Pour résoudre le problème de l’adressage postal en Afrique – et le manque à gagner qui en découle –, Brandon Wanguep et ses associés ont créé FindMe, une solution qui permet de créer en quelques minutes une adresse normalisée pour chaque domicile. Après Dakar, la start-up vise une implantation dans d’autres capitales africaines, voire au-delà. 

^{Par Harley Mckenson-Kenguéléwa}

« FindMe, c’est un collectif d’intelligences travaillant ensemble au quotidien pour atteindre une vision commune : rendre l’adressage postal possible dans les zones les plus difficilement accessibles, au sein de nos villes africaines »

Au Sénégal, il est de moins en moins rare de voir des plaques signalétiques, avec noms et numéros, soigneusement apposées sur les façades des habitations ou des entreprises de Dakar. Banale vue d’Europe, la situation représente une vraie nouveauté en Afrique, où bon nombre de localisations sont encore fournies de vive voix et sans grande précision. D’où de nombreux retards et malentendus pour ceux qui cherchent à localiser une adresse précise. 

C’est à Brandon Wanguep que l’on peut l’attribuer le mérite de ce changement radical. Ce jeune Camerounais installé au pays de la Teranga est l’inventeur de FindMe, une solution qui permet de générer en deux minutes une adresse postale pour un domicile ou une entreprise. Lancée en 2021, l’application a déjà sensiblement amélioré la qualité de service de la Poste Sénégal, qui en est l’un des partenaires aux côtés de l’Américain Google Maps et de TomTom, spécialiste néerlandais de la navigation et la cartographie numérique. « FindMe facilite grandement la localisation précise des rues pour la livraison de courriers et de colis et nos engagements sont dorénavant en mesure d’être honorés beaucoup plus rapidement, souligne Fatou Mbaye, coordinatrice de projet à la Poste Sénégal. « De plus, ce partenariat nous permet d’enrichir notre base de données et donc de proposer des services supplémentaires à cette nouvelle clientèle. »

Simplicité et précision

Téléchargeable sur Goole Play Store ou App Store, l’application – déclinée sous l’adresse web « FindMe.house » – permet donc de créer facilement une adresse postale aux normes internationales. La marche à suivre est simple : il suffit de prendre une photo de son domicile ou bureau, ce qui permettra au livreur de le reconnaître lors d’une livraison. Au besoin, l’utilisateur peut aussi ajouter le numéro du lieu. Ensuite, en positionnant le pointeur rouge sur sa zone d’habitation via Google Maps, il peut en préciser l’emplacement exact. Une fois ces étapes terminées, il ne lui reste plus qu’à commander sa plaque d’adressage, afin que les techniciens de FindMe l’apposent sur la devanture. À noter qu’il est possible de partager facilement à son réseau de contacts l’adresse postale créée, via SMS ou WhatsApp. De plus, le destinataire du message reçoit simultanément les indications pour se rendre au domicile de l’expéditeur. Cela facilite grandement la navigation et assure une meilleure précision lors des déplacements.

Homme de sciences

« FindMe n’est pas seulement l’affaire d’une personne, souligne Brandon Wanguep. C’est plutôt celle d’un collectif d’intelligences travaillant ensemble au quotidien pour atteindre une vision commune : rendre l’adressage postal possible dans les zones les plus difficilement accessibles, au sein de nos villes africaines ». S’il a le sens de l’intérêt général « chevillé au corps », le jeune homme sait aussi faire preuve d’humilité. « Exigeant », « passionné » et « résilient » selon Stéphane Chirack Ndjoga, un de ses amis proches, le chef d’entreprise est aussi dépeint par sa sœur aînée, Marlyse Mbakop, comme « un jeune homme cherchant constamment à apprendre et repoussant toujours ses limites ». Elle ajoute : « Il est doté de principes moraux et éthiques extrêmement solides qui lui ont conféré très tôt un grand sens des responsabilités envers lui-même et envers les autres ». Sa force, selon Hyacinthe Sambou, un de ses associés, c’est sa précocité exceptionnelle. « À son âge, je n’accomplissais pas la moitié des choses qu’il réalise actuellement. On dirait qu’il a toujours été dans ce domaine, alors que c’est sa première véritable expérience professionnelle. Brandon démontre de grandes qualités d’écoute et une curiosité intellectuelle qui le pousse à s’intéresser à un large éventail de sujets », affirme-t-il. Décrit par son ancien camarade d’université Brice Siani comme « visionnaire et discipliné dans sa manière d’aborder les choses », Brandon se dit lui-même « animé par la curiosité », « avide d’apprendre » et « en quête constante de connaissances », lui qui, adolescent, rêvait d’exercer dans le secteur aéronautique.

