En forte progression sur le continent, l’usage des cryptomonnaies comme mode de paiement alternatif est aujourd’hui rendu possible grâce à un nombre croissant d’opérateurs locaux. Parmi ces pionniers africains des crypto-actifs, Édouard Kougblenou, le co-fondateur de la plateforme d’échange de cryptomonnaies Izichange. Entretien.
Propos recueillis par Raphaël Rossignol.
Forbes Afrique : Édouard Kougblenou, pourriez-vous revenir sur la genèse d’Izichange ?
Édouard Kougblenou : Titulaire d’un Master en Logistique, j’ai travaillé pendant neuf années dans ce secteur avant de suivre ma passion pour la finance digitale et de cofonder en 2018 la plateforme Izichange avec mon associé Marius Okouin. En tant que particulier débutant dans l’univers des crypto-actifs en 2016, il était difficile d’acheter ou de vendre ces derniers à cause de l’indisponibilité des moyens de paiement locaux sur les plateformes internationales. Notre structure a donc été fondée pour faciliter l’accès aux crypto-actifs par des moyens de paiement propres à nos réalités africaines, en l’occurrence via le mobile money. Aujourd’hui, je me spécialise dans les questions relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et la gestion des risques. Marius est quant à lui un ingénieur informaticien.
Forbes Afrique : Quel est le profil de votre clientèle et quels sont les services proposés par votre application ?
Édouard Kougblenou : Nos clients sont des particuliers, pour la plupart des crypto-investisseurs, des traders et des e-commerçants. Quant aux services proposés par notre plateforme, ils portent essentiellement sur l’achat et la vente de crypto-actifs et permettent par exemple aux e-commerçants et aux individus travaillant en freelance d’accepter des paiements en cryptomonnaies à l’international avant de les convertir en devises locales, via notre plateforme. Avec cet accès facilité aux cryptomonnaies, nos clients utilisent désormais les crypto-actifs pour acheter des logiciels, des abonnements et beaucoup d’autres services en ligne sur les plateformes qui acceptent les monnaies virtuelles comme moyen de paiement. C’est ainsi que nous permettons aux Africains de tirer pleinement parti d’une économie numérique et mondialisée.
Forbes Afrique : Les cryptomonnaies sont normalement conservées sur un portefeuille cryptographique. Votre plateforme assure-t-elle par elle-même ce service, essentiel en matière de sécurité des fonds ?
Édouard Kougblenou : Si vous faites référence au service de conservation d’actifs virtuels pour le compte de tiers, c’est un service que nous n’offrons pas pour l’instant à nos clients. Ils utilisent donc le portefeuille de leur choix, ouvert sur des plateformes mondialement référencées, pour recevoir les cryptomonnaies achetées sur notre plateforme. Nous travaillons toutefois à la mise à disposition de ce service, qui devrait être opérationnel dans les prochains mois.
Forbes Afrique : De nombreuses entreprises du secteur crypto ont récemment connu des problèmes, les forçant à restreindre les retraits de cryptomonnaies. Comment assurez-vous à vos clients la disponibilité de leurs fonds ? Ceux-ci sont-ils par ailleurs assurés ?
Édouard Kougblenou : Sur ce point, j’attire l’attention sur le fait qu’une différence doit être faite entre les plateformes qui proposent à leurs clients de réaliser des investissements et des placements via les crypto-actifs et des plateformes telles que la nôtre, qui offre un service d’intermédiation sur l’achat et la vente de crypto-actifs. Les plateformes d’investissement précitées collectent les fonds de leurs clients, avec la promesse faite à ces derniers de réaliser une plus-value. Ce sont donc ces plateformes qui subissent la tendance baissière actuelle, ce qui peut effectivement les amener à bloquer les retraits à cause de l’incapacité à honorer les engagements pris. À rebours de ce business model, Izichange ne promet pas de profits à ses clients et ne propose que de l’achat/vente de crypto-actifs dans la mesure des réserves que nous avons constituées. Notre plateforme n’étant qu’une passerelle qui interconnecte le mobile money aux portefeuilles de crypto-actifs, la contrepartie est toujours rendue disponible pour nos clients de façon automatique.
Forbes Afrique : Les valeurs crypto ont significativement baissé au cours de l’année écoulée et de nombreux projets dans la filière sont aujourd’hui à l’arrêt. Quelle est votre lecture de la situation actuelle et pourquoi continuez-vous à penser que ce soit un secteur d’avenir en Afrique ?
Édouard Kougblenou : Effectivement, depuis quelques mois, les cours des crypto-actifs sont orientés à la baisse. De manière générale, le marché des crypto-actifs est très volatil et connaît donc des fluctuations importantes. Ce sont des moments très délicats qui refroidissent l’engouement pour les crypto-actifs, ce qui entraîne de facto une chute des volumes de transactions. On n’en demeure pas moins déterminé à appliquer notre feuille de route. À court terme, notre objectif est de couvrir toute l’Afrique avec le lancement cette année de l’option P2P, qui permettra à nos utilisateurs de faire entre eux des transactions de façon directe et sécurisée. Au-delà de cette échéance proche, nous souhaitons développer notre portefeuille B2B pour aider les entreprises à faire face à certaines de leurs problématiques grâce aux avantages qu’offrent la blockchain et les crypto-actifs.
Il est important de le rappeler : la blockchain et les crypto-actifs résolvent plusieurs problématiques de la finance traditionnelle, surtout dans une Afrique « saucissonnée » en plusieurs zones monétaires. Une adoption massive des crypto-actifs apporterait assurément un bénéfice significatif pour le continent et ce notamment en raison de l’ambition qu’ont les autorités du continent de favoriser les échanges commerciaux intracontinentaux, à travers la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine).
Forbes Afrique : En guise de conclusion, comment résumeriez-vous l’ambition d’Izichange ?
Édouard Kougblenou : Notre ambition est claire : participer fortement à l’inclusion financière du continent africain en développant des usages pratiques basés sur les crypto-actifs. En plus des initiatives déjà évoquées, nous travaillons sur divers projets de diversification, qui sont en étude et développement dans notre laboratoire technique. Il convient enfin de préciser que cette ambition n’est réalisable qu’avec le concours des autorités, notamment les régulateurs nationaux. Ces derniers gagneraient à favoriser la mise en place d’un cadre réglementaire spécifique aux crypto-actifs. En plus de répondre à l’objectif d’inclusion financière que poursuivent ces autorités, la mise en œuvre de ce cadre réglementaire pourrait favoriser le développement de notre secteur, et partant le développement du continent africain. Dans cette optique, il va de soi que notre entreprise est parfaitement disposée à faciliter la compréhension par lesdites autorités de l’univers des crypto-actifs- ce que nous faisons déjà avec nos clients- et à co-construire avec elles le cadre réglementaire adéquat qui garantiraient la protection des populations africaines.