Faire émerger puis mûrir les futurs champions de l’African Tech, telle est l’ambition de Leslie Ossete, serial entrepreneure qui a su trouver sa place dans les écosystèmes start-up en Afrique francophone.

^{Par Harley McKenson-Kenguéléwa}

Si Leslie Ossete faisait partie d’une équipe de relais 4 x 100 mètres, elle assumerait sans nul doute le rôle de troisième et avant-dernière relayeuse, se dédiant à transmettre le témoin au quatrième relayeur pour la dernière portion de 100 mètres jusqu’à la ligne d’arrivée. Cette image illustre bien ce à quoi s’emploie la jeune femme, qui est directrice des opérations de la société Mstudio : elle guide et accompagne les cofondateurs de startups, puis leur passe le relais, leur permettant ainsi de poursuivre leur progression de manière autonome, afin de devenir les futurs champions de la technologie en Afrique francophone.

Mstudio, Le Start-Up Studio d’Abidjan

Installée au rez-de-chaussée de l’Ivoire Trade Center, dans le quartier des ambassades à Abidjan, Mstudio est un start-up studio (ou venture builder). « Ce concept est souvent confondu avec celui d’un incubateur ou d’un accélérateur, expose Leslie Ossete. Certes, toutes ces structures jouent un rôle important dans la vie d’un entrepreneur, mais ce qui distingue le start-up studio, c’est son engagement à accompagner les entrepreneurs dès la phase d’idéation et jusqu’à ce que la start-up atteigne sa maturité ». Son activité consiste donc à générer des idées en interne (opportunités de marché identifiées, tendances émergentes, besoins non satisfaits…) ou à sélectionner celles qui lui sont proposées, puis à les concrétiser en une start-up pour laquelle est constituée une équipe dédiée composée d’entrepreneurs, de développeurs, de concepteurs et d’autres experts. Leslie Ossete explique : « Nous validons ces idées, les prototypons, acquérons les premiers clients, développons le “produit minimum viable”, itérons celui-ci selon les retours des clients, le commercialisons, le “scalons”. Et nous soutenons les cofondateurs dans leur stratégie marketing, les aidons à recruter les bons talents, les assistons dans la constitution d’une équipe de conseillers, et les mettons dès le début en relation avec un réseau de mentors, d’entrepreneurs de renom et d’experts, en plus de faciliter leurs contacts avec des investisseurs en capital-risque, entre autres ».

Cédric Mangaud, PDG de Mstudio, poursuit : « Notre approche consiste à jouer le rôle de troisième cofondateur au sein d’une start-up. Notre engagement se traduit par un accompagnement personnalisé des deux premiers cofondateurs, soutenus par une équipe multidisciplinaire composée d’une dizaine de spécialistes, ce dans des locaux équipés et avec une infrastructure complète. Notre objectif est de les aider à se structurer efficacement afin d’accélérer le développement de leur start-up ».

Un Tempérament De Battante

Dépoussiérer les écosystèmes start-up en Afrique francophone… Le pari semblait un peu fou. Mais Leslie Ossete n’a rien d’une douce rêveuse. Au contraire, la jeune femme va vite, et même très vite ! Cédric Mangaud confirme : « Elle incarne véritablement l’esprit entrepreneurial, avec une grande habileté et efficacité. De plus, elle est d’une grande sensibilité humaine ». Hervé Fabrice Tra, cofondateur et directeur technique de Tuzzo (https://tuzzo.africa), une start-up spécialisée dans le social commerce et soutenue par Mstudio, renchérit : « Ce qui impressionne le plus chez elle, c’est son acuité et sa très grande vivacité intellectuelle, à tel point qu’elle est régulièrement et secrètement surnommée “Chat GPT”, car elle a cette capacité à se saisir rapidement d’un sujet ou d’un problème, quel que soit son degré de complexité, et à y apporter une réponse pertinente ».

