Qu’il s’agisse de ventes ou de locations, le marché camerounais de l’immobilier se caractérise par la prolifération des entremetteurs, ces acteurs de l’informel qui se placent au centre des transactions. Face à ce phénomène profondément ancré, des agences plus structurées veulent incarner l’avenir.
Par Patrick Nelle
Sur ces annonces qui abondent dans les villes camerounaises, voici des exemples de ce que l’on peut lire : « Villa à louer, avec deux chambres, salon, cuisine, douche, appelez le… » ; « Terrain à vendre, Logbessou, 2 000 m2, contactez le… ». Inscrites à la peinture ou à la simple craie sur un tableau sommaire stratégiquement placé à un carrefour, ces réclames à l’emporte-pièce sont la marque des « démarcheurs », comme on les appelle ici. Ces entremetteurs exerçant dans l’informel captent une grande partie des transactions locatives et des ventes immobilières. La trentaine entamée, Vincent est l’un de ces démarcheurs qui arpentent au quotidien les rues de Douala. Le principe est simple : à chaque contrat de bail conclu, il touche une double commission, de la part du propriétaire et du locataire, qui lui reversent chacun l’équivalent d’un mois de loyer. « Même s’il peut arriver qu’ils revoient notre commission à la baisse, on a toujours quelque chose », dit-il en souriant.
Des Aventuriers De l’Informel
Ni bureau ni registre du commerce : les clients viennent généralement en appelant le numéro indiqué sur les annonces ou par le bouche-à-oreille. Via WhatsApp, le prospect reçoit rapidement les photos des logements disponibles et leurs caractéristiques. Toutefois, il lui faudra payer 5 000 à 10 000 francs CFA (environ 8 à 15 euros) pour visiter les lieux, une pratique que les « démarcheurs » estiment nécessaire pour « amortir leurs frais de transport », voire « le temps perdu ». «Il faut payer le taxi pour se rendre sur les lieux, justifie Vincent. Et tu n’as aucune garantie que le client finira par louer ». Conséquence : une tendance à faire visiter aux prospects des endroits qui ne correspondent pas à leurs critères, juste pour pouvoir générer des « frais de visite ».
Des Démarcheurs Solidaires
Les démarcheurs sont comme une petite famille, où la collaboration est de mise. Ainsi Vincent est-il membre d’un groupe WhatsApp très actif, où lui et ses semblables s’échangent quotidiennement des informations sur les logements disponibles. « Si j’ai un client susceptible d’être intéressé, je contacte le collègue qui gère avec le propriétaire. Et si la transaction aboutit, on se partage la commission », explique-t-il. Si on les qualifie souvent d’arnaqueurs et qu’ils suscitent de la méfiance, ces démarcheurs continuent, pourtant, d’être la norme sur le marché. Propriétaires et locataires continuent à les solliciter, car ils semblent incontournables. Leurs interventions ne se limitent pas, d’ailleurs, à la simple location : elles peuvent concerner la vente de terrains nus ou bâtis, des transactions qui se chiffrent en dizaines de millions de francs CFA, soit 10 000 euros au minimum.
Un Nécessaire Accompagnement
« Seuls des professionnels aguerris sont à même d’accompagner les investisseurs, de les éclairer sur la demande pour rendre ces investissements pérennes et leur permettre de conserver ou d’augmenter leur valeur »
Désireuses d’incarner l’avenir, des agences immobilières structurées et modernes tentent de s’imposer face à eux. Pour gagner la confiance de la clientèle, elles misent sur la qualité du service, le conseil et la sensibilisation. Vitrines soignées, espaces lumineux, décoration raffinée : ces structures veulent se poser en alternatives face à ceux qu’elles considèrent comme des aventuriers. « Même si je fais aussi de l’intermédiation sur le marché locatif ou de la vente, il ne me viendrait jamais à l’idée de faire payer une visite d’appartement à un client », s’insurge Hortense Leconte, directrice de Lion’s Immo, agence installée à Douala depuis une vingtaine d’années. « Dans notre activité, souligne-t-elle, le professionnalisme, c’est le conseil en amont sur les projets immobiliers ». Rien à voir, donc, avec le rôle du simple entremetteur « qui n’intervient qu’au moment de conclure les transactions ». Selon elle, seules des agences proprement dites et des professionnels aguerris sont à même de donner les meilleurs conseils, « d’accompagner les investisseurs, de les éclairer sur la demande pour rendre ces investissements pérennes et leur permettre de conserver ou d’augmenter leur valeur ». D’où son regret de voir beaucoup de gens se lancer dans des projets immobiliers sans maîtriser les codes du secteur et sans l’expertise nécessaire. « Ils le font à leurs risques et périls », déplore-t-elle.
Pertes Faramineuses
Faute de conseils avisés, des projets mal ficelés peuvent aboutir à des échecs cuisants, comme ceux constatés lors de la frénésie d’investissements sur les appartements meublés qui s’est emparée de Douala ces dix dernières années. « Des échecs dans l’immobilier, j’en vois beaucoup », témoigne Hortense Leconte. Ainsi de ces appartements conçus sans cuisine : « Je parle ici d’un immeuble de plus de sept étages, un investissement de plus de 1,5 milliard de francs CFA (plus de 2 millions d’euros), qui ne trouvera jamais de locataire en l’état. Il faudrait encore injecter des fonds pour le rendre exploitable »… Une mésaventure qui aurait pu être épargnée au promoteur, moyennant un accompagnement de qualité. Cela étant, la mutation du secteur, encore lente, semble en cours, encouragée par des réformes récentes qui cherchent à réguler le secteur et la profession d’agent immobilier. « Les gens comprennent de plus en plus l’intérêt d’une agence pour la viabilité d’un projet immobilier », assure la directrice de Lion’s Immo. C’est bien ce qu’il faut espérer, à l’heure du boom immobilier camerounais et de ses multiples opportunités d’investissement.
D’ici 30 ans, la population urbaine en Afrique subsaharienne devrait passer de 500 millions à près de 1,3 milliard d’habitants, avec un taux d’urbanisation de 59 % . Selon la Banque africaine de développement (BAD), la classe moyenne, elle, devrait croître de 355 millions à 1,1 milliard d’ici 2050. Conséquence directe de ce boom démographique et de l’élévation globale du niveau de vie observée ces dernières années, particulièrement dans les zones urbaines, le marché africain de l’immobilier est aujourd’hui en pleine effervescence. De fait, la demande en bâtiments de qualité, tant dans l’immobilier résidentiel que commercial ou touristique, ne cesse de progresser, attirant dans son sillage de nombreux promoteurs et investisseurs. Forbes Afrique est allé à la rencontre de quelques-uns des acteurs et projets emblématiques de ce secteur déterminant pour l’Afrique de demain.
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