À condition toutefois que soit abandonnée une vision « minimaliste » du recyclage, c’est-à-dire tournée vers le seul volet environnemental. Pour lui, il faut au contraire développer pour ce secteur une politique axée sur l’emploi et la formation des jeunes. « Ce sont de grands chantiers, mais je pense qu’on y arrive. De grandes organisations y sont de plus en plus attentives […] Cela pourrait avoir beaucoup de débouchés », estime Edem d’Almeida. AGR, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 250 millions de francs CFA (environ 380 000 euros), n’a cependant pas été épargnée par la crise sanitaire, qui l’a même obligée à réduire considérablement sa masse salariale. Aujourd’hui, elle emploie vingt-cinq permanents et fait travailler une centaine de jeunes. « Nous développons à leur attention des programmes d’insertion grâce à un partenariat avec l’État », indique celui que ses employés surnomment affectueusement « DG ». En 2017, Edem d’Almeida a en effet créé l’ONG Moi Jeu Tri, qui intervient dans l’éducation environnementale en milieu scolaire, mais aussi dans la formation et l’insertion professionnelle des jeunes éloignés de l’emploi (voir notre encadré), pour les orienter vers les métiers du déchet et de l’économie circulaire. Cette initiative, portée avec l’Agence nationale du volontariat au Togo (ANVT), permet d’accompagner et de former de jeunes volontaires du programme d’engagement citoyen dans le grand Lomé.

« Je ne pense pas que j’aurais pu évoluer aussi rapidement, même avec les difficultés que j’ai rencontrées, si j’avais été ailleurs qu’au Togo »

Une référence de l’économie verte au Togo

Lorsqu’il regarde le travail accompli depuis la création d’AGR, Edem d’Almeida reconnaît aujourd’hui qu’il a fait le bon choix en revenant dans son pays natal. « Le Togo, par sa taille et par ce qu’on peut lui attribuer de complexe, d’insuffisant, m’a permis de faire la preuve de mon concept, analyse-t-il. Je ne pense pas que j’aurais pu évoluer aussi rapidement, même avec les difficultés que j’ai rencontrées, si j’avais été ailleurs. Je ne pense pas que j’aurais pu convaincre aussi rapidement des décideurs au niveau de l’État ni obtenir aussi facilement la grande visibilité dont je jouis aujourd’hui… Il y a forcément des opportunités ici ». Devenu une référence de l’économie verte au Togo, celui qui se décrit avec humilité comme un « autodidacte de la transformation » est désormais régulièrement sollicité comme expert par le ministère du Développement à la Base, de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes du Togo. Lauréat du Prix international de la francophonie pour la jeunesse et les emplois verts décerné par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), il est également à l’origine de la création du premier Club RSE Togo (baptisé L’Entreprise leader social), qui organise des rencontres entre entreprises et organisations soucieuses de partager de bonnes pratiques en matière de RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Enfin, Edem d’Almeida a récemment été distingué comme l’entrepreneur africain 2021 par Africangels et comme l’entrepreneur innovant de l’année au trophée GIFA d’Or. Toutes ces reconnaissances n’atténuent en rien l’ardeur de ce globe-trotter qui continue de sillonner les pays africains à la recherche d’opportunités dans le secteur de l’économie verte.

Chaque année, AGR réserve des emplois saisonniers aux étudiants. Ici, dans un entrepôt à Lomé.

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