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Didier Claes : “Les Pays Africains Devraient Négocier Un  Droit De Suite Lors Des Ventes Publiques d’Objets d’Art”

La vente publique de 100 objets d’art d’Afrique et d’Océanie, organisée le 06 mars dernier chez Christie’s à Paris, a dépassé les attentes, particulièrement pour l’art africain. Une tête Fang du Gabon, adjugée pour 14.770.000 Euros, est devenue l’œuvre d’art africain le mieux vendu de l’histoire, détrônant la statue Sénoufo de la Côte d’Ivoire, vendue 12.000.000 USD en 2014. Pour sa part, un “Nkisi N’kondi” de la République démocratique du Congo, un fétiche à clous, a été vendu au prix de 9.000.000 d’Euros, devenant l’objet d’art congolais le plus cher et le troisième objet d’art africain de l’histoire vendu à un prix élevé. Didier Claes, marchand d’art belgo-congolais de réputation internationale, analyse les enjeux de cette vente publique, dans un contexte où le marché de l’art africain fluctue entre prix records et désintérêt latent des musées internationaux.  

Patrick Ndungidi


Forbes Afrique : Pourriez-Vous Nous Situer Le Contexte De La Récente Vente Publique Organisée Chez Christie’s En France ? 

Didier Claes : La collection vendue date de plus ou moins un siècle et appartenait à Joseph Mueller, banquier suisse qui résidait entre Genève et Paris. Il a commencé à acheter des objets d’art, dont des objets d’art africain, depuis 1920 ou 1930. Dans les années 70, sa fille, Monique Mueller, a épousé Jean-Paul Barbier, un autre banquier d’affaires. Ce dernier, également grand amateur d’art, a enrichi, pendant 40 ans, la collection de son beau-père. C’est ainsi que la collection s’appelle Barbier-Mueller. 

Jean-Paul Barbier a créé le musée et la Fondation Barbier-Mueller à Genève. Pendant 40 ans, il a organisé des expositions, promu l’art d’Afrique ainsi que de l’Océanie et a également acquis plusieurs objets. La collection Barbier-Mueller est donc mondialement connue. Le couple étant décédé, les ayants droit ont décidé de mettre la collection en vente publique. Dans cette collection figuraient des objets avec de prestigieuses provenances, présents en Europe depuis longtemps et sur le marché depuis un siècle. C’est ainsi que la vente organisée chez Christie’s a eu autant de succès. Les estimations des objets d’art vendus étaient élevées.


Pourquoi Les Prix Ont-Ils Été Aussi élevés ?

DC : Les prix évoluent en fonction du marché et au fil des années. Une statue Sénoufo de Côte d’Ivoire, vendue pour 1.000.000 USD en 1991, a été adjugée chez Sotheby’s en 2014 pour le prix de 12.000.000 USD. Et, aujourd’hui, le Gabon prend la première place du classement des objets d’art africain les mieux vendus, avec la tête Fang, adjugée pour 14.770.000 Euros lors de la vente chez Christie’s. La République démocratique du Congo prend la troisième place avec un nouveau record mondial pour une statue fétiche Kongo adjugée pour 9.000.000 d’Euros. Les records sont visibles dans les ventes publiques, mais il existe aussi des records moins visibles qui sont obtenus par des marchands.


Quels Sont Les Critères De Fixation Du Prix ?

DC : Depuis l’émergence du débat sur la restitution des œuvres d’art, le marché est devenu plus exigeant sur la provenance des objets. Le collectionneur d’art africain a des critères d’achat : l’authenticité de l’œuvre doit être indiscutable ; la qualité intrinsèque de l’œuvre, c’est-à-dire que c’est une des plus belles œuvres dans son style, et la provenance doit être irréprochable et inattaquable. Tous ces critères réunis motivent les collectionneurs à payer le prix fort pour acquérir ces œuvres devenues rares sur le marché. Néanmoins, le prix de la tête Fang du Gabon vendue chez Christie’s est inattendu et complètement fou. Même si la pièce est de qualité, personne sur le marché n’aurait pu s’imaginer qu’elle serait vendue à ce prix-là. Mais, les ventes publiques sont souvent synonymes de bataille de riches et d’égos. « L’effet vente publique », comme on le qualifie dans notre jargon, pousse parfois l’acheteur à surpayer une pièce .


La Tête Fang Est-Elle Une Pièce Unique ?

