À l’instar de la Chine, l’Union européenne (UE) s’est dotée d’un instrument destiné à renforcer sa coopération avec ses partenaires à travers le monde : lancé en 2021, le Global Gateway1 devrait mobiliser plus de 300 milliards d’euros d’ici à 2027, dont la moitié rien que pour l’Afrique, où de nombreux projets voient déjà le jour. Toutefois, un rapport conjoint de plusieurs ONG pointent une tendance à favoriser les intérêts européens. Décryptage.
Par Szymon Jagiello, envoyé spécial à Dakar au Sénégal
« Le Global Gateway représente un changement de paradigme : on reformate les relations entre l’Afrique et l’Europe par l’identification d’investissements spécifiques et une mobilisation du secteur privé, comme les banques », explique Koen Doens, directeur général des Partenariats internationaux de la Commission européenne (INTPA) au sujet de cette stratégie initiée en 2021 par Bruxelles afin de concurrencer l’offensive chinoise des « nouvelles routes de la soie ». Une volonté d’évolution résolument tournée vers une logique plus économique en misant sur des financements dans le numérique, les infrastructures, voire l’énergie, ce par le biais de fonds de garantie et d’instruments de blending.
Derrière cette nouvelle forme de coopération, explique Thierno Seydou Diop, consultant aguerri, « la logique est que pour chaque euro investi, on va essayer de lever 5 euros ». En d’autres termes, sur les 150 milliards d’euros promis au continent, l’objectif est de tenter de créer un effet de levier qui pourrait aboutir à des investissements avoisinant les 400 voire 500 milliards d’euros. « Contrairement à la politique de développement que l’on menait habituellement, on se penche ici sur la création de valeur ajoutée et de croissance sur le continent, avec déjà des résultats visibles sur le terrain », ajoute le fonctionnaire européen, qui compte plus de vingt ans d’expérience dans le secteur du financement UE/Afrique.
« Pour chaque euro investi, on va essayer de lever 5 euros »
Des Projets en Afrique de l’Ouest
Thierno Seydou Diop évoque ainsi le cas du Bénin, qui se positionne désormais comme un hub doté d’une vision économique claire. « Avec l’équipe Europe et le soutien du port d’Anvers notamment, nous apportons notre concours à la modernisation du port autonome de Cotonou », indique-t-il. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, la Banque européenne d’investissement (BEI) a annoncé, en mars dernier, la mobilisation de 166 millions d’euros, soit environ 109 milliards de francs CFA, pour de nouvelles initiatives, notamment dans le domaine de l’eau et de la résilience face aux changements climatiques.
« Au Sénégal, la Banque européenne d’investissement (BEI) a annoncé, en mars dernier, la mobilisation de 166 millions d’euros, soit environ 109 milliards de francs CFA, pour de nouvelles initiatives »
Plus au nord, au pays de la Teranga, Dakar Mobilité, société sénégalaise détenue par Meridiam, s’est associée, avec le Fonds souverain d’investissements stratégiques du Sénégal (FONSIS), à Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD) chargée du secteur privé, et à l’UE, pour réunir 135 millions d’euros nécessaires à la mise en place à Dakar du « Bus Rapid Transit » (BRT) . Déjà en service, le BRT prévoit d’accueillir à terme 300 000 usagers au quotidien sur un parcours de 18,3 km, desservi par une flotte de 121 bus, alimentés à 100 % de façon électrique. « Une première en Afrique subsaharienne, qui devrait générer plus de 1000 emplois directs ! », s’enthousiasment des membres de la délégation de l’UE au Sénégal. Autant d’exemples qui « dénotent un changement de dynamique dans laquelle le Global Gateway se présente comme une réponse et non un point de départ », souligne Koen Doens.
« Dakar Mobilité, (…) et le Fonds souverain d’investissements stratégiques du Sénégal (FONSIS) se sont associés, entre autres, à Proparco et à l’UE, pour réunir 135 millions d’euros nécessaires pour la mise en place du « bus Rapid Transit » (BRT) »
Défis du Global Gateway
Thierno Seydou Diop, de chez Schuman Associates, renchérit : « Le Global Gateway se présente comme un outil capable de changer la donne ». À condition toutefois que les partenaires africains en comprennent les enjeux et que les secteurs privés des deux continents dialoguent et parviennent à trouver des partenariats. « Or, en plus de l’argent qui est mis sur la table, ce qui manque actuellement, ce sont des mesures d’accompagnement et de facilitation, c’est-à-dire un support commercial », observe-t-il.
Il s’agit donc de travailler « avec les investisseurs sur les rapports, les soutiens aux investissements, les analyses financières et les modèles, l’identification des opportunités, les études de marché et les secteurs stratégiques », poursuit l’expert sénégalais. De plus, il faudrait définir la nature des acteurs responsables de l’accompagnement, et évaluer leurs forces. De tels supports pratiques, accompagnés d’assistances techniques pour les gouvernements, permettraient de donner corps au Global Gateway et de préparer les investissements. Pour résumer, il faudrait « traduire cette volonté d’évolution en opportunité concrète ». Car, pour l’heure, les possibilités ne semblent se concentrer que sur une poignée d’acteurs et de pays.
« Ce qui manque actuellement, ce sont des mesures d’accompagnement et de facilitation, c’est-à-dire un support commercial »
À Qui Profite le Global Gateway ?
« Quand on regarde les investissements européens en Afrique, on comprend vite qu’ils ne se font spécifiquement que dans certains domaines précis et sont à 80 % concentrés autour de quelques pays comme le Kenya, l’Égypte, voire l’Afrique du Sud », ajoute le lobbyiste. De plus, ils sont essentiellement influencés par sept pays, parmi lesquels l’Allemagne, la Belgique, le Portugal et la France. L’explication est limpide : un rapide coup d’œil à la liste des membres du Global Gateway Business Advisory Group2 (BAG) suffit pour se rendre compte que la majeure partie des investissements provient des ex-puissances coloniales et que le Global Gateway sert leurs intérêts.
« Les investissements européens en Afrique sont à 80 % concentrés autour de quelques pays comme le Kenya, l’Égypte, voire l’Afrique du Sud »
Selon un rapport conjoint d’Oxfam, Counter Balance et Eurodad d’octobre 2024 intitulé À qui profite le Global Gateway ?, « celui-ci promeut les intérêts commerciaux et géopolitiques de l’UE, encourage la privatisation des infrastructures et des services publics dans le secteur de l’énergie dans les pays du Sud global et risque d’alourdir le fardeau de la dette des pays partenaires ».
« La majeure partie des investissements provient des ex-puissances coloniales et (…) le Global Gateway sert leurs intérêts »
De plus, révèle cette étude, « sur 40 projets analysés, 25 d’entre eux, soit 60 %, bénéficient à des entreprises européennes ».
Des chiffres qui pourraient refroidir l’ardeur de certains partenaires africains à approfondir leur collaboration avec Bruxelles. Une réalité que le nouveau collège de commissaires européens, qui entrera officiellement en fonction le 1er décembre prochain, devra sans doute prendre en compte. Au risque, sinon, de voir les États du continent se tourner vers leurs nouveaux courtisans, qui affluent en nombre. Y prêtera-t-il attention ? Le temps apportera certainement son lot de réponses.
- La traduction littérale de « Global Gateway » est « Passerelle Globale », mais la Commission européenne ne propose pas de traduction officielle en français de « Global Gateway ».
- Une association composée d’entreprises privées qui aident la Commission européenne à renforcer la coopération sur la stratégie Global Gateway et sa mise en œuvre.
« Sur 40 projets analysés, 25 d’entre eux, soit 60 %, bénéficient à des entreprises européennes »