Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Le média de ceux qui construisent l'Afrique d'aujourd'hui et de demain

Entre Hydrocarbures et Durabilité : le Sénégal à l’Heure des Choix Énergétiques

Membre observateur de “l’OPEP du gaz” et producteur de pétrole depuis juin 2024, le Sénégal entend soutenir sa croissance grâce aux providentielles ressources en hydrocarbures découvertes au début des années 2010. À quel coût environnemental le pays de la Teranga assurera-t-il sa sécurité énergétique ?

Par Marie-France Réveillard


Inscrit au cœur de l’Agenda de développement durable de l’ONU, l’objectif n° 7, qui consiste à garantir l’accès à une énergie propre et à un coût abordable à l’horizon 2030, reste un défi de taille sur un continent africain où près de la moitié de la population vit sans accès à l’électricité. Toutefois, de grandes disparités apparaissent entre une Afrique du Sud dont l’électrification est passée de 58 % des ménages en 1996 à plus de 95 % en 2022, et un Soudan du Sud – pourtant producteur et exportateur de pétrole – qui affiche le taux d’électrification le plus bas du monde (5 %), selon l’Agence internationale de l’énergie (IAE) et la Banque mondiale. « Le défi énergétique reste très important en Afrique où 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité. Il nous faut relever le triple défi de l’accessibilité, de la sécurité et de la soutenabilité », déclarait Mamadou Fall Kane, le conseiller Énergie à la présidence de la République du Sénégal, le 3 octobre dernier à Science Po Paris, à l’occasion de l’Africa Day. Malgré des progrès significatifs enregistrés au niveau global, l’évolution démographique, plus rapide que les investissements dans le secteur énergétique, a fait grimper le nombre de personnes dépourvues d’un accès à l’électricité, qui est passé de 566 millions en 2010 à 571 millions en 2022. À ce jour, sur les 20 pays les moins électrifiés au monde, 18 sont situés en Afrique subsaharienne. Le Sénégal fait toutefois figure de «bon élève », car selon l’IAE, le taux d’électrification y atteignait 75 % en 2022, contre une moyenne continentale de 47 %. Néanmoins, entre les populations urbaine et rurale, la fracture énergétique perdure. Alors que 97 % des citadins disposent d’un accès à l’électricité, seulement 55 % des habitants en zones rurales en sont pourvus. Ce pourcentage devrait cependant augmenter avec la multiplication des projets d’énergie renouvelable (EnR) et l’exploitation des ressources en gaz et en pétrole découvertes au large des côtes sénégalaises entre 2012 et 2017.

« On parle beaucoup d’énergies renouvelables et de climat, mais la demande d’énergie sera drivée par les hydrocarbures (…) Au Sénégal, nous cherchons à développer une énergie à faible coût, et le gaz représente une bonne opportunité pour le faire »


« Nos Ressources Pourront Alimenter Une Partie des Besoins Du Continent »

« On parle beaucoup d’énergies renouvelables et de climat, mais la demande d’énergie sera drivée par les hydrocarbures (…) Au Sénégal, nous cherchons à développer une énergie à faible coût, et le gaz représente une bonne opportunité pour le faire. En outre, nous pensons que nos ressources pourront alimenter une partie des besoins du continent », assurait Mamadou Fall Kane, le 3 octobre, à Paris. En juin dernier, le Sénégal réalisait ses premières extractions pétrolières sur le champ de Sangomar, situé à 100 kilomètres au sud de Dakar. La production sénégalaise est modeste, avec un objectif de 100 000 barils par jour. C’est peu, comparé à la capacité maximum de production de l’Arabie Saoudite, estimée à 12 millions de barils par jour. Le Sénégal ne deviendra pas le prochain « Dubaï africain », mais la ruée vers l’or noir a bel et bien commencé, et selon le cabinet A&A Strategy, Sangomar pourrait générer 132 milliards de francs CFA (201,2 millions d’euros) de recettes pétrolières dès 2025.

Champ de Sangomar, premier projet pétrolifère offshore du pays

Le Sénégal Intègre « L’OPEP Du Gaz »

