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Francophonie économique : 3 questions à Stéphane Tiki, directeur du Développement au sein du Groupement du patronat francophone

Combinés, les 88 États et gouvernements membres et observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) pèsent aujourd’hui un sixième du PIB planétaire. Un potentiel économique considérable qui reste toutefois peu exploité, notamment en Afrique. Directeur du développement et porte-parole du Groupement du patronat francophone, Stéphane Tiki précise dans cet entretien les enjeux associés à la francophonie économique ainsi que les multiples opportunités que pourrait apporter une coopération renforcée au sein de cet espace linguistique. 

” Par le biais de la francophonie économique, nous aspirons à bâtir des ponts entre les nations et les peuples “

Forbes Afrique : La francophonie, c’est aujourd’hui plus de 320 millions de locuteurs dans le monde, ce qui en fait la cinquième langue la plus usitée. Le volet économique de cet espace communautaire est toutefois moins souvent évoqué malgré ses évidentes potentialités … 

Stéphane Tiki : En effet, la Francophonie a d’abord été un projet politique, porté notamment par plusieurs grandes figures historiques africaines (Léopold Sédar SenghorFélix HouphouëtBoigny, Hamani Diori …) qui cherchaient à fédérer les peuples autour de la langue française. Cette union n’est toutefois pas que linguistique et culturelle et doit être considérée comme un tout, englobant notamment les enjeux économiques. De ce point de vue, l’espace francophone est une chance pour nouer des relations d’affaire car loin de se résumer au “vivre-ensemble”, il est le levier idéal du “faire-ensemble” qui, par sa dimension pragmatique, permet d’agir autour d’initiatives concrètes.

Le contexte géopolitique pousse par ailleurs à cette évolution. Dans cet espace qu’est la francophonie, la France, de par son histoire singulière avec le reste du monde – et notamment avec l’Afrique- a longtemps été le choix économique par défaut, laissant peu de place à d’autres options. Cette ère est révolue : partenaires américains, chinois, russes, indiens, turcs ou israéliens se bousculent aujourd’hui pour venir faire des affaires dans nos pays, et profiter des opportunités offertes par ceux-ci. Cette nouvelle dynamique modifie de facto la nature des rapports économiques qui étaient jusque-là en vigueur dans la francophonie. Le libéral que je suis pense que cette concurrence est une bonne chose car elle permet de rebattre les cartes et de créer les conditions d’un nouveau partenariat gagnant-gagnant, centré sur les intérêts bien compris des parties prenantes. C’est cette nouvelle donne que l’Afrique en particulier doit faire sienne pour mieux s’imposer sur la scène économique internationale. Pour ce faire, elle a tout intérêt à utiliser l’instrument d’appui à ses ambitions qu’est la francophonie économique

Dans notre monde contemporain où tout est interconnecté, il est bon de rappeler que la pleine jouissance des avantages induits par un certain niveau de vie (activités intellectuelles, culturelles, sportives…) passe d’abord par la réussite économique et donc par la capacité qu’ont les pays à se servir à bon escient de leviers d’action pour créer de la richesse et des emplois. Le vrai enjeu est là et la francophonie économique fait partie de ces leviers. Après tout, si la sphère anglophone parvient à capitaliser sur les outils économiques offerts par le Commonwealth, il n’y a pas de raison que nous, pays francophones, ne parvenions à faire de même au sein de notre espace communautaire. 

La comparaison faite avec le Commonwealth semble particulièrement à propos. Comment expliquez-vous que les nombreuses opportunités offertes à l’intérieur de l’espace francophone ne soient pas encore pleinement exploitées ? Quel est aujourd’hui le principal défi à relever ? 

Nous interlocuteurs nous le disent souvent : lorsqu’ils sont laissés à eux-mêmes, ils ne savent pas toujours frapper aux bonnes portes.  Il faut d’abord apprendre à se connaître et à se faire confiance. Notamment entre nous, Africains. Lorsqu’il est question de francophonie économique, on se représente souvent une relation Nord