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La CAN, un enjeu majeur pour les pays hôtes

Lancée pour la première fois en 1957, la Coupe d’Afrique des nations (CAN) suscite aujourd’hui un engouement qui rassemble des centaines de millions de fans à travers le continent et représente un poids économique se chiffrant en dizaines de milliards de francs CFA, au point que l’organisation de cette compétition est devenue un enjeu considérable pour chaque pays hôte, à l’image de la Côte d’Ivoire. Analyse.

Par Szymon Jagiello & Julia Romano


Tic tac tic tac tic tac… Cela fait maintenant un moment que le compte à rebours a commencé, déchaînant passions, ambitions et espoirs autour de la 34e édition de la grand-messe continentale du foot, la Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui aura lieu du 13 janvier au 11 février 2024 en Côte d’Ivoire. Événement majeur du football international, cette compétition représente un défi de taille pour le « Pays des Éléphants », qui a là bien plus à gagner que le trophée le plus prestigieux du continent.

Défi que les autorités ont relevé avec détermination, en lançant un vaste plan de construction et de rénovation des infrastructures sportives et routières, dont le montant estimatif total se chiffre à plus de 1 000 milliards de francs CFA (environ 1,6 milliard d’euros). Des infrastructures « de classe Coupe du monde » selon les mots du président de la CAF Patrice Motsepe, et qui devraient permettre d’accueillir « la meilleure CAN jamais organisée en Afrique ». Sans parler des milliards de francs CFA que la CAN va rapporter à la Côte d’Ivoire – droits de diffusion, ventes de places, retombées économiques attendues dans les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, projets de restructuration et partenariats internationaux… –, l’événement vise aussi à conforter le soft power d’une Côte d’Ivoire assumant sa place dans le concert des Nations et ayant toujours été associée, même aux heures les plus sombres, à l’une des grandes nations du football continental. Reste à inscrire ces retombées dans une démarche durable et inclusive, et faire en sorte qu’elles permettent de capitaliser sur aujourd’hui pour mieux construire demain.

Focus CAN 2024 – Dossier coordonné par Élodie Vermeil & Jérémie Suchard, publié dans l’Édition N°76 de Déc. 2023 – Janv. 2024

Patrice Motsepe, Président de la CAF

Reporté de plusieurs mois pour des raisons climatiques, le coup d’envoi de la nouvelle édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) en Côte d’Ivoire sera enfin donné en janvier 2024. Soucieuses d’organiser une compétition digne de ce nom, « les autorités ivoiriennes ont mobilisé plus de 1 milliard de dollars d’investissement », affirme Yacine Idriss Diallo, à la tête de la Fédération ivoirienne de football (FIF). De la mise sur pied de nouvelles autoroutes – comme le tronçon Tiébissou-Bouaké – au développement de complexes hôteliers modernes, en passant par la construction d’installations répondant aux normes internationales, à l’instar du stade Laurent Pokou de San Pedro (64 millions d’euros), elles ont dépensé sans compter, faisant de la Côte d’Ivoire un véritable chantier à ciel ouvert. Un pari audacieux qui soulève une question : pourquoi la terre d’Éburnie a-t-elle consenti à investir autant d’argent afin d’accueillir ce tournoi ? « Depuis la dernière CAN organisée par la Côte d’Ivoire en 1984, le monde du ballon rond a beaucoup changé », observe l’ex-footballeur professionnel Lassina Diabaté.


La CAN sur le devant de la scène

L’homme, qui est le président-fondateur de Réseau Premium [un réseau de mise en relation d’affaires, de partage et d’échange ouvert aux dirigeants de TPE, PME, professions libérales, commerçants, artisans…, de tout secteur d’activité, NDLR], fait remarquer : « Alors que par le passé on jouait sur des terrains très compliqués qui ne facilitaient pas la bonne pratique du football, la modernité des stades permet aujourd’hui d’attirer plus de gens avec, par exemple, des accès facilités aux tribunes. » Au-delà des infrastructures sportives, l’émergence des nouveaux moyens de communication est apparue au fil du temps comme un apport supplémentaire pour l’évolution de la CAN en augmentant considérablement sa visibilité. « Alors qu’en 1984, souligne l’ancien international ivoirien, seule la chaîne de télévision nationale retransmettait les matchs de la CAN qui se déroulaient dans deux stades, les réseaux sociaux ont changé la donne en véhiculant plus rapidement et de manière virale les grands événements ».

Autres facteurs non négligeables, la décision d’organiser ce tournoi africain lors des années impaires– contrairement à la Coupe du monde de football ou aux Jeux olympiques, par exemple, qui se déroulent dans les années paires – a contribué à augmenter la portée de la CAN en évitant la concurrence d’autres compétitions majeures. Enfin, l’augmentation du nombre de qualifiés – passé de 12 pays en 1994 à 24 équipes aujourd’hui – participant à la CAN a permis d’accroître considérablement le nombre de spectateurs qui suivent ce tournoi avec « plus de 500 millions de personnes issues de 160 nations qui ont regardé les matchs de la CAN 2021 au Cameroun à la télévision », comme le révèle Jean-Philippe Serbera, professeur associé à l’ESC Pau Business School. Des chiffres affolants qui attestent de l’attractivité de la CAN, devenue aujourd’hui, contrairement au passé, une compétition capable de mobiliser massivement des amateurs de football. Avec l’essor de l’usage des outils numériques et télévisuels, elle représente une opportunité fortement intéressante pour un pays hôte de faire sa promotion auprès d’une très large audience composée de centaines de millions de personnes et d’investisseurs potentiels.

