Pilier de l’économie sénégalaise, l’agriculture représente 15% du PIB du pays et emploie environ 22% de la population active. Le Sénégal, qui a fait du développement de ce secteur une priorité nationale, multiplie les initiatives en faveur d’une politique de souveraineté alimentaire. Analyse Sectorielle
Par Kokou Gamado
« Il y a urgence à gagner notre souveraineté alimentaire en investissant plus et mieux dans l’agriculture, la pêche et l’élevage, les trois mamelles nourricières de notre pays. » Évoquant le secteur agricole national, c’est en ces termes que le président Bassirou Diomaye Faye s’est exprimé pour la toute première fois en sa qualité de chef de l’État sénégalais, le 3 avril 2024. Signe de son intérêt pour le secteur, il a ensuite, lors de la réunion du conseil des ministres du 14 août, souligné l’impératif de refonder la politique de recherche et de vulgarisation agricoles, conformément aux standards internationaux. À charge pour Mabouba Diagne, ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Élevage1, en relation avec son collègue de la Recherche et de l’Innovation, de revitaliser le système national de recherches agrosylvopastorales et de renforcer l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA) en infrastructures technologiques de qualité et en ressources humaines et financières significatives, pour consolider la structure comme fer de lance de la politique agricole.
« Il y a urgence à gagner notre souveraineté alimentaire en investissant plus et mieux dans l’agriculture, la pêche et l’élevage, les trois mamelles nourricières de notre pays »

De Belles Performances en 2023
L’agriculture (15 % du PIB) occupe en effet une place de choix dans l’économie nationale. Deuxième secteur pourvoyeur d’emplois au Sénégal (22 à 23 % de la population active), elle absorbe aussi plus de 65 % de la population active rurale et assure le revenu de 95 % des ménages ruraux, selon l’ISRA. En 2023, ce secteur aura d’ailleurs été, sous l’effet d’une pluviométrie favorable, le principal moteur de la bonne croissance économique enregistrée par le pays (4,3 %, après 3,8 % en 2022). Les principales filières ont réalisé de belles performances, à l’image de la production de millet (+ 23 % en un an). Le riz, quant à lui, demeure la principale céréale cultivée, et l’arachide la première production agricole du pays. Premier produit d’exportation après la pêche, elle occupe 40 % des terres cultivées et 7 paysans sur 10. Pour sa part, le sous secteur de l’élevage a enregistré une amélioration de son taux de croissance à 3 % en glissement annuel, contre 0,3 % en 2022. Ce qui s’explique, entre autres, par les retombées du Plan national de développement de l’élevage (PNDE) qui promeut l’adoption de meilleures pratiques d’élevage et d’alimentation du cheptel. En ce qui concerne la pêche (3,2 % du PIB), la production a également connu une hausse de 4,5 % en 2023 après la baisse de 2022 (- 5,8 %). Deuxième producteur de poissons en Afrique de l’Ouest après le Nigéria, le Sénégal « a bénéficié de conditions météorologiques plus favorables qui ont permis des efforts de pêche importants se traduisant par une hausse de 6,3 % de la production de pêche artisanale et de 1,3 % de la production industrielle », indique la Banque mondiale.

Migration De La Main-D’Oeuvre Agricole
Mais côté météo, toutes les années ne ressemblent pas à 2023. Le Sénégal est en effet l’un des quatre pays du monde les plus vulnérables au changement climatique, ce qui impacte fortement son agriculture. D’après la Banque mondiale, les événements extrêmes liés à l’eau et à la pollution lui coûtent chaque année plus de 10 % de son PIB. À quoi s’ajoute, dans les zones rurales, une migration de la main-d’œuvre agricole vers des secteurs moins productifs situés dans les centres urbains. De fait, « la part de l’agriculture dans l’emploi est passée de 66 % en 1990 à 23 % en 2018 », relève ainsi un rapport de la Banque africaine de développement (BAD). Pour faire face aux aléas climatiques, l’augmentation et la diversification de la production sont impératives selon l’ISRA, qui observe qu’elles « permettraient d’améliorer le taux de couverture de la demande intérieure, de contribuer à l’amélioration des revenus des producteurs et à la réduction de la pauvreté ». En ligne de mire, c’est bien sûr l’autosuffisance alimentaire et la fin de la dépendance du pays aux importations, notamment en riz, qui est visée. Les agropoles (ou Projets de zone de transformation agro-industrielle, PZTA), un des projets phares du Plan Sénégal Émergent (PSE), sont une réponse à ces impératifs. Actuellement au nombre de cinq (au Nord, au Sud, au Centre, à l’Est et dans l’ouest du pays), ces unités agro-industrielles2 permettent aux entreprises de s’établir dans des zones rurales et de développer des chaînes de valeur. Les autorités – qui visent une agropole dans chaque département dans les cinq ans à venir – leur assignent plusieurs missions : développer l’investissement privé dans le secteur agro-industriel, augmenter la production des filières prioritaires, accroître le taux de transformation des produits agricoles, contribuer à la création d’emplois décents et durables, et contribuer à la transformation structurelle de l’économie.