DC : Toutes les pièces sont uniques, même si les têtes Fang existent par centaines. Mais, celles qui sont de cette qualité sont quand même difficiles à trouver sur le marché. 

La collection Barbier-Mueller explose les compteurs chez Christie’s (Art africain et océanien) ont totalisé 73 millions d’euros le 6 mars à Paris.

Les Pays Africains d’Où Proviennent Ces Pièces Ne Bénéficient d’Aucun Revenu Lié à La Vente ?

DC : L’argent de la vente revient aux descendants de la famille, tandis que la maison de vente publique perçoit 30 % du montant. Les droits d’auteur et des droits d’artiste existent en Europe. Ma conviction a toujours été d’instaurer un droit d’auteur pour le pays d’origine de l’objet vendu. Néanmoins, ces pièces sont vendues et revendues sur le marché depuis un siècle, mais les Africains ne s’y intéressent pas. L’art africain ne pourra prendre son réel envol que quand les Africains eux mêmes vont s’y intéresser. Très peu ou pas d’Africains n’achètent d’objets d’art contemporain africain, alors que plusieurs Africains sont fortunés. En dehors du regretté Sindika Dokolo, aucun autre collectionneur africain n’est visible sur le marché.

Comment peut-on aujourd’hui promouvoir l’idée de la restitution d’œuvres africaines si les Africains n’accordent aucun intérêt à leurs propres œuvres ?


Comment Y Remédier ?

DC : Lors de la même vente publique, 5 objets d’Océanie ont été préemptés par le musée du Quai Branly. Le droit de préemption, qui est uniquement un droit français, donne à l’État français la priorité d’achat d’une pièce pour un de ses musées. Les pays africains devraient se donner ce droit de préemption. Ils devraient aussi négocier un « droit de suite » auprès des sociétés de vente aux enchères et des marchands d’art africain. Ce droit de suite leur permettrait  de bénéficier d’une partie des sommes que génère la vente d’objets africains sur le marché international.  L’argent ainsi obtenu pourrait servir à l’entretien ou à la conservation des pièces dans les musées ou encore à l’achat d’autres pièces. C’est une démarche intelligente et ciblée. 


Ces Ventes Records Sont-Elles Un Signe d’Un Plus Grand Engouement Pour l’Art Africain ?

DC : Le musée du Quai Branly a préempté 5 objets d’Océanie, mais aucun objet africain. Aujourd’hui, les musées européens et occidentaux se montrent réticents pour l’acquisition ou l’achat d’objets d’art africain et n’organisent plus d’exposition depuis le débat sur la restitution d’œuvres d’art. L’art africain est donc en train de disparaître du marché à cause de toute la polémique liée au discours sur la provenance et la restitution. Ainsi, d’un côté, l’art africain enregistre des ventes records, mais, de l’autre côté, les musées occidentaux ne veulent plus en entendre parler. C’est le revers de la médaille. Nous sommes en train d’opérer un retour en arrière, alors que nous devons mettre en avant notre art.  


Les Musées Africains Détiennent-Ils Des Pièces Qui Peuvent Valoir Cher Sur Le Marché International ?

DC : La valeur d’une pièce se construit sur trois critères : authenticité, beauté et histoire. Les collectionneurs achètent toujours une histoire. Nos musées détiennent également des pièces exceptionnelles, notamment en République démocratique du Congo, en Côte ou encore au Mali. Mais, aujourd’hui, les collections occidentales possèdent les grands chefs-d’œuvre. Beaucoup d’objets ont aussi malheureusement été détruits et perdus à jamais. 

La valeur d’une pièce se construit sur trois critères : authenticité, beauté et histoire.


Quel Avenir Aujourd’hui Pour l’Art Africain ?

DC : Le marché de l’art africain a été créé depuis un siècle par des collectionneurs passionnés de cet art. Des collections existent depuis des décennies et la valeur ainsi que le prix de ces objets augmentent fortement au fil des années. Malheureusement, tout au long de cette période, les Africains ne se sont pas intéressés à leur propre art. Aujourd’hui, quand ces objets sont vendus à grands prix, tous les regards se tournent vers ces ventes. Mais, les collectionneurs ont acquis ces objets depuis des dizaines d’années et ont cru au potentiel du marché de l’art africain. Actuellement, ce marché existe et nous devons mettre en place des stratégies pour profiter des opportunités qu’il offre. 


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