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Au Gabon, La Finesse Stratégique d’Un Géant Mondial Du Manganèse

Le Gabon est le second producteur et exportateur africain de manganèse. Un minerai très prisé des pays riches – à l’instar du lithium, du cobalt et du nickel – qui en ont besoin pour assurer leur transition énergétique, et qui représente aussi un important potentiel de développement économique pour le pays. Zoom sur une matière première stratégique.

Par Raphael Rossignol


Le coup d’État du 30 août 2023 a fait peser pendant quelques jours une incertitude sur l’exploitation du manganèse, notamment par Comilog (Compagnie minière de l’Ogooué), première entreprise du secteur et filiale du groupe français Eramet. Cependant, les opérations de la Comilog ont repris et il ne semble pas pour l’instant peser de menaces sur les entreprises françaises présentes au Gabon. Dans le contexte international actuel, marqué par l’arrêt de la production ukrainienne, les risques pesant sur le secteur de la construction en Chine, la croissance de la production de batteries au manganèse pour les véhicules électriques et la future mise en exploitation de réserves conséquentes de manganèse en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique, il est à prévoir que le Gabon choisisse dans l’immédiat de protéger la stabilité du secteur.


Usage Du Manganèse

Le secteur minier au Gabon, axé principalement sur l’exploitation du manganèse, représente actuellement environ 6 % du PIB, 6 % des exportations nationales, et quelque 3 % de l’emploi privé. Il est néanmoins prévu que ce secteur prenne une part beaucoup plus importante dans l’économie gabonaise d’ici 15 à 20 ans, notamment grâce à l’exploitation d’autres ressources naturelles telles que le minerai de fer, l’or, le niobium, les terres rares, l’uranium, le cuivre, le zinc, et d’autres métaux présents dans le sous-sol du pays. Le manganèse est un élément chimique largement utilisé dans l’industrie pour diverses applications, dont la principale est la sidérurgie. La forte demande de la Chine a stimulé la production mondiale de manganèse au cours des dernières années. Premier consommateur de ce métal au monde, la Chine représente 53,2 % des exportations gabonaises de manganèse en 2021, selon la base de données BACI (Base pour l’analyse du commerce international) du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). La majeure partie du manganèse produit dans le pays est utilisée pour la production d’acier et, de manière croissante, la fabrication de batteries, notamment celle des voitures électriques dont la Chine représente 50 % de la production mondiale. Les autres grands importateurs de manganèse gabonais (en 2021) sont l’Inde avec 16 % (215 millions de dollars/203 millions d’euros), les États-Unis avec 5,14 % (69,1 millions de dollars/65 millions d’euros), la Russie avec 4,9 % (65,9 millions de dollars/62 millions d’euros), et la France avec 3,07 % (41,3 millions de dollars/39 millions d’euros), selon les chiffres de la BACI-CEPII. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles le manganèse pourrait devenir une option privilégiée. Tout d’abord, ce métal de transition est bien moins cher que le cobalt, avec des prix de 10 à 47 fois moins élevés. Deuxièmement, le manganèse est abondant et peut être extrait de pays suscitant moins de préoccupations éthiques que le cobalt, principalement extrait en République démocratique du Congo. Troisièmement, le manganèse présente de meilleures caractéristiques de sécurité que le cobalt, car il est moins inflammable et peut améliorer la densité d’énergie globale des batteries, augmentant ainsi leur capacité et leur autonomie.


Une Demande Croissante

Selon le World Bureau of Metal Statistics (WBMS), la production de manganèse au Gabon a augmenté de 2011 à 2022, passant de 2,5 à près de 4,4 millions de tonnes métriques, soit une augmentation de plus de 70 % au cours de la période, ce qui a contribué à faire du Gabon le deuxième producteur et exportateur du continent. D’après les données de la BACI-CEPII, les principaux challengers africains du pays en 2021 étaient l’Afrique du Sud (41,4 % de la production mondiale pour 2,9 milliards de dollars ou 2,74 milliards d’euros de dollars d’exportations), le Ghana (4,46 % pour 307 millions de dollars/290 millions d’euros), la Côte d’Ivoire (1,84 % pour 126 millions de dollars soit 116 millions d’euros), le Gabon, lui, représentant 19,5 % des exportations mondiales pour 1,34 milliard de dollars (1,27 milliard d’euros). La demande croissante de manganèse devrait s’accompagner d’une transformation importante de la production mondiale. Le cabinet de conseil britannique spécialisé dans les métaux et l’exploitation minière Roskill estime que la production mondiale de manganèse devrait augmenter de 5 % par an jusqu’en 2028, principalement sous l’impulsion du secteur en expansion des batteries pour véhicules électriques (VE). De nouveaux gisements de manganèse sont ouverts dans des pays tels que l’Afrique du Sud, l’Australie et le Brésil, tandis que les exploitations existantes sont agrandies ou rouvertes. Par exemple, Manganese X Energy Corp., une société minière junior canadienne, prévoit de développer une mine de manganèse au Québec afin de fournir une source nationale de ce métal aux fabricants de batteries pour VE, réduisant ainsi leur dépendance aux importations chinoises. Au Gabon, la Comilog, filiale de l’entreprise française Eramet et numéro un du secteur, extrait environ 90 % du manganèse du pays. D’autres entreprises, telles que la Compagnie industrielle des mines de Hangzhou (CICMHZ), de Chine, et Nouvelle Gabon Mining (NGM) du groupe indien Coalsale, contribuent également à la production de manganèse. En 2022, la Comilog a versé 144 millions de dollars (132,56 millions d’euros) en impôts et dividendes, dépensé 442 millions de dollars (417 millions d’euros) en achats locaux, et employé directement 8 767 personnes. Afin de conserver sa place de leader, le Gabon s’est donc doté d’une législation minière incitative, mais profitant également à l’État gabonais.


