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Entre Big-Bang Économique et Realpolitik : l’Afrique à l’Heure des BRICS

Fin octobre, la Russie accueillait le 16e sommet des BRICS. En dépit des sanctions internationales qui pèsent sur Moscou, l’événement a rassemblé 19 Chefs d’État et des personnalités venues du monde entier. Rejet symbolique de l’Occident ou véritable refonte économique : qu’est-ce que l’Afrique peut attendre des BRICS ?

Par Marie-France Réveillard


Le 23 octobre, la poignée de main entre António Guterres, le Secrétaire général des Nations unies, et le président russe Vladimir Poutine, en marge du 16e Sommet des BRICS à Kazan, fut certainement l’un des temps forts de ces rencontres qui ont réuni 19 chefs d’État et de nombreuses personnalités venues du « Sud global ». Recep Tayyip Erdoğan, Xi Jinping, Narendra Modī ou encore Massoud Pezeshkian, avaient répondu favorablement à l’invitation de Vladimir Poutine pourtant sous le coup d’un mandat de la Cour pénale internationale [Moscou n’a pas ratifié le Statut de Rome, NDLR], dans une Russie elle-même placée sous sanctions internationales depuis le début de la guerre en Ukraine.

« Face à la globalisation portée par l’Occident, les BRICS opposent un monde multipolaire où ils auraient davantage d’influence pour défendre leurs intérêts »

« Les temps ont changé. En dépit de la défiance contre l’Occident intrinsèque à la création des BRICS, António Guterres ne peut pas éviter un Sommet organisé par cette organisation qui représente aujourd’hui, le poids le plus important dans l’économie mondiale », estime Alain Juillet, l’ancien directeur français du renseignement à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), et expert en intelligence économique. « À mesure que l’influence des organisations nées sous l’impulsion de l’Occident après la 2e Guerre mondiale s’affaiblit, l’attractivité des BRICS se renforce. Deux modèles s’entrechoquent. Face à la globalisation portée par l’Occident, les BRICS opposent un monde multipolaire où ils auraient davantage d’influence pour défendre leurs intérêts », ajoute-t-il.

Les BRICS+, qui réunissent neuf pays à ce jour, représentent 45,5 % de la population mondiale, soit 3,6 milliards d’habitants pour 35,85 % du PIB mondial (en parité de pouvoir d’achat) et 43,34 % de la production globale de pétrole. Au centre du bloc des BRICS+, la Chine assurait 86 % de la production mondiale de terres rares lourdes en 2021 (Banque de France, Janvier 2024) et compte quelques-unes des banques les plus puissantes au monde. Parallèlement, de Bangalore à Pékin, l’innovation mondiale est désormais largement alimentée par les chercheurs chinois et indiens. À elle seule, la Chine a déposé près de la moitié de la totalité des demandes de brevets en 2022, selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Ce dynamisme n’est pas sans attirer de nouveaux candidats aux BRICS+, séduits par des perspectives de croissance aussi protéiformes qu’exponentielles…

« Les BRICS+, qui réunissent neuf pays à ce jour, représentent 45,5 % de la population mondiale, soit 3,6 milliards d’habitants pour 35,85 % du PIB mondial (en parité de pouvoir d’achat) et 43,34 % de la production globale de pétrole »


Vers un Élargissement des BRICS en Terres Africaines ?

C’est en 2001 que l’économiste Jim O’Neill, de la banque d’investissement Goldman Sachs, crée l’acronyme « BRIC » pour désigner les quatre géants du sud que sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, promis à des niveaux de croissance qui en feraient les premières économies mondiales à l’horizon 2050. En 2006, Brésil, Russie, Inde et Chine s’unissent formellement dans le groupe des BRIC, qui sera rebaptisé « BRICS » quatre ans plus tard avec l’arrivée de l’Afrique du Sud (« S » pour « South Africa »), et BRICS+ avec les nouveaux entrants, en 2024.

« C’est en 2001 que l’économiste Jim O’Neill, de la banque d’investissement Goldman Sachs, crée l’acronyme « BRIC » pour désigner les quatre géants du sud que sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine »

En 2007, Vladimir Poutine indexait les limites d’un Occident dont les directives étaient de plus en plus discutées dans le « Sud Global », lors de la Conférence de Munich sur la sécurité. Quelques mois plus tard, la crise des subprimes venait ébranler l’économie mondiale. « L’attractivité des BRICS est d’autant plus forte qu’au lendemain de certaines crises, notamment en 2008, ce sont elles qui ont porté la croissance mondiale », rappelle Falilou Fall, économiste à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Malgré cette crise majeure, le Fonds monétaire international (FMI) refusa d’ouvrir plus largement son capital, « une décision très mal perçue, en particulier par la Russie et par la Chine », indique Falilou Fall. Un an plus tard, les BRICS organisaient leur 1er Sommet à Iekaterinbourg, en Russie. Depuis, leur attractivité ne faiblit pas. « Les BRICS se présentent comme un contre-pouvoir. À défaut de pouvoir changer la représentativité des organisations internationales impulsées par les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, “les pays du Sud” ont décidé de créer leur propre organisation », analyse Alain Juillet.