Coopératives Agricoles Communales
En parallèle, le gouvernement accélère la création de coopératives agricoles communales afin notamment de soutenir l’agriculture familiale et de réduire la pauvreté dans les zones rurales. L’objectif est d’installer ces structures dans les 557 communes du Sénégal, dans les 46 communautés départementales et dans les 14 régions. Enfin, des efforts ont également été déployés par les autorités en matière d’infrastructures, avec l’extension du réseau routier (susceptible d’intégrer les marchés) et celle de l’accès à l’électricité en zone rurale. De quoi aider à améliorer la productivité et, partant, de progresser vers la souveraineté alimentaire.
1. Par ailleurs ex-vice-président de la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC).
2. Les agropoles sont financées par l’État et des partenaires au développement dont la BAD, la Banque islamique de développement (BID), la Banque européenne d’investissement (BEI), la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), ainsi que des investisseurs privés.
Trois Questions À Oumy Ndiaye, Directrice du Cabinet Innov’Y Agro
« Que l’État implique nos exploitants agricoles familiaux sur la conception des politiques agricoles »
Forbes Afrique : De quels atouts dispose aujourd’hui l’agriculture sénégalaise, elle qui a porté l’économie nationale en 2023 ?
Oumy NDIAYE : Ces atouts, ce sont d’abord les jeunes. Le Sénégal a compris que l’agriculture permet de développer l’économie nationale et beaucoup de jeunes, et aussi de femmes, se sont engagés dans cette activité. L’atout, c’est la main d’œuvre qualifiée. À quoi s’ajoutent les terres à notre disposition, ainsi que l’accès à l’eau. Le Sénégal a énormément d’atouts qui lui permettent de développer ce secteur et ainsi, de peser sur l’économie nationale.
Au-delà des effets du changement climatique, quels sont les principaux défis que ce secteur doit relever ?
O.N. : C’est d’abord l’accès à la terre. Celle-ci est disponible, mais son accès devient parfois difficile pour ceux qui souhaitent se lancer. L’autre défi est celui de la commercialisation. Malheureusement, après chaque campagne agricole, nous perdons 20 à 50 % de nos produits horticoles à cause du déficit de stockage, de conservation, mais également de la commercialisation que beaucoup de nos agriculteurs ne maîtrisent pas encore. Autre défi, le prix. Hélas, le prix du marché est variable au Sénégal et parfois, il n’est même pas détenu par nos agriculteurs, mais par un petit groupe de personnes qui manipulent les prix au désavantage même des agriculteurs.
Quel devrait être le rôle de l’État dans le développement du secteur ?
O.N. : L’État doit accompagner nos agriculteurs. Depuis que le Sénégal a accédé à l’indépendance, l’agriculture est subventionnée, mais on ne réfléchit pas à revoir ces aides qui, parfois, ne sont pas totalement efficaces (elles sont plus tournées vers l’accès aux intrants), alors que les problèmes commerciaux sont là, tout comme ceux de l’accès à la terre. Si l’État accompagne, contrôle davantage et appuie la commercialisation, surtout avec le prix du marché qui n’est ni stable ni à l’avantage des agriculteurs, alors le problème de l’agriculture pourrait être totalement résolu. L’État peut également accompagner les entrepreneurs de l’agrobusiness à mieux développer leurs innovations à travers un « Prix de l’Innovation » qui aurait un réel impact sur la croissance de l’agriculture et de l’économie nationale de manière globale. Pour terminer, afin d’atteindre la souveraineté alimentaire, il faudrait surtout que le ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Élevage implique nos exploitants agricoles familiaux, notamment les jeunes et les femmes, sur la conception des politiques agricoles. Car ce sont eux, à la base, qui connaissent le mieux les réalités et les problèmes du monde agricole.