Lancé fin 2020, l’incubateur de politiques publiques « Je m’engage pour l’Afrique » (JMA) se veut une force de proposition au service de la jeunesse du continent. Une initiative portée par Ileana Santos et Amina Zakhnouf, un duo nominé dans notre classement 2022 des 30 Africains de moins de 30 ans. Rencontre.
Par Harley McKenson-Kenguéléwa
Deux associées, deux “sœurs de cœur ” qui ne laissent personne indifférent …. D’un côté, une Marocaine, Amina Zakhnouf, qui a eu l’occasion de développer une argumentation très “punchy”, concernant la question des transferts de fonds de la diaspora africaine, face au chef de l’État français Emmanuel Macron, lors du Sommet Afrique-France de Montpellier, le 8 octobre 2021. De l’autre, une Franco-Togolaise, Ileana Santos, emballée par son énergie et son enthousiasme communicatifs, arguant à tout-va que le nouveau paradigme du développement de l’Afrique doit être ancré dans une cause commune, aussi profonde que radicale : bâtir des relations apaisées et mutuellement profitables entre l’Europe et le continent africain.
Les deux jeunes femmes ont fait le pari de mettre sur pied, en décembre 2020, un incubateur de politiques publiques d’un genre nouveau, baptisé Je m’engage pour l’Afrique (JMA). La mission principale de cette structure d’accompagnement : lancer un appel ouvert aux experts de tous bords, afin de les inviter à soumettre des propositions aux décideurs publics, destinées en définitive à assurer une implication socio-économique plus forte des diasporas africaines sur le continent.
« L’incubateur s’adresse à tous : Africains, afro-descendants, Européens, Européens résidant en Afrique etc … L’idée est simplement de penser l’Afrique et son futur ensemble et autrement ! », martèle Amina Zakhnouf. Autre signe que JMA joue un rôle proactif en ce qui concerne l’examen des politiques publiques : les deux dirigeantes s’emploient à trouver des solutions visant à faire accroître l’efficacité des financements, prêts ou dons apportés par les acteurs publics issus des pays riches. « Nous avons fait appel à JMA pour former nos bénévoles, lesquels effectuent par la suite des travaux de plaidoyer auprès des députés de l’Assemblée nationale française, en faveur d’un changement de paradigme qui pourrait transformer radicalement la vision de l’aide publique au développement, en réponse à des situations liées par exemple à l’éducation, la santé, l’agriculture ou la crise climatique », explique par exemple Dana Khalil, coordinatrice des campagnes et de la mobilisation citoyenne au sein l’ONG “One”.
Une vraie « alchimie professionnelle »
Chez ces deux personnalités, la complémentarité est évidente. C’est sans doute Sofia El Mrabet, membre du conseil d’administration de l’incubateur JMA, en charge des partenariats, qui décrit le mieux cette alchimie entre les deux associées : « [ … ] Il y a un énorme respect entre ces deux femmes qui se font confiance mutuellement. Elles sont toutes les deux conscientes de la valeur de l’autre. Leur expertise et les sujets qu’elles traitent chez JMA sont différents. Bien entendu, elles peuvent parfois exprimer des avis divergents, mais mettent toujours un point d’honneur à ce que JMA ne traite pas les sujets sous un angle unique. Même lorsque des désaccords surviennent, elles arrivent à les surpasser aisément », explique notre interlocutrice.
Pour comprendre l’histoire de JMA et celle de ses deux cofondatrices, il faut remonter le temps, au-delà même de la création de la structure, en décembre 2020. Née à Lomé d’une mère consultante en technologies de l’information et d’un père ex-doyen de la faculté de droit de Lomé, Ileana semblait avoir son chemin tout tracé pour entamer une vie de citoyenne constructive, engagée et réflective. « Très jeune déjà, Ileana organisait chaque année des projets sociaux au service des familles défavorisées, visant à leur offrir de belles fêtes de Noël. Par ailleurs, elle était à l’époque une observatrice assidue de la vie politique française, vouant une admiration pour les parcours de Christiane Taubira et Rama Yade » se rappelle sa mère, Opportune Santos. Élève studieuse et appliquée, Ileana obtient avec brio son baccalauréat — spécialité “sciences économiques” — à l’École Internationale Arc-en-ciel en 2011 au Togo, ainsi qu’un MSc en Management (spécialité stratégie & innovation) en 2018 à l’EM Lyon.