Un Parcours Académique International

Retour en arrière. Née il y a 28 ans à Brazzaville au sein d’une fratrie de trois enfants, d’origine malgache par sa mère et congolaise par son père, la jeune femme est issue d’une famille où l’on ne badine pas avec les études. « Mon père était professeur à l’université, et ma mère pharmacienne. La lecture et l’apprentissage étaient au cœur de notre quotidien. Ils ont encouragé leurs enfants à entreprendre des parcours académiques internationaux, à maîtriser l’anglais et à s’engager dans des activités extrascolaires. Leur objectif était de nous doter du plus large éventail de compétences possible. Ils étaient convaincus qu’il était impératif pour nous de poursuivre nos études à l’étranger et d’acquérir une formation complète », raconte-t-elle.

Exauçant les vœux de ses parents, la jeune femme quitte sa terre natale en 2010 pour s’aventurer outre-Atlantique, rejoignant l’United World College-USA, un établissement scolaire niché à Montezuma, près de Las Vegas (Nouveau-Mexique). Son séjour dans ce lycée international reste gravé dans sa mémoire comme une immense expérience d’ouverture sur le monde. En mai 2012, son baccalauréat international en poche, elle rejoint l’Earlham College de Richmond, dans l’Indiana. De ses connaissances acquises dans les matières scientifiques, elle garde la rigueur, mais ressent de plus en plus le besoin de préparer une carrière axée vers des actions concrètes, en phase avec ses convictions. Sans doute est-ce de son enfance qu’est né ce désir. « J’ai toujours été témoin de l’esprit entrepreneurial de mes parents, dit-elle. En plus de leur activité principale, ils géraient une boutique d’alimentation, un cybercafé et une boutique d’art africain ». Se sentant gagnée par le virus de la création d’entreprise, Leslie Ossete change donc radicalement de filière et décroche, en mai 2016, un double bachelor, en sciences économiques et management des affaires. Un imposant bagage théorique qu’elle souhaite très vite appliquer aux grands enjeux du continent africain.

Son ambition : faire émerger des startups africaines dans la sphère francophone du continent en s’appuyant sur des modèles économiques éprouvés qui ont déjà rencontré du succès ailleurs, notamment en Afrique anglophone, en Amérique latine ou en Asie du Sud-Est .

L’Aventure Magic Bus Ticketing

Au cours de cette même année, alors qu’elle peaufine son bachelor, elle remporte avec trois autres étudiants le Hult Prize, un concours annuel visant à trouver des solutions innovantes à des problèmes sociaux (sécurité alimentaire, accès à l’eau, énergie, éducation, transport). Son équipe y présente une application mobile permettant l’achat de billets de bus et de train pour les trajets inter-villes de longue distance au Kenya. Grâce à ce projet baptisé Magic Bus Ticketing, Leslie Ossete et son équipe se voient remettre 1 million de dollars. Elle raconte la suite : « Magic Bus Ticketing n’était pas encore rentable, mais nous avions dépassé les 100 000 réservations de billets par mois. De plus, nous étions reconnus comme le principal “ticketer” aux yeux du gouvernement kényan. Nous avons également eu la chance d’être soutenus par des entreprises de renom comme Safaricom, à l’origine de M-PESA. Magic Bus Ticketing, désormais connu sous le nouveau nom de BuuPass, enregistre aujourd’hui des millions de billets réservés chaque mois ». Entre-temps, des dissonances sont apparues entre les cofondateurs de l’entreprise, la répartition du capital social ne reflétant pas la réalité selon Leslie Ossete, qui estime avoir très largement piloté ce projet. Alors que l’activité de Magic Bus Ticketing continue de progresser, la jeune femme prend la décision difficile de s’en désengager complètement et de poursuivre ses classes ailleurs, au contact de professionnels chevronnés évoluant dans le domaine de la technologie.