« La CAN peut s’avérer coûteuse à plusieurs niveaux si elle ne s’intègre pas dans un plan de développement global qui, outre les stades, intègre la jeunesse, l’urbanisation, la formation, l’emploi, le tourisme voire le transport. En d’autres termes, il faut adopter une approche holistique qui permette effectivement de créer un écosystème économiquement durable »


Des enjeux économiques

Dans le contexte ivoirien, par exemple, il s’agira notamment de montrer aux yeux du monde que cet État s’est mué en un hub sportif, économique et politique stable, douze ans après avoir connu des troubles postélectoraux qui auraient fait plus de 3 000 morts.

Outre l’aspect marketing, la tenue d’un tel événement génère aussi des recettes juteuses auprès d’un sport qui fédère généralement des millions de passionnés sur le continent et dans le reste du monde. Ainsi, estime le professeur Serbera, « l’organisation de cette compétition permet de connaître une hausse de 30 % des revenus touristiques à l’échelle nationale et des recettes importantes évaluées à 80 millions d’euros pour l’Égypte en 2019, soit plus que les éditions précédentes en Guinée Équatoriale, puis au Gabon ».

Dans cette course aux bénéfices, les sponsors ne sont pas en reste. « TotalEnergies a déboursé 250 millions d’euros pour associer son nom à la CAN », précise l’enseignant. Un montant important qui a, entre autres, « permis à la Confédération africaine de football (CAF) de générer des revenus de l’ordre de 35 millions d’euros lors de la CAN 2021 ».

Cependant, comme le démontre le cas ivoirien, les revenus potentiels sont toujours liés à des dépenses et, à cet égard, le pays d’accueil ne lésine pas sur les moyens. « Pour la CAN 2021, au Cameroun, le montant des investissements se situait entre 520 et 700 milliards de francs CFA (800 millions à 1 milliard d’euros), incluant la construction du stade d’Olembé à Yaoundé (260 millions d’euros), voire les dépenses de sécurité liées à la menace terroriste et aux mouvements de foule », note Jean-Philippe Serbera. Des financements massifs, pour une compétition d’un mois, qui creusent les dettes publiques des pays organisateurs – celle de la Côte d’Ivoire est estimée à 60,7 % du produit intérieur brut (PIB) selon le ministère français de l’Économie – et peut parfois accoucher d’« éléphants blancs » écornant l’image du pays organisateur.

Le bassin olympique des JO 2016 de Rio laissé à l’abandon, le village d’athlètes des JO d’hiver 2014 de Sotchi dévoré par les plantes : à ces tristes exemples s’ajoute le stade d’Oyem au Gabon, pays d’accueil de la CAN 2017. Construit à grands frais et inauguré en 2016, ce site fut laissé à l’abandon durant des mois, à tel point que son état de délabrement défraya la chronique, forçant les autorités du pays à réagir en investissant à nouveau dans des travaux d’entretien. Preuve que « la CAN peut s’avérer coûteuse à plusieurs niveaux si elle ne s’intègre pas dans un plan de développement global qui, outre les stades, intègre la jeunesse, l’urbanisation, la formation, l’emploi, le tourisme voire le transport. En d’autres termes, il faut adopter une approche holistique qui permette effectivement de créer un écosystème économiquement durable », conclut Will Mbiakop, président de l’African Sport & Creative Institute (ASCI).


Une vision globale

Une préoccupation que les autorités ivoiriennes semblent prendre au sérieux, elles qui ont organisé un séminaire dédié, en juillet, pour réfléchir à la question de l’héritage de la CAN et éviter ces fameux « éléphants blancs »… Pour François Amichia, président du Comité d’organisation de la CAN 2024 (COCAN), il faut clairement anticiper et réfléchir dès aujourd’hui à la façon de faire fructifier cet héritage (six stades, trois cités-dortoirs, ainsi que tout le personnel formé spécialement pour l’occasion). Parmi les pistes et axes de réflexion proposés : l’adaptation des stades pour d’autres fédérations sportives, le développement global du football ou encore l’organisation d’événements culturels ou religieux, ainsi que l’accueil d’autres grandes compétitions. Une utilité sociale et économique qui a elle aussi son prix, mais permettra de capitaliser sur les investissements consentis pour faire en sorte que demain soit meilleur qu’aujourd’hui. Car assurément, la Côte d’Ivoire, à travers l’organisation de ce tournoi majeur, a bien plus à jouer que sa « simple image » : une partie de son avenir.


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