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Charaf Tajer : “Avec Casablanca, on montre qu’en Afrique on est aussi des créateurs”

Styliste autodidacte, finaliste et lauréat du Prix LVMH en 2020, le Franco-Marocain Charaf Tajer bouscule les codes du luxe avec sa griffe Casablanca, qui a fait sensation lors de la dernière Fashion Week de Paris. Opérant une parfaite fusion entre luxe et confort, ce label de mode au vestiaire bourré d’exotisme s’impose parmi la nouvelle garde de la mode parisienne. Rencontre avec son créateur.

Paru dans l’édition N°76 – Propos recueillis par Thomas Mondo


Forbes Afrique : Comment se porte Casablanca ?

Charaf TAJER : Très bien ! Nous avons généré 50 millions d’euros cette année, alors que nous ne sommes que 70 personnes. Un très bon chiffre d’affaires pour une jeune marque (cinq ans) en pleine phase d’expansion, et qui essaie sans cesse de se réinventer. Aux débuts, on a tous un peu eu le syndrome de l’imposteur, surtout dans une industrie où il y a très peu de gens qui te ressemblent. Dieu merci, je n’ai plus ces complexes aujourd’hui. Et c’est ça, l’esprit Casablanca : on peut se dire « c’est un Arabe qui a fait ci, ou c’est un Noir qui a fait ça, c’est possible d’arriver à le faire »… Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra changer le monde. Il s’agit de faire comprendre que nous avons les capacités de prendre une place différente dans la société. C’est à la fois de la transmission et de la démystification, en tout cas pour « nos gens », parce que pour moi, c’était impossible de trouver un job dans la mode : il fallait que je crée mon job rêvé.


C’est la mission de votre marque, changer le monde à travers la mode ?

C. T. : Oui, et c’est tout un travail. Pas un travail de confrontation, mais de bonne entente diplomatique. Nous sommes
tout aussi capables que quiconque, à condition de travailler et de laisser nos complexes au vestiaire… Jusqu’ici, nous autres Africains étions perçus uniquement comme des consommateurs d’articles de luxe. Avec Casablanca, on montre qu’en Afrique on est aussi des créateurs.


Casablanca se distingue par ses créations pétillantes et colorées, ce qui contraste avec les codes usuels de la mode. Pourquoi ?

C. T. : Parce qu’il faut donner de l’espoir aux gens, raconter des histoires qui ne sont pas forcément simples, mais réussir à y trouver de la beauté. Même dans le chaos, il faut arriver à ressortir du positif. Entre les pavés tu as toujours une plante qui pousse. Et ça, c’est nous, c’est l’Afrique. La nouvelle collection Printemps 2 024 est inspirée du Nigéria et de l’énergie effervescente de Lagos, ville débordante d’art, de musique et de mode. Pour le défilé de présentation, nous avons utilisé la chanson « Suffering and Smiling » de Fela Kuti. Tout est là : souffrir et sourire en même temps.


Au-delà des couleurs, vous racontez aussi des histoires. Dans votre collection « Day of Victory », vous glissez par exemple une image de Sankara. Quel est le message ?

C. T. : Moi, je suis un anticolonial. Oui, on vend des vêtements, mais aussi des idées. C’est ça qui est intéressant. Le truc il est léger, tu peux le porter sans souci, mais il y a quand même un petit message, toujours une idée. Que ce soit autour de la nature, l’architecture, le politique, les psychédéliques… On touche de nombreux domaines.

Né à Paris de parents d’origine marocaine, Charaf Tajer a travaillé dans le monde de la nuit avant de créer la marque Casablanca

« Même dans le chaos, il faut arriver à ressortir du positif. Entre les pavés tu as toujours une plante qui pousse. Et ça, c’est nous, c’est l’Afrique »


Il y a un débat de plus en plus vif autour de la réappropriation par l’Afrique de son histoire et de son art. Votre défilé était-il un message ?

C. T. : Évidemment. C’était le but, et s’il y avait un message à retenir, ce serait : « Rendez les œuvres ». On est là, on ne va pas se cacher : aujourd’hui nous assumons ce que nous sommes, sans volonté d’offenser. Nous ne sommes pas là pour insulter nos frères blancs, mais pour affirmer une idée. Et de nombreux Européens sont d’accord avec nous. Après, l’histoire est ce qu’elle est, et ça ne bougera pas facilement ; mais pour le futur, il faut que ça change. Il
faut qu’il y ait des architectes noirs, des designers arabes… Je veux marcher dans les rues et voir des immeubles conçus par des gens de chez nous : « I have a dream ».


Votre marque est aujourd’hui à un tournant de son histoire. Cherchez-vous un investisseur ? Un groupe de luxe ? Parlez-vous à des investisseurs du continent ?

C. T. : Des investisseurs vont être annoncés d’ici peu et vous serez surpris. Ils ne sont pas africains : nous avons essayé, mais rien de probant, peut-être parce que, culturellement, ce n’est pas encore intégré. Peut-être qu’ils investissent plus dans l’énergie, les infrastructures, ce que je comprends, car ce sont des domaines qu’ils maîtrisent mieux. Mais à l’avenir il serait bon qu’ils financent leurs créateurs : ce continent regorge de tellement de pépites !


Quelle est l’ambition de Casablanca ?

C. T. : Devenir l’une des plus grosses marques de mode au monde… Intégrer le Top 5. Se développer, ouvrir un deuxième bureau à Paris en plus de celui de Londres, lancer notre univers beauté, puis aller vers le design et le mobilier, etc. Les possibilités sont infinies, en fait.


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