Diplômé de l’École des Mines de Paris

« FindMe s’érige en véritable innovation disruptive dans le contexte africain, où elle bouleverse un marché initialement dominé par les entreprises publiques issues du secteur postal »

Car avant d’être un « techpreneur », Brandon Wanguep est d’abord un homme de sciences. Titulaire d’un baccalauréat scientifique obtenu au lycée bilingue de Bafia en 2013, il a suivi une formation en ingénierie mécanique à l’École Polytechnique de Douala, avant de rejoindre l’École des Mines de Paris. Dans le cadre de ses études, il a participé en 2017 à la conception d’un système piézoélectrique capable de récupérer l’énergie perdue au quotidien dans les mouvements humains, afin de la transformer en énergie électrique utilisable. En 2018, il a également travaillé à la fabrication de drones réalisés en CAO (conception assistée par ordinateur) sur la plateforme collaborative 3D Expérience.

En octobre 2019, il sort de l’École des Mines de Paris avec le titre d’ingénieur en sciences et génie des matériaux. S’il veut renouveler son titre de séjour en France, il doit impérativement signer un contrat de travail. Sauf que ses ambitions sont ailleurs, comme il l’explique : « Je souhaitais créer un projet innovant ayant une réelle valeur ajoutée, et surtout, un impact majeur et positif sur la société ». Beaucoup, alors, lui déconseillent la voie de l’entrepreneuriat. Brandon tient bon et poursuit ses réflexions. Jusqu’à ce qu’une série d’événements personnels l’aide à préciser son projet. « Un de mes amis a vécu un calvaire lors d’un voyage au Congo, passant plus de 45 minutes à chercher l’ambassade du Cameroun avec Google Maps, faute d’adresse précise. J’ai également rencontré une amie qui a perdu son père, car l’ambulance n’avait pu trouver son domicile à temps, malgré toutes les indications possibles qu’on leur avait fournies ».

Un segment peu exploité de la PropTech  

« Je souhaitais créer un projet innovant ayant une réelle valeur ajoutée, et surtout, un impact majeur et positif sur la société »

Brandon commence alors à s’intéresser aux applications digitales et autres innovations visant à améliorer les produits et services de l’industrie immobilière. Et c’est ainsi qu’il décide de se positionner sur un segment peu exploité de la PropTech (technologie immobilière) : l’optimisation de l’aménagement du territoire. L’objectif étant de « permettre à tous les propriétaires et locataires d’habitations ou de bureaux résidant sur le continent de posséder une adresse postale précise, une nécessité essentielle pour justifier leur domiciliation et recevoir des courriers importants, surtout avec la croissance rapide du e-commerce et de la livraison à domicile ». Il soumet son idée à Duplex Éric Kamgang (fondateur de l’entreprise de service et d’accompagnement aux étudiants étrangers Studely) et Romaric Sokoundjou Takam qui, dès 2019, décident de le soutenir. « Duplex est un entrepreneur chevronné, dont l’expérience m’aide à éviter certains écueils, souligne Brandon. J’apprends beaucoup de son expérience ». Le trio, qui sera rejoint un peu plus tard par Hyacinthe Sambou, crée en décembre 2020 la société FindMe (pour « Trouve-moi »). Si son siège social est établi à Paris, son tout premier champ d’action sera Dakar. D’emblée, les rôles sont définis : en tant que directeur général (CEO), Brandon Wanguep s’occupe de la stratégie globale et du déploiement de la solution. Romaric Takam, directeur des nouvelles technologies (CTO), est chargé du développement des outils technologiques et des algorithmes de l’appli. Duplex Éric Kamgang contribue à l’élaboration des partenariats et à la recherche de fonds. Quant à Hyacinthe Sambou, il se consacre au développement d’affaires de la société, qui compte désormais une quinzaine d’employés.