De son côté, Amina Zakhnouf, née à Marrakech, d’une mère agent d’assurances et d’un père ancien employé du secteur bancaire, rêvait, adolescente, de devenir professeure de philosophie au lycée ou à l’université : « Ce rêve n’est pas totalement révolu, mais en choisissant Sciences Po, c’était l’occasion de réfléchir au réel de façon très tangible, et cela m’a plu aussi », explique la jeune femme, titulaire d’un Master en “International Public Management” obtenu à l’Institut d’Études politiques de Paris. Maya Tira, une amie proche, qui l’a rencontré pour la première fois sur les bancs de Sciences Po, loue pour sa part « l’art de manier les mots » et la « capacité de synthèse extraordinaire » de la cofondatrice de JMA.
L’événement déclencheur
L’événement déclencheur qui a conduit à la mise sur pied de l’incubateur JMA se produit en Janvier 2020. « J’ai rencontré Amina la première fois au sein d’un cabinet de conseil parisien dans lequel nous avons travaillé toutes les deux. Elle quittait ce cabinet, et moi, je l’intégrais ; nous avons échangé vingt minutes à peine le temps de la passation. Nous avons repris contact en novembre 2020 via LinkedIn. J’ai réalisé qu’on partageait des constats communs et une volonté d’apporter des solutions mesurables et utiles. “Je m’engage pour l’Afrique” est donc née ! », relate Ileana Santos.
Si le tandem Amina-Ileana se partage à parts égales au sein de l’association, le duo apporte parallèlement son abnégation dans la tempête. Car tempête il y a, notamment durant les premiers mois de leur nouvelle activité.
« [ … ] Lorsque nous avons commencé à chercher notre business model, on s’est rendu compte qu’on ne rentrait pas dans les cases des institutions classiques : une organisation trop jeune avec seulement vingt mois d’existence, sans parrain ou marraine connu(e) etc … Encore aujourd’hui les gens cherchent à nous mettre dans une case : diversité, diasporas, binationaux ou encore think thank, lobbyste, organisme de formation etc … », poursuit la franco-togolaise.
Amina Zakhnouf prend le relais. « Nous avions eu des difficultés à stabiliser un modèle économique et à gérer la charge d’un écosystème qui va à la vitesse grand V. Mais aujourd’hui, je pense qu’on a trouvé un équilibre, et que notre modèle est solide, original, et a du sens [ …] ». En matière de résultats chiffrés et de bilan, Ileana Santos s’attelle à mobiliser des indicateurs et des tendances quantitatives, assurément pertinents à ses yeux : « Notre incubateur JMA, c’est désormais 50 experts et formateurs qui donnent bénévolement de leur temps, 15 membres en charge du pilotage opérationnel, 7 membres du Conseil d’administration et plus de 10 000 followers sur l’ensemble de nos canaux de diffusion ».
Ancrage territorial
Le duo n’ignore pas qu’il est guetté au tournant. À la question de savoir si son incubateur de politiques publiques possède un solide ancrage territorial sur le continent africain (le siège social se trouve actuellement au 5ème arrondissement de Paris), les deux “entrepreneuses civiques” tiennent à faire une mise au point:« Nous travaillons en très étroite collaboration avec des ministères au Bénin, au Togo, en Côte d’Ivoire [ … ]. Nous avons également une base solide de partenaires associatifs tels que “The Okwelians”, “le Boukarou 237”, “le Cyber Africa forum”, l’AIMF (Association internationale des maires francophones) etc … ». Une déclaration qui fait écho à un récent accord de collaboration entre JMA et la structure d’appui “Le Boukarou 237 ” basée à Douala. En effet, dans le cadre d’un programme baptisé “Je m’engage pour les territoires”, porté par cette dernière, l’incubateur de politiques publiques JMA participera très activement à l’organisation de sessions de formation et de coaching relatives au développement ou au renforcement des compétences entrepreneuriales, qui se tiendront à partir de février 2023 dans les villes de Douala et Maroua.
« L’objectif est de créer de la valeur économique tout en ayant un fort impact social au Cameroun. Cette collaboration avec JMA, sera d’autant plus avantageuse de part et d’autre que nous considérons le rôle de notre structure d’accompagnement “Le Boukarou 237” comme un élément catalyseur dans la création de communautés et s’inscrit dans une véritable démarche citoyenne axée sur l’employabilité des jeunes » assure Jean-Patrick Ketcha, fondateur & directeur exécutif de “Le Boukarou 237”.
Malgré quelques frustrations (peu de fonds propres au démarrage de l’activité, une insuffisance en nombre de collaborateurs, des agendas surchargés etc …), Amina Zakhnouf et Ileana Santos ont toujours en elles cette grande montée d’adrénaline qui leur donne en permanence l’envie de poursuivre leur aventure et contribuer à leur modeste niveau à bâtir une Afrique meilleure.
Photo ©Gopal Amah