Nous nous trouvons aujourd’hui à un tournant déterminant de notre histoire. Le monde est confronté à plusieurs crises géopolitiques : l’invasion de l’Ukraine par la Russie a perturbé les marchés mondiaux de l’énergie, et le conflit au Moyen-Orient menace désormais de s’étendre aux pays voisins et de bloquer les routes commerciales mondiales. En outre, plusieurs pays africains sont confrontés à leurs propres défis en matière de sécurité. Tribune
Par Claudio Descalzi, PDG du Groupe ENI – Tribune Publiée Dans l’Édition N°78
Troquer L’Axe Est-Ouest Contre Un Axe Nord-Sud
Dans ce contexte, l’Europe, qui ne peut plus compter sur l’axe est-ouest – dont les flux de gaz en provenance de la Russie ont garanti sa sécurité énergétique pendant des décennies –, devrait chercher à promouvoir un nouvel axe la reliant au Sud, plus précisément au continent africain. Ce tournant historique nécessite un changement profond dans l’approche européenne de l’Afrique. Il ne s’agit pas seulement d’envisager la situation en termes de financement ou de modèles économiques, ce qui est, bien entendu, nécessaire et pertinent. Mais bien davantage de capitaliser sur la merveilleuse complexité de l’Afrique, la richesse de son capital humain et de ses ressources, la profondeur de son histoire et de ses valeurs, et de concevoir des alliances sur mesure basées sur l’écoute des besoins et de l’expertise de chaque pays. Respecter les différents stades de développement de ces derniers sera vital. Le principal défi de l’Afrique est que son économie ne croît pas assez vite. Le continent est jeune : 60 % des Africains ont moins de 25 ans et la population augmente d’environ 2,5 % par an. L’ONU prévoit que celle-ci atteindra 1,8 milliard de personnes d’ici 2030. Sur la même période, l’économie africaine connaîtra une croissance d’environ 4 % par an, soit un rythme trop lent pour répondre aux besoins des communautés aspirant légitimement à un niveau de vie plus élevé. À cela, il faut ajouter le défi de la dette publique croissante et la difficulté d’obtenir un financement compétitif, ainsi que les conflits et l’impact du changement climatique. Sans compter que la concurrence pour les sources d’énergie sape les progrès réalisés ces dernières années, en particulier dans les pays d’Afrique subsaharienne où le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’électricité a presque retrouvé le pic de 2013.
« L’Europe, qui ne peut plus compter sur l’axe est-ouest pour sa sécurité énergétique, devrait chercher à promouvoir un nouvel axe la reliant au Sud, plus précisément au continent africain »
Un Partenariat Naturel Pour Des Continents Voisins
D’un autre côté, les opportunités de croissance abondent sur le continent : la démographie de l’Afrique, ses immenses ressources naturelles – y compris les matières premières – et son potentiel énergétique décarboné peuvent ouvrir de nouvelles voies de développement. L’Europe s’impose comme le partenaire naturel de l’Afrique pour relever ces défis. En effet, l’Europe et l’Afrique sont des continents voisins, et leurs besoins sont complémentaires. Les pays européens disposent de ressources financières et technologiques et constituent un marché très vaste, mais ils manquent de sources sûres d’énergie diversifiée. Quant à l’Afrique, elle possède d’abondantes ressources énergétiques, mais ne dispose pas des financements ni des compétences nécessaires pour les développer par elle-même. Ces besoins mutuels constituent le fondement d’une collaboration logique, susceptible de soutenir le développement des deux continents sur le long terme. Les pays européens devraient travailler avec les pays africains pour créer des partenariats solides qui soutiennent le développement social et économique, l’accès à l’énergie et le développement responsable de leurs ressources. Des partenariats entre égaux, fondés sur le respect et répondant aux besoins de l’Afrique.
Privilégier La Création De Valeur À Long Terme
Nous devons partager les risques et assurer le progrès. Cette approche implique la volonté de prendre des risques avec des engagements à long terme aux côtés des communautés et des pays. Si l’objectif est une coopération fondée sur l’égalité et visant un développement partagé, les entreprises ne doivent pas se concentrer sur le profit à court terme, mais plutôt sur la création de valeur à long terme. C’est une approche qu’Eni a toujours adoptée en Afrique. Nous veillons à ce que l’énergie que nous produisons soit principalement destinée aux marchés locaux : environ 90 % de la production de gaz d’Eni en 2022 est ainsi restée dans le pays producteur. Nous investissons également dans les infrastructures, les énergies renouvelables, les centrales électriques et les réseaux de transport pour soutenir l’accès à l’énergie, ainsi que dans des initiatives visant à renforcer l’accès à la santé, à l’éducation et à la formation professionnelle. Quelques exemples au Congo : nous avons construit et exploité la Centrale électrique du Congo, fournissant 70 % de la capacité de production d’électricité du pays, et nous avons récemment lancé le Centre d’excellence d’Oyo pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, en collaboration avec la République du Congo et l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), avec l’ambition d’apporter des solutions innovantes à l’Afrique centrale, devenant ainsi une référence incontournable pour la transition énergétique dans la région. À travers ce modèle, nous visons à assurer un développement économique durable pour les communautés, en créant des emplois et en incluant l’Afrique dans les nouvelles chaînes d’approvisionnement internationales pour l’énergie décarbonée.
« Nous devons partager les risques et assurer le progrès »
L’Afrique Est Notre Passé, Notre Présent Et Notre Avenir
Prenez notre modèle innovant d’intégration verticale tout au long de la chaîne d’approvisionnement en biocarburants, qui exploite les déchets et les cultures oléagineuses comme le ricin, sans toutefois concurrencer la production alimentaire. Ces matières premières sont produites par les agriculteurs et transformées dans des agro-hubs dédiés. Les huiles végétales produites sont raffinées en biocarburants avancés – comme le carburant d’aviation durable que Kenya Airlines a testé pour ses vols vers Amsterdam. En 2022, les bioraffineries d’Eni ont reçu le premier chargement d’huile végétale produite par notre pôle agricole au Kenya, et d’autres sont en cours de lancement au Congo, en Angola, en Côte d’Ivoire et au Mozambique. Ensemble, ces éléments ont le potentiel de créer des centaines de milliers d’emplois à travers le continent. Les pays inclus dans cette chaîne de production valorisent ces activités durables, qui capitalisent sur le marché mondial croissant des carburants durables et offrent des sources de revenus garanties et des opportunités de développement à de nombreuses familles, compte tenu de la main-d’œuvre nécessaire pour produire des matières premières durables. Chez Eni, nous disons toujours que l’Afrique est notre passé, notre présent et notre avenir. C’est le continent où nous avons fait nos premiers pas dans les années 1950, où nous sourçons aujourd’hui plus de la moitié de notre production et où nous développons certaines des initiatives de transition les plus prometteuses vers l’énergie du futur. Nous avons créé de la valeur pour les communautés locales et avons prouvé que nous sommes des partenaires fiables. C’est, je crois, le genre d’alliances dont l’Afrique et l’Europe ont toutes deux besoin.
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