Un marché gigantesque

Pour l’heure, le modèle économique de FindMe repose exclusivement sur la commercialisation de plaques signalétiques (10 000 francs CFA l’unité, soit environ 15 euros), la création d’adresses postales étant, elle, totalement gratuite. En 2021, année test au Sénégal,plus de 6 500 adresses postales ont été générées.Brandon Wanguep précise : « La commercialisation des plaques signalétiques a véritablement démarré en 2022, avec un chiffre d’affaires initial d’environ 15 000 euros et près de 20 000 utilisateurs de l’appli. Pour 2023, nous prévoyons de doubler la création d’adresses postales, ainsi que notre chiffre de l’année précédente en termes de plaques signalétiques vendues ». D’autres sources de revenus sont également étudiées, comme l’établissement de certificats d’adressage (qui feraient office de justificatifs de domicile), afin de fournir aux banques des données fiables sur leurs clients, ou la conception de boîtes postales individualisées, offrant ainsi une solution pratique et sécurisée pour la réception du courrier.

Auréolée du prix « Hackathon Dakar Innovation Day 2023 », décerné par la mairie de Dakar et couronnée pour ce même concours dans la catégorie « Aménagement urbain et mobilité urbaine », FindMe vise maintenant une levée de fonds de type « série A » qui lui permettrait de générer, enfin, une croissance exponentielle à la hauteur de ses ambitions.Certes, la société a accumulé des financements de pré-amorçage et d’amorçage : elle a pu bénéficier d’un prêt d’honneur de 30 000 euros grâce à son passage par un incubateur, en plus de l’apport de 300 000 euros réalisé par des business angels qui se sont joints à l’investissement initial des associés. Mais il lui tarde de passer à la vitesse supérieure, d’autant que sa solution s’érige en véritable innovation disruptive dans le contexte africain, où elle bouleverse un marché initialement dominé par les entreprises publiques issues du secteur postal. « Certains financiers essaient de nous comparer à des plateformes d’e-commerce, ce qui n’est pas le cas, regrette Brandon. Pour expliquer la nature de nos prestations et être compris de tous, nous devons faire un réel effort de pédagogie ». 

Quoi qu’il en soit, le marché (colossal) est bel et bien là et les besoins clairement identifiés. De plus, très peu d’acteurs (What3Words, OkHi et NIMA Codes) y sont présents, les entreprises LocName, Anwani et Gocode ayant jeté l’éponge il y a quelques années. D’ores et déjà, plusieurs institutions postales africaines (Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Mali, Togo, Cameroun, Guinée, Congo-Brazzaville et République Démocratique du Congo) ont exprimé leur intérêt pour l’application. En outre, des entreprises privées (plateformes d’e-commerce, sociétés de VTC) ont aussi formulé des propositions de collaboration, intéressées par les fortes synergies entre leurs activités. De quoi permettre au dirigeant de FindMe de voir grand, même très grand, au-delà des frontières du Sénégal et même de l’Afrique. Et pour cause : plus de 4 à 5 milliards de personnes dans le monde ne disposent pas d’adresse physique, selon les estimations des Nations unies. 

Plusieurs institutions postales africaines ont exprimé leur intérêt pour l’application, et des entreprises privées (plateformes d’e-commerce, sociétés de VTC) ont aussi formulé des propositions de collaboration, intéressées par les fortes synergies entre leurs activités .

Les têtes d’affiche de Denise Époté de TV5 Monde, comme chaque dimanche sur RFI, avec Victorien Willaume. Au menu : Brandon Wanguep, ingénieur camerounais en mécanique des matériaux et fondateur de l’application FindMe et les Tunisiens Karim Beguir & Zohra Slim qui ont fondé InstaDeep, une entreprise spécialisée dans l’intelligence artificielle.