Des Investissements Stratégiques En Soutien Aux Exportations

Ces réglementations ont pour objectif d’équilibrer l’attractivité du secteur pour les investisseurs étrangers et les bénéfices retirés par le Gabon de l’exploitation de ces ressources naturelles. Elles ont été complétées par des investissements stratégiques dans les infrastructures portuaires, avec notamment la construction en 2016 d’un nouveau quai minéralier au port d’Owendo pour faciliter l’exportation du minerai de manganèse – pour un total de 75,6 milliards de francs CFA/115 millions d’euros –, et la rénovation de 2016 à 2022 du chemin de fer Transgabonais auquel il est relié grâce à un financement conjoint de l’AFD (prêt de 93 millions d’euros), Proparco (80 millions d’euros) et la Société financière internationale du Groupe de la Banque mondiale. Par ces mesures légales et les partenariats mis en place, le Gabon semble témoigner d’une vision basée sur des considérations géoéconomiques de long terme. Constatant une très forte dépendance aux exportations de manganèse et de pétrole, le pays vise ainsi également à diversifier ses sources de revenus à l’avenir, en misant sur l’or, les terres rares indispensables aux énergies renouvelables et à l’industrie électronique, et les crédits carbone à travers l’exploitation raisonnée de ses forêts. Ces nouveaux secteurs sont pour l’instant en retard sur ses deux ressources principales, mais elles soulignent l’intégration du Gabon dans les chaînes de valeur internationales de l’Asie à l’Europe et aux États-Unis, des secteurs de la construction aux semi-conducteurs et aux véhicules électriques. Le manganèse demeure actuellement l’un des grands secteurs pourvoyeurs de ressources financières pour le Gabon, dont la place au sein du groupe des plus grands exportateurs mondiaux et africains ne semble pas devoir être challengée dans un avenir proche.


Forbes Afrique : Quels sont les atouts qui permettent au Gabon de se distinguer des autres producteurs africains de manganèse ?

ERAMET : Tout d’abord, la qualité du gisement et les ressources associées, qui en font l’un des meilleurs au monde. Ensuite, les infrastructures, adaptées et efficaces. Le chemin de fer opéré par Setrag (Société d’exploitation du Transgabonais), filiale de la Comilog, achemine sur plus de 600 km, entre Moanda et Owendo, les minerais de manganèse de Comilog, mais aussi d’autres marchandises confiées par d’autres clients. Une f ois acheminés au port, nos produits miniers sont transférés sur des navires minéraliers pour rejoindre nos clients.

Le coup d’État, la guerre en Ukraine, la hausse de la demande pour les batteries des véhicules électriques, ont-ils eu un impact significatif sur la production ou les prix ?

Nous n’avons pas observé d’impact significatif sur le minerai. Bien qu’une hausse de prix en 2022 soit corrélée dans le temps avec le début de la guerre en Ukraine, nous imputons cette hausse à d’autres événements, notamment des stocks très faibles de minerais dans les ports chinois. Le marché des batteries est minime par rapport à la demande issue de la sidérurgie, et n’a donc qu’un faible impact, s’il existe, sur les prix. Le coup d’État au Gabon n’a interrompu les opérations que sur une très courte durée, sans impact significatif sur le marché.

Quelles sont les perspectives d’expansion d’Eramet en Afrique ? Voyez-vous émerger de nouveaux grands producteurs sur le continent ?

Eramet est présent au Sénégal à travers sa filiale Grande Côte Opérations, qui emploie plus de 2 000 collaborateurs directs et indirects pour la production de sables minéralisés à travers une mine itinérante. La stratégie du groupe en Afrique est de faire croître ses activités de manière durable et responsable dans ses pays d’implantation actuels, et de saisir de nouvelles opportunités de croissance dans les métaux qu’Eramet possède en portefeuille : manganèse, nickel, lithium et sables minéralisés.


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