Hier star des terrains de football, aujourd’hui maître des platines, Djibril Cissé reste avant tout un esprit rebelle et créatif. Une faculté à s’adapter et se réinventer qui a guidé toute sa carrière. Rencontre avec un électron libre.
Par Dounia Ben Mohamed, Alix Martin et Léopold Muta
Savoir dire stop et s’arrêter malgré l’irrépressible envie de prolonger « encore un peu ». Nombre d’anciens athlètes de haut niveau le reconnaîtront sans ambages : mettre un terme à une carrière marquée par l’adrénaline de la compétition et la gloire s’apparente le plus souvent à une « petite mort ». Pour Djibril Cissé, ce moment est survenu un jour d’octobre 2015, lorsque sur le plateau de l’émission J+1 de la chaîne Canal+, l’ex-attaquant de l’Olympique de Marseille annonça, ému, qu’il prenait sa retraite sportive à 34 ans. « Il faut savoir écouter son corps. Oui, c’est fini », lâcha avec peine le sportif, infortunée victime de blessures en série (fractures répétées du tibia-péroné aux jambes droite et gauche en 2004 et 2006). « Djib », auteur de 9 buts en 41 sélections en équipe de France, eut beau revenir peu après sur sa décision, effectuant un ultime baroud d’honneur à l’Yverdon-Sport, club semi-professionnel de troisième division suisse, l’issue resta la même : face au passage du temps, même les meilleurs s’effacent. Il ne pouvait y avoir qu’un clap de fin pour celui qui régala en attaque les aficionados du ballon rond à Marseille (2006-2008) et le public grec du Panathinaïkos (2009-2011). Et qui compte à son actif quelques moments inscrits dans la légende, tels que la finale de Coupe d’Angleterre remportée en 2006 avec Liverpool ou la victoire en Ligue des champions, décrochée en 2005, au terme d’une finale gagnée aux tirs au but par des Reds en lévitation contre leurs rivaux italiens du Milan AC.
Une singulière reconversion
Parti de rien (benjamin d’une fratrie de sept enfants élevés modestement par une mère courage) et arrivé à tout, le footballeur Djibril Cissé aura, à sa manière, marqué son époque. Un personnage haut en couleur, détonnant mélange de maestria technique sur les terrains et de « badass attitude », avec son franc-parler et ses mythiques coupes de cheveux, peroxydées à la Wesley Snipes. Et qui aujourd’hui, se réinvente avec succès. En homme libre, désireux de tracer son propre chemin. Envers et contre tout. « On peut tout te prendre ; tes biens, tes plus belles années, l’ensemble de tes joies, et l’ensemble de tes mérites, jusqu’à ta dernière chemise. Il te restera toujours tes rêves pour réinventer le monde que l’on t’a confisqué », fait joliment dire l’écrivain algérien Yasmina Khadra à l’un des protagonistes de son roman« L’Attentat ». Il y a assurément de cela dans la singulière mue opérée par Djibril Cissé.
Bien qu’encore très attaché au ballon rond, l’ancien attaquant international s’est lancé un nouveau défi : s’imposer dans l’univers de la musique. Une passion de jeunesse, qui ne l’a jamais quitté et à laquelle il donne désormais une orientation plus professionnelle, sous le « nom de tribu » ivoirien Tcheba (« le guerrier »). « J’ai toujours mixé », explique l’intéressé, qui confie « avoir commencé vers l’âge de 14 ans, en mode hobby » avant de progressivement « [gagner] en expérience ». Jusqu’au déclic, survenu à l’heure du choix décisif. « Quand j’ai arrêté le foot, je me suis dit : pourquoi ne pas faire ce que j’aime ? Et la passion a pris le dessus », se remémore Djibril Cissé.

Entamés sans tambour ni trompette dans le sud de la France, les débuts de carrière du nouveau DJ bénéficient de la bienveillance d’amis patrons de discothèque, qui savent qu’il mixe et l’invitent à se produire à une date, puis deux… Petit à petit, le mélomane appliqué enchaîne les sets, joue dans de plus grands clubs, puis en festival (Summer Vibes Festival de Fréjus, New Horizons en Allemagne, Cabaret Vert à Charleville-Mézières, Tomorrowland Winter dans les Alpes françaises, Résidence Secondaire à Belfort…), pour finalement officier aux platines devant une foule en transe, comme en 2021, à l’occasion de La Sunday à Abidjan, « une soirée incroyable qui aura rassemblé 10 à 20 000 personnes », s’extasie encore DJ Tcheba. Si la reconversion s’est opérée naturellement pour lui, dans la continuité du fashion way of life que mènent souvent les stars du ballon rond (soirées mondaines, invitation à des événements, collaborations avec des marques prestigieuses, interviews sur les plateaux télé), « le plus dur a été de faire comprendre aux gens qu’il n’y a pas qu’un seul Djibril Cissé. On peut avoir plusieurs passions, plusieurs carrières, plusieurs vies »… Et se montrer crédible, aussi bien avec la flamboyance de ses jambes sur les pelouses qu’avec la dextérité de ses mains aux platines. Défi relevé brillamment : après avoir terrorisé les défenses adverses pendant des années, le footballeur le plus stylé du début de siècle continue d’aller droit au but et de faire vibrer les foules. « La relation avec le public, c’est ce qui me motive. Marquer un but, c’est comme placer le bon track et le bon drop : on suscite une relation instantanée ! », s’enthousiasme l’ex-international. « Il a le même style que lorsqu’il était sur les terrains, c’est à dire percutant et généreux », dit de lui Jean-Paul Rolland, le directeur des Eurockéennes. Le 24 septembre dernier, succédant à de grands noms de la nuit (Kungs, Vladimir Cauchemra, Mila Dietrich…), DJ Tcheba a livré un set de feu à la Résidence Secondaire, nouveau rendez-vous électro du mythique festival français. Un concert d’envergure, qui n’était cependant pas une première pour notre « reconverti », puisque celui-ci avait déjà assuré en 2016 la première partie de Maria Carey à Bercy… avec « Papa » Guy Roux dans la fosse. Et pour cause : l’entraîneur iconique de l’AJ Auxerre a toujours été très proche de Djibril Cissé, qu’il a formé à l’époque de ses jeunes années bourguignonnes.