De Wasoko à Bolt

On la retrouve en septembre 2018 au sein de la start-up kényane Wasoko (ex-Sokowatch), où elle est Market Expansion Manager : « En tant que responsable des opérations pour toute l’Afrique de l’Est, j’ai dirigé des initiatives clés telles que l’acquisition de chauffeurs de taxi et de motos et j’ai coordonné des projets dans chaque pays de la sous-région ». Riche et stimulante, cette expérience lui permet de se construire une vision du monde économique dans des pays d’Afrique empreints d’une forte culture start-up à l’anglo-saxonne. Cette première phase d’apprentissage achevée, elle rejoint en janvier 2019 la filiale kényane de l’entreprise estonienne Bolt, spécialisée dans la mobilité partagée. Elle y gravit les échelons, en occupant d’abord le poste d’Operations & Logistics Manager, puis de Regional Operations Manager, d’avril à décembre 2019.

Un Passage Chez Wave

Sa patte de technicienne marketing & commercial séduit ensuite l’opérateur de transfert d’argent Wave. Leslie Ossete passe donc d’un groupe estonien tentaculaire (VTC, taxi, micro mobilité, livraison de nourriture, etc.) à une fintech d’origine américaine encore méconnue des Sénégalais. Qu’importe ! Toujours en quête d’apprentissage et encline à s’investir davantage, elle ne tarde pas y occuper la fonction de Country Launcher (janvier 2020-avril 2022), se concentrant sur l’expansion géographique de l’entreprise, pour ensuite évoluer vers le poste de Growth Lead (avril-août 2022), où elle est chargée de dynamiser la croissance de la société. De son passage chez Wave, elle ne tire que de précieux enseignements, qui ont façonné sa vision stratégique et renforcé ses compétences professionnelles. « Tout d’abord, j’ai eu le privilège de contribuer à faire de Wave la première licorne d’Afrique francophone. Ensuite, j’ai eu l’opportunité de jouer un rôle essentiel dans son lancement sur plus de quatre nouveaux marchés. Cette expérience m’a permis de développer mes compétences en leadership et en gestion de projet, tout en contribuant activement à l’expansion géographique de l’entreprise. De plus, travailler aux côtés de certains des esprits les plus brillants de l’industrie technologique a été une source d’inspiration constante. Enfin, j’ai été particulièrement impressionnée par la culture de travail chez Wave, qui valorise la transparence et où l’âge, l’origine ou le sexe ne sont en aucun cas des facteurs discriminants », s’enthousiasme-t-elle.

Elle incarne véritablement l’esprit entrepreneurial, avec une grande habileté et efficacité.

À La Conquête De l’Afrique Francophone

Quelque temps plus tard, Leslie Ossete, qui marche toujours « au challenge », répond à une offre d’emploi publiée sur LinkedIn par Cédric Mangaud. Fort de plus d’une quinzaine d’années d’expérience au sein d’entreprises de télécommunications et d’Internet en Europe et en Afrique, ce chef d’entreprise aguerri aspire à lancer un start-up studio, s’inspirant des modèles tels qu’eFounders en France ou Idealab aux États-Unis. Son ambition : faire émerger des startups africaines dans la sphère francophone du continent en s’appuyant sur des modèles économiques éprouvés qui ont déjà rencontré du succès ailleurs, notamment en Afrique anglophone, en Amérique latine ou en Asie du Sud-Est. Ces entreprises devront générer des revenus significatifs et offrir une proposition de valeur tangible, afin de pouvoir être reproduites localement en Afrique francophone. Il espère surtout que cette nouvelle structure pourra jouer un rôle crucial dans la transformation du secteur informel en Afrique, en soutenant les entrepreneurs informels dans leur démarche de formalisation, en facilitant leur accès au financement et à l’expertise, en stimulant l’innovation, en créant des emplois et en favorisant leur intégration dans l’économie formelle. Pour concrétiser son projet, il met en place un comité composé de membres clés de son réseau relationnel pour sélectionner la personne qui l’accompagnera dans cette aventure entrepreneuriale. Après délibération, le choix se porte sans équivoque sur Leslie. « J’avais suggéré alors au comité d’identifier, parmi les autres candidats, un profil similaire “de secours” au cas où les choses ne se passeraient pas comme prévu avec Leslie, mais le comité est resté inflexible, affirmant que son choix était définitif », se souvient Cédric Mangaud. Un choix qu’il ne regrettera pas. Très vite, il envisage Leslie Ossete comme une partenaire d’affaires de premier plan, indispensable à cet ambitieux projet. Pour sa part, Leslie est également intéressée par cette « alchimie professionnelle » : « Cédric apporte une expertise plus orientée vers les fonds d’investissement, tandis que ma contribution se situe davantage dans le domaine opérationnel. Ayant véritablement vécu le quotidien d’une start-up, depuis sa phase de lancement jusqu’à son passage à l’échelle, j’apporte une perspective opérationnelle approfondie. Nous avons décidé de fusionner nos compétences pour lancer Mstudio, avec pour mission principale le développement d’applications mobiles et l’accompagnement des entrepreneurs pour qu’ils deviennent les futurs Djamo, Julaya ou Anka ».

