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Édition numérique : l’Afrique, nouvel eldorado ?

Sur le continent africain aussi, le digital s’est résolument frayé un chemin dans le domaine de l’édition et les initiatives en ce domaine se multiplient depuis la pandémie. Le secteur doit cependant résoudre plusieurs défis liés à un manque d’encadrement structurel. 

Par Kokou Gamado


« Faire en sorte que chaque téléphone mobile puisse devenir une bibliothèque de poche » : telle est l’ambition de Juan Pirlot de Corbion, président de YouScribe, bibliothèque numérique présente dans 11 pays d’Afrique et qui revendique 1,3 million d’abonnés, quatre ans après son arrivée sur le continent en 2019. La start-up, dont l’ambition est de « démocratiser l’accès à la lecture »(1), propose à ses abonnés des tarifs avantageux : 150 francs CFA par jour (0,23 euro) ou 500 francs CFA (0,76 euro) par semaine, pour un accès sans publicité (et possible hors connexion) à de multiples contenus. Livres, presse, livres audio, podcasts, ressources pédagogiques sont en effet à leur disposition. Le paiement se fait par le biais de l’abonnement téléphonique, la start-up ayant noué des accords avec des opérateurs locaux. Et le succès est au rendez-vous : avec vingt collaborateurs, dont le tiers en Afrique, elle vise une présence dans 20 pays d’Afrique d’ici deux ans.

Loin d’elle l’idée de concurrencer les éditeurs papier, bien au contraire : YouScribe a noué des accords avec plus de 2 000 éditeurs qui apportent leur catalogue sur la plate-forme, celle-ci leur redistribuant 60 % de ses revenus en calculant leur part au prorata de la page lue. Un accord gagnant-gagnant en somme, qui permet aux éditeurs de bénéficier d’une diffusion internationale, et qui prouve que les livres papier et numériques sont des supports complémentaires et non opposés.


Les avantages de l’édition numérique

Pour des éditeurs confrontés en Afrique à de multiples problèmes, dont celui de l’acheminement des ouvrages, le numérique constitue donc une réelle opportunité. Beaucoup, d’ailleurs, ont accéléré l’adoption de solutions de publication numérique lors de la pandémie.

L’écrivain et poète Mawuse Heka, fondateur des Éditions Awoudy au Togo, y voit des avantages non négligeables : « Dans l’édition classique, il y a beaucoup de dépenses pour les travaux de prépresse et d’impression : film, calques, plaques, papier, etc. Tous ces coûts sont supprimés avec le numérique. Aussi, la mobilité des livres d’un pays à l’autre avec des frais de dédouanement par endroits ne facilite pas les choses, ce qui n’existe pas avec le numérique. Enfin, le livre numérique permet d’atteindre en un temps record un lectorat situé d’un bout à l’autre du monde ». Via son partenaire immateriel.fr, sa maison distribue en effet ses livres numériques sur plusieurs plate-formes dont 7switch.com, ainsi que les libraires.ca « On peut donc, à moindres frais, éditer et publier un ouvrage accessible partout », ajoute-t-il.

Kodjo Agbémélé, directeur des éditions Azur (Lomé) renchérit : « L’espace (la géographie donc), quoi qu’on dise, est toujours un défi permanent, d’autant que les livres n’ont pas de pieds ! ».


Des freins majeurs

Toutefois, l’engouement actuel pour les publications numériques n’annihile en rien les défis auxquels ce secteur est confronté. « Nous sommes à un carrefour entre la forme classique et des essais timides sur la nouvelle forme », résume Mawuse Heka, en indiquant que sa maison en est à « plus de 350 titres publiés, avec à peine 50 livres numériques en ligne ».

Plus encore en numérique, le manque général de structuration et de visibilité de l’édition africaine constitue pour les éditeurs un frein majeur. Tout comme le manque de formation aux outils numériques, l’absence d’harmonisation bancaire (qui faciliterait les transactions en ligne d’un pays à l’autre), et, au-delà, un manque de soutien des pouvoirs publics. Si le Maghreb et les grands pays d’Afrique anglophones (Nigeria, Kenya, Afrique du Sud) sont les plus dynamiques en matière d’édition numérique, c’est aussi parce que ces pays bénéficient de politiques publiques du livre.

« Nos petits efforts individuels ne pourront pas grand-chose face à ces défis », lance le patron des Éditions Awoudy. D’autant que dans les pays développés, les éditeurs sont dotés de bien plus de moyens. « Ils produisent de grands auteurs et s’appuient sur des machines de distribution », souligne un expert qui souhaite garder l’anonymat. « L’édition constitue une affaire nationale et non celle de quelques entrepreneurs », ajoute-t-il.

Un autre acteur nous confie : « On peut dire oui pour l’avenir de l’édition numérique en Afrique en ce sens que le monde est en profonde mutation vers le numérique, qu’on le veuille ou non. Et donc l’Afrique n’y échappera pas. Cela prendra juste du temps pour être très significatif, mais l’avenir est prometteur ».


Protéger les auteurs

« Au-delà de la multiplication des plate-formes, la question fondamentale demeure la plus-value apportée à l’auteur », souligne pour sa part Kodjo Agbémélé. Le livre numérique, en effet, n’a pas forcément les faveurs de tous les auteurs. Dans son ouvrage Le verbe libre ou le silence, paru en 2023 (Albin Michel), Fatou Diome s’insurge ainsi : « Internet vient spolier les écrivains. Avec le piratage des livres, des amoraux de tous les pays, unis par le même esprit de charognard, se repaissent de notre labeur, tout en nous vidant les poches ». Et l’écrivaine franco-sénégalaise d’ajouter : « Mais peut-on blâmer sans chapitrer les éditeurs qui leur rendent la tâche facile ? Mettre les livres en version numérique, sans les sécuriser convenablement, c’est les mettre gracieusement à la disposition de la planète entière ; et les auteurs y perdent plus que les éditeurs. Ces derniers comptant sur leurs pléthoriques fonds d’édition et la masse de leurs nouvelles publications, alors que l’écrivain, lui, table sur sa seule et unique plume ».


Un marché encore émergent

Pour l’heure, si les ventes de livres numériques en Afrique ont augmenté de manière significative ces deux dernières années, elles restent encore limitées. Selon une étude de 2020 menée par la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA), l’Afrique représente 1 % du marché mondial de l’édition numérique. Toutefois, sa croissance annuelle est de 5 %. Une autre étude menée en 2021 par la Fondation Bill et Melinda Gates révèle que le taux d’adoption de l’édition numérique en Afrique subsaharienne est d’environ 10 %, ce qui est inférieur à la moyenne mondiale de 15 %. Le continent ne revendique d’ailleurs qu’une part marginale du marché mondial du livre, estimé à 89,25 milliards de dollars en 2022.

Une chose de sûre : parce qu’il constitue une réponse partielle aux difficultés d’accès au livre en Afrique, le livre numérique y a indéniablement un bel avenir, surtout quand on considère le fort développement de l’offre téléphonique mobile sur le continent. Reste à espérer l’émergence d’un réel modèle économique et une meilleure reconnaissance internationale de l’édition africaine.


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(1) Les usagers peuvent aussi y publier gratuitement leurs écrits. À terme, l’objectif est qu’ils puissent tirer un revenu de cette activité de publication. 

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