Fidèle à sa ligne protectionniste, le président américain a décidé d’imposer une taxe de 10 % sur tous les produits importés aux États-Unis. Une mesure qui, à l’image du reste du monde, impactera les pays africains. Analyse.
Par Charles Kikenge
Beaucoup de Bruit Pour des Retombées Limitées
Annoncée en fanfare le 2 avril par l’administration Trump, la mise en place de taxes douanières additionnelles frappant l’ensemble des partenaires commerciaux des États-Unis a finalement été suspendue pour quatre-vingt-dix jours, à l’exception des marchandises en provenance de Chine. Certes, une barrière protectionniste demeurera a minima, avec la fixation d’un taux générique de 10 % sur les produits étrangers importés. On est toutefois loin des taxes envisagées jusqu’ici (jusqu’à 50 % d’ajout prévu… pour le Lesotho), qui menaçaient de déstabiliser l’économie mondiale. La montagne aura donc accouché d’une souris, mais le mal est fait, notamment sur le continent africain. En valeur absolue, c’est l’Afrique du Sud qui paiera le plus lourd tribut, le pays le plus industrialisé du continent exportant plus de 14 milliards de dollars de marchandises par an vers les États-Unis, notamment via sa filière automobile (véhicules et pièces détachées).
Passé le choc des effets d’annonce, l’impact réel de ces nouvelles mesures tarifaires devrait néanmoins être limité. Et pour cause : dans la foulée de sa décision d’imposer de nouveaux droits de douane au reste du monde, la Maison-Blanche a publié en parallèle une liste de produits qui seront a priori exemptés. Or, ces marchandises comprennent les ressources énergétiques (pétrole, gaz…), ainsi que des matières premières peu disponibles aux États-Unis (or, cuivre, bois…), ce qui épargnera de facto les minerais de la RDC, les ressources aurifères ouest-africaines (Mali, Ghana, Sénégal…) ou encore les hydrocarbures en provenance d’Algérie, d’Angola ou du Nigéria.
« La montagne aura donc accouché d’une souris, mais le mal est fait, notamment sur le continent africain »
L’AGOA en Sursis
Instauré en 2000 par le président Bill Clinton, l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) – un accord permettant d’ouvrir le marché américain à 1 800 produits issus de 32 pays africains, exonérés de droits de douane – voit aujourd’hui son avenir s’écrire en pointillés. Renouvelé en 2015 par Barack Obama pour être prorogé jusqu’en 2025, le dispositif expirera en septembre, à moins que le Congrès n’accepte de le prolonger, comme l’avait préconisé une commission bipartisane avant l’élection de Donald Trump. Au vu des multiples attaques du locataire de la Maison-Blanche contre le système multilatéral international, et de sa posture protectionniste assumée, ce scénario d’une reconduction de l’AGOA semble désormais très incertain.
« Renouvelé en 2015 par Barack Obama pour être prorogé jusqu’en 2025, le dispositif expirera en septembre, à moins que le Congrès n’accepte de le prolonger »
De fait, avec la nouvelle taxation indistincte de 10 % imposée aux produits étrangers importés aux États-Unis, le dispositif est déjà techniquement « inopérant ». Au grand dam des opérateurs privés du continent qui ont longtemps bénéficié à plein de cet accord, à l’image des secteurs de l’habillement, du textile et de l’industrie légère dans des pays tels que le Kenya, Madagascar, Maurice ou le Lesotho. Bâti par ses initiateurs sur le principe du « trade, not aid » (le commerce plutôt que la charité), l’AGOA pourrait ainsi disparaître à l’ère trumpienne du « no trade and no aid » (ni commerce ni aide), le président américain ayant déjà acté le démantèlement de l’agence américaine pour le développement (USAID, voir ci-dessous), dont le continent africain était jusque-là le premier bénéficiaire. Une bien sombre perspective…
« Bâti par ses initiateurs sur le principe du « trade, not aid » (le commerce plutôt que la charité), l’AGOA pourrait ainsi disparaître à l’ère trumpienne du « no trade and no aid » (ni commerce ni aide) »
Un Affaiblissement Durable du Soft Power Américain
Cette attaque en règle généralisée contre le multilatéralisme jusque-là établi a fort logiquement fait réagir l’Union africaine. Par la voix de Nuur Mohamud Sheekh, porte-parole du président de la Commission de l’UA, l’institution panafricaine a ainsi « exhort[é] les États-Unis à reconsidérer cette décision », celle-ci disant « croire en la construction de ponts, et non de barrières […] ». On l’aura compris, le message de l’organisation continentale se veut pour l’heure mesuré et constructif, mais rien ne dit qu’il en sera toujours de même ; surtout si l’administration Trump persiste dans sa volonté d’imposer une logique permanente de rapports de force.
Là est le vrai risque pour les États-Unis, longtemps présentés comme le leader et modèle à suivre du monde libre. En effet, à plus long terme, cette politique protectionniste agressive risque d’affaiblir les intérêts américains sur un continent jeune et en pleine croissance, et où Pékin a depuis longtemps une longueur d’avance. Les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique sont d’ores et déjà sept fois supérieurs à ceux existant entre les États-Unis et l’Afrique (respectivement 282 milliards de dollars contre 39 milliards de dollars en 2023). De quoi accélérer encore l’actuelle dynamique de réorientation des flux commerciaux vers des partenaires moins imprévisibles…

Démantèlement de l’USAID : Quelles Conséquences Pour l’Afrique ?
Outre la guerre commerciale engagée par Donald Trump, l’administration américaine a brutalement mis fin, début février, à des programmes entiers de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), le principal bailleur de la solidarité internationale en Afrique. Un tour de vis massif qui se traduira, selon une analyse du Center for Global Development (CDG) par un arrêt complet des financements pour neuf pays africains (les Comores, l’Eswatini, la Gambie, la Guinée, le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal, la Sierra Leone et la Tunisie) et un « manque à gagner » cumulé annuel de plusieurs milliards de dollars pour les principaux pays bénéficiaires de l’aide américaine sur le continent (Éthiopie, RDC, Ouganda, Afrique du Sud, Kenya).