Dix Startups Lancées Chaque Année

Le choix d’Abidjan, véritable vitrine économique en Afrique francophone, comme lieu d’implantation du siège social de Mstudio, revêt une importance stratégique considérable : tremplin pour les startups nouvellement créées, ce lieu ouvre la voie à leur expansion ultérieure dans des pays comme le Sénégal, la République Démocratique du Congo, le Cameroun ou le Maroc. Les deux cofondateurs inaugurent officiellement leur start-up studio en mars 2023, optant pour les locaux de l’Ivoire Trade Center et projetant ainsi une image résolument orientée vers l’avenir.

Malgré sa jeune année d’existence, la phase de rodage de Mstudio semble avoir été contournée, preuve d’une mécanique interne déjà bien huilée. « En 2023, Mstudio a concrétisé neuf projets dans le cadre de son programme “Entrepreneurs en résidence”, a orchestré quatre levées de fonds avec d’autres en cours, touché des milliers de clients dans le secteur informel et contribué à la création d’environ une centaine d’emplois », indique Leslie Ossete. Son objectif est de lancer dix startups par an, « en prenant une participation de 25 % dans chaque entreprise créée », souligne Cédric Mangaud, ce qui donne droit à une part des bénéfices. Toutefois, le modèle économique repose sur la vente de ces jeunes pousses une fois qu’elles ont atteint un niveau de maturité suffisant pour être acquises par des acteurs stratégiques ou d’autres entreprises. L’objectif ultime étant de réaliser un profit substantiel par la cession de ces participations. Mstudio a donc tout intérêt à fournir un accompagnement hautement qualitatif, avec une obligation de résultat, afin de maximiser la valeur et le succès de chaque projet.

Il va sans dire que le père de Leslie, Eugène André Ossete, ressent une immense fierté vis-à-vis de sa progéniture : il lui arrive aussi de souhaiter la voir, un jour, apporter son expertise au Congo-Brazzaville, son pays natal… Pour l’heure, Leslie Ossete nourrit l’espoir de voir émerger un nombre significatif de « licornes africaines » dans la sphère francophone du continent. Grâce à Mstudio.

En 2023, Mstudio a concrétisé neuf projets dans le cadre de son programme “Entrepreneurs en résidence”, a orchestré quatre levées de fonds avec d’autres en cours, touché des milliers de clients dans le secteur informel et contribué à la création d’environ une centaine d’emplois .

La stratégie de recrutement de Mstudio

Fondée sur trois piliers, la stratégie de recrutement de Mstudio vise à attirer les esprits les plus brillants et les plus novateurs. Tout d’abord, le studio cherche à identifier des visionnaires aguerris, ayant le profil de DG et directeur technique, prêts à repousser les limites de l’entrepreneuriat. Parmi eux figurent ceux qui ont déjà tracé leur chemin dans le monde entrepreneurial, mais qui reconnaissent l’immense potentiel d’une collaboration avec une telle structure pour accélérer leur croissance. Un deuxième pilier clé réside dans la volonté de Mstudio de rallier les membres de la diaspora africaine, avides de retourner sur leur terre natale, armés de compétences acquises dans les institutions les plus prestigieuses du monde. Enfin, Mstudio ouvre grand ses portes aux innovateurs déjà immergés dans le monde de la technologie, mais aspirant à gravir les échelons pour devenir les leaders de demain.