« L’attractivité des BRICS est d’autant plus forte qu’au lendemain de certaines crises, notamment en 2008, ce sont elles qui ont porté la croissance mondiale »


Des États Sous la Coupe de Pékin

Le 1er janvier 2024, les BRICS se sont élargis à l’Égypte, aux Émirats arabes unis, à l’Éthiopie et à l’Iran, tandis que l’Arabie saoudite s’interroge encore sur son adhésion définitive et que la Turquie (membre de l’OTAN), le Nigéria, le Vietnam ou encore l’Indonésie sont quelques-unes des puissances émergentes qui envisagent leur adhésion. Plus d’une trentaine de pays sont dans l’antichambre de cette organisation Sud-Sud, au sein de laquelle « l’Afrique aurait beaucoup a gagné en termes de représentativité à l’international, en y intégrant des puissances économiques et démographiques comme le Nigéria, le Kenya, l’Ouganda ou encore la République du Congo », estime Alain Juillet.

« Le 1er janvier 2024, les BRICS se sont élargis à l’Égypte, aux Émirats arabes unis, à l’Éthiopie et à l’Iran »

Pour l’instant, selon l’économiste Gilles Yabi, fondateur et directeur exécutif du think tank Wathi, « c’est avant tout la taille des économies qui déterminera l’influence des pays au sein des BRICS. Les décisions resteront aux mains des économies les plus puissantes comme la Chine, l’Inde ou la Russie. Le faible poids économique de l’Afrique se reflétera nécessairement au sein des BRICS ». Or, à ce jour le PIB chinois est supérieur au PIB combiné de tous les autres pays membres, ce qui n’est pas sans provoquer quelques inquiétudes du côté de Brasilia ou de Delhi, qui ralentissent l’élargissement des BRICS+ par crainte de voir leur influence se diluer dans un groupe d’États sous la coupe de Pékin.

« Les décisions resteront aux mains des économies les plus puissantes comme la Chine, l’Inde ou la Russie »


La Dédollarisation de l’Économie Profitera-T-Elle au Continent ?

Les BRICS+ représentent-ils une alternative aux institutions de Bretton Wood favorable à l’Afrique ? Rien n’est moins sûr pour Falilou Fall de l’OCDE, car il faudra trouver des consensus. « C’est un espace hétérogène, avec des intérêts divergents. La Chine est très dépendante de l’Occident commercialement, l’Inde l’est beaucoup moins, par exemple. De plus, malgré les annonces, l’opérationnalisation des projets des BRICS tarde à venir », observe-t-il. Ce rythme n’est pourtant pas un obstacle pour Alain Juillet qui précise que « les BRICS travaillent sur la durée. Ils ont le temps de leur côté ». Pour rappel, les parts individuelles dans le PIB (PPA) mondial de la Chine et de l’Inde, sont respectivement passées de 3,29 % et 3,78 % en 1990, à 18,64 % et 7,23 % en 2022, d’après le Fonds monétaire international (FMI)
Le projet d’une monnaie commune aux BRICS s’inscrit aussi dans une logique de long terme, pour réduire leur dépendance face au dollar américain, qui représente 58 % des réserves mondiales de devises. Une nouvelle monnaie leur permettrait de contourner le système de paiement SWIFT et de s’affranchir de l’extraterritorialité du droit américain. « La dédollarisation s’accélère depuis la guerre en Ukraine. C’est un changement majeur qui permet aux pays des BRICS+ de commercer avec leurs propres devises », explique Alain Juillet.

Brésil, Iran, Russie, Venezuela, Émirats arabes unis sont quelques-unes des puissances qui multiplient leurs transactions en Yuan RenMinbi (RMB). Parallèlement, avec la fin des accords de Quincy en juin 2024, l’Arabie Saoudite a mis un terme au monopole du pétrodollar. « Les BRICS ont créé un panier de monnaies et commercent déjà entre eux avec leurs propres devises », précise Alain Juillet. Cependant, lors d’une récente déclaration, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, indiquait que l’idée d’une monnaie unique des BRICS+ à court terme, avait été abandonnée.