Parallèlement, les réserves en gaz naturel découvertes à la frontière sénégalo-mauritanienne ont fait l’objet d’investissements inédits. Le projet Grand Tortue-Ahmeyim (GTA), qui renferme 450 milliards de mètres cubes de gaz, a permis au Sénégal de faire en mars dernier son entrée comme observateur dans le club très fermé du Gas Exporting Countries Forum (GECF), une organisation internationale considérée comme « l’OPEP du gaz », dont les membres représentent 70 % des réserves mondiales prouvées de gaz et 51 % des exportations mondiales de gaz naturel liquéfié (GNL). La production annuelle de GNL dans le cadre de la première phase d’exploitation de Grand Tortue-Ahmeyim représente 2,5 millions de tonnes par an, qui seront surtout destinées à l’exportation. La production alimentera également les ménages, car l’autosuffisance énergétique reste l’objectif ultime de ce projet transfrontalier (détenu à 61 % par l’entreprise britannique BP) visé par les autorités sénégalo-mauritaniennes. Cette orientation énergétique n’est pas sans risque climatique, au grand dam des associations environnementales qui redoutent une dégradation de la biosphère alentour (« Who is Financing Fossil Fuel Expansion in Africa ? » Reclaim Finance 2022), mais les enjeux sont considérables et les retours sur investissement se chiffrent en milliards de dollars. L’exploitation des ressources fossiles favorisera non seulement l’industrialisation, mais elle accompagnera aussi le renforcement des compétences locales sur toute la chaîne de valeur énergétique.

Champ gazier Grand Tortue-Ahmeyim (GTA)

Retrouvez Ici l’Édition consacrée au Sénégal – Téléchargez la Version Digitale


Objectif : 40 % De Mix Énergétique d’Ici 2040

« Je voudrais dire aux bailleurs de fonds et à l’Occident que le Sénégal utilisera l’intégralité de ses ressources pétrolières et gazières pour assurer l’accès à l’énergie pour tous », déclarait Birame Souleye Diop, ministre de l’Énergie, du Pétrole et des Mines, lors d’un colloque organisé à Dakar le 24 septembre 2024. « Nous avons choisi d’exploiter nos ressources en gaz naturel pour remplacer le fioul lourd dans la production d’électricité, tout en renforçant l’utilisation des énergies renouvelables », a-t-il ajouté. En 2023, la capacité électrique du Sénégal s’établissait à 1 787 mégawatts (MW). D’avis d’experts, le pays est en passe d’atteindre les objectifs inscrits dans le Plan d’accès universel à l’électricité à l’horizon 2025, en s’appuyant sur un mix énergétique qui représente déjà 30 %, et que les autorités entendent porter à 40 % en 2030. À l’heure où les partenaires occidentaux réduisent progressivement le recours aux énergies fossiles, l’adaptation climatique n’est plus une option : le Sénégal devra composer entre urgences nationales et transition globale. Des progrès significatifs ont été enregistrés entre 2016 et 2020, où le pays a intégré plus de 400 MW d’énergies renouvelables dans ses capacités de production, dont 226 MW d’énergie solaire installée. Parallèlement, le Sénégal abrite aujourd’hui le plus grand projet éolien d’Afrique de l’Ouest, avec le parc Taïba Ndiaye, d’une capacité de 158,7 MW. Le 16 juillet, le pays franchissait une nouvelle étape avec la société Africa REN, qui annonçait par voie de communiqué le démarrage de la construction (à Bokhol) de Walo Storage, la première unité de stockage d’énergie par batteries lithium du pays, pour un investissement de 40 millions d’euros. « L’Afrique représente environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), mais c’est le continent qui souffre le plus du réchauffement climatique. C’est aussi le continent le moins électrifié. Dès lors se pose la question de l’équilibre entre les besoins d’électrification et la nécessité de contrôler son empreinte carbone. La tension existe bel et bien entre ces deux impératifs », explique Moussa Dabo, associé senior au sein d’Africa Finance Corporation (AFC). « Le chemin vers l’industrialisation et vers l’objectif zéro carbone, c’est le gaz (…) On ne peut pas faire que du vert en Afrique aujourd’hui », prévient-il.

« Nous avons choisi d’exploiter nos ressources en gaz naturel pour remplacer le fioul lourd dans la production d’électricité, tout en renforçant l’utilisation des énergies renouvelables »

Birame Souleye Diop, Ministre de l’Énergie, du Pétrole et des Mines

Dakar, Pionnière Des Bus Électriques

Dakar ne représente que 0,77 % du territoire, mais concentre près de 22 % d’une population sénégalaise confrontée à des embouteillages quotidiens. « La région de Dakar perdrait 900 milliards de francs CFA [près de 1,4 milliard d’euros, NDLR] en raison des externalités négatives liées aux transports routiers », indiquait le Dr Thierno Birahim Aw, directeur général du Conseil exécutif des transports urbains durables (CETUD), lors de la cérémonie de lancement de la première phase du projet de restructuration du réseau de transports en commun. Inscrite au cœur de la stratégie nationale de développement, la marche vers la décongestion des axes routiers commence à produire ses premiers résultats. Depuis 2021, le Train express régional (TER) Dakar-AIBD (aéroport international Blaise Diagne de Dakar), d’un coût de 865,9 millions d’euros et d’une capacité de 115 000 passagers par jour, a contribué à fluidifier la circulation à Dakar, tout en économisant plus de 92 000 tonnes équivalent CO2. Avec le « Bus Rapid Transit » (BRT) circulant entre Dakar-centre et Guédiawaye, qui représente un investissement total estimé à 640 millions d’euros (financé par la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement et le Fonds vert pour le climat de l’ONU), la course à la décarbonation s’accélère. « Le BRT constitue aujourd’hui le financement le plus important du groupe de la Banque mondiale au Sénégal avec 370 millions de dollars », déclarait Ousmane Diagana, vice-président régional pour l’Afrique de l’Ouest et du centre de la Banque mondiale, le 14 janvier 2024. « De plus, le BRT contribuera à rendre accessibles aux Dakarois 170 000 emplois en moins d’une heure dans la région de Dakar. L’exploitation permettra à terme de générer 1 000 emplois directs, dont 35 % féminins et 50 % provenant des communes traversées par le projet », a-t-il ajouté. Dakar Mobilité, la société détenue par Meridiam et par le Fonds souverain sénégalais (FONSIS), est à la manœuvre de ce projet qui représente le tout premier réseau de BRT 100 % électriques d’Afrique de l’Ouest. Il permettra d’économiser l’équivalent de 59 000 tonnes de CO2 par an, selon les estimations de Dakar Mobilité. « Nous avons mis en service un réseau de 140 bus avec une capacité de transport de 300 000 personnes par jour, et nous travaillons actuellement sur un projet de construction de centrale solaire qui servira de source d’alimentation au BRT électrique », se félicite Mathieu Peller, le directeur général adjoint de Meridiam, pour qui le Sénégal représente un « terrain particulièrement favorable aux investissements depuis quelques années ».

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Banniere-Rotative-Covers-ForbesAfrique-82-970LargeurX250-hauteur.jpg.
Retrouvez Ici l’Édition consacrée au Sénégal – Téléchargez la Version Digitale


Trois Questions À Benjamin Memmi, CEO d’AXIAN Energy


Avec Kolda, AXIAN Group accélère le mix énergétique au Sénégal, en portant l’un des plus ambitieux projets de stockage d’énergie solaire d’Afrique de l’Ouest. État des lieux et perspectives avec Benjamin Memmi, le CEO d’AXIAN Energy.

Benjamin Memmi, CEO Axian Energy

Forbes Afrique : Quelles sont les ambitions d’Axian en termes de contribution au mix énergétique sénégalais ?


Benjamin Memmi
: Depuis quelques années, nous sommes présents au niveau pétrolier et dans les énergies renouvelables (EnR). En octobre 2018, nous avons mis en service MINERSOL, une centrale solaire photovoltaïque (PV) de 15 MW pour un coût de 15 millions d’euros dans la zone du port de Bargny, qui sera étendue à 18 MW en juin 2025. Cette énergie servira les besoins des clients du port.

Centrale solaire Minersol, au port minéralier et vraquier de Bargny

Dans quelle mesure la centrale de Kolda marque-t-elle une étape importante d’AXIAN Energy au Sénégal ?

B. M. : C’est un projet phare d’une capacité de 60 MW et de 72 MWh de stockage, pour un investissement d’environ 100 millions d’euros, qui bénéficiera à 460 000 personnes. Sa mise en service est prévue au premier semestre 2026. Elle représentera le quart des capacités solaires nationales et permettra au Sénégal de faire passer son mix énergétique de 25 % à 32 %. Kolda, qui est le plus grand projet de stockage d’énergie solaire d’Afrique de l’Ouest, contribuera à alimenter le West African Power Pool (WAPP), dont l’objectif est d’intégrer les réseaux électriques nationaux dans un marché régional unifié de l’électricité.

Quels sont vos prochains projets au Sénégal ?

B. M. : Nous travaillons sur un projet de centrale solaire à Ziguinchor en Casamance, d’une capacité de 20 MW et de 5 MWh de stockage. Nous sommes en phase d’études environnementales et de sécurisation foncière. Le Sénégal avance vite en matière de mix énergétique grâce à sa vision sur le long terme qui lui permet d’appréhender ses besoins. Par ailleurs, il est déjà exportateur d’énergie dans les pays voisins.


Partager l’article


Ne manquez aucun de nos articles.

Inscrivez-vous et recevez une alerte par email
à chaque article publié sur forbesafrique.com

Bonne lecture !

Profitez de notre abonnement illimité et sans engagement pour 5 euros par mois

√ Accédez à tous les numéros du mensuel Forbes Afrique de l'année grâce à notre liseuse digitale.
√ Bénéficiez de l'accès à l'ensemble des articles du site forbesafrique.com, y compris les articles exclusifs.