« Les BRICS ont créé un panier de monnaies et commercent déjà entre eux avec leurs propres devises »


Vers Une Nouvelle Architecture Financière

Cette marche vers la dédollarisation s’est accompagnée de la création d’une Nouvelle banque de développement (NBD) inaugurée en 2015, actuellement dirigée par Dilma Rousseff, l’ancienne présidente du Brésil (2011-2016). Créée pour concurrencer la Banque mondiale, son poids reste marginal avec un capital à 52,7 milliards de dollars US, fin 2022. Un chiffre qu’il faut néanmoins nuancer, car avec 167,8 milliards de dollars US d’échanges au 1er semestre 2024, selon les médias chinois, « l’Empire du Milieu » demeure le premier partenaire bilatéral de l’Afrique et devrait le rester un certain temps, avec le nouveau soutien financier de 50 milliards de dollars US sur les trois prochaines années, annoncé le 5 septembre 2024, lors du 9e Forum sur la coopération sino-africaine. Entre le système « BRICS CLEAR » destiné à faciliter les échanges intra-BRICS+, BRICS Ray, une compagnie d’assurance et de réassurance, et le portefeuille numérique BRICS Pay, la structuration d’une nouvelle architecture financière s’organise. « C’est toujours mieux d’acheter dans sa propre monnaie, mais tout le monde n’est pas prêt à la voir circuler partout sans qu’elle puisse être contrôlable », indique Falilou Fall, qui s’interroge sur la pérennité d’une telle initiative. Le nouveau système monétaire proposé par les BRICS+ sera-t-il accepté de tous ? « La force de l’Occident a longtemps reposé sur un système juridique fort qui généra un crédit confiance important auprès des autres États et parties prenantes », rappelle l’économiste de l’OCDE.

« Avec 167,8 milliards de dollars US d’échanges au 1er semestre 2024, selon les médias chinois, « l’Empire du Milieu » demeure le premier partenaire bilatéral de l’Afrique et devrait le rester un certain temps »


Une Variable d’Ajustement dans le Concert des Nations ?

À défaut d’annonces grandiloquentes, le Sommet de Kazan a posé les pierres d’une nouvelle « stratégie Sud-Sud » qui comprend aussi la création d’une bourse de céréales pour contrebalancer le Chicago Board of Trade (CBOT). Cette initiative « contribuera à la formation d’indicateurs de prix équitables et prévisibles », tout en protégeant « les marchés nationaux des ingérences négatives extérieures, de la spéculation et des tentatives de créer une pénurie alimentaire artificielle », se félicitait le président russe, à l’annonce de cette organisation, depuis Kazan. D’après le Conseil international des céréales, le Brésil et la Russie représentent 27 % des exports mondiaux de blé sur la campagne 2023-24 et près de 23 % des exports de maïs.

« À défaut d’annonces grandiloquentes, le Sommet de Kazan a posé les pierres d’une nouvelle « stratégie Sud-Sud » qui comprend aussi la création d’une bourse de céréales pour contrebalancer le Chicago Board of Trade (CBOT) »

Enfin, l’Afrique pourrait profiter des BRICS+ pour intensifier ses relations bilatérales avec les autres pays membres. Pour Gilles Yabi, cette alliance va « permettre à l’Afrique de sortir d’une dépendance bien trop grande vis-à-vis de l’Occident et des anciennes colonies. C’est un changement d’époque. L’Afrique veut tourner la page », souligne-t-il, non sans rappeler qu’il y a aujourd’hui, « beaucoup plus de politique dans les BRICS, que de dimension opérationnelle », que « la Banque des BRICS ne pèse pas encore grand-chose face à la Banque mondiale » et qu’il faut « inventer un nouveau modèle, sans reproduire les écueils des institutions de Bretton Woods pour structurer un bloc qui puisse conserver une certaine flexibilité ». Intensifier les échanges sud-sud et peser davantage dans le concert des nations : telles seraient les motivations premières des pays africains candidats aux BRICS+. Falilou Fall souligne néanmoins qu’une alliance aussi hétéroclite n’est pas sans risques. « La Chine recherche des marchés avant tout. Quand elle gagne des marchés de construction, pour les routes par exemple, ce n’est pas de l’investissement au sens strict du terme », nuance-t-il.

« Cette alliance va permettre à l’Afrique de sortir d’une dépendance bien trop grande vis-à-vis de l’Occident et des anciennes colonies »

Le chemin vers un renforcement du commerce intra-BRICS+ au bénéfice de l’Afrique est encore long, car l’intégration commerciale reste faible. Seulement 24 % de ses membres sont signataires d’accords commerciaux régionaux. Par ailleurs, alors que les BRICS+ représentent environ 25 % des exportations mondiales, seulement 15 % de leurs exportations sont destinées aux pays membres et le commerce entre les BRICS+ ne représentait que 3,7 % du commerce mondial en 2021 (contre 2,9 % en 2012), selon la Banque mondiale.

« Le commerce entre les BRICS+ ne représentait que 3,7 % du commerce mondial en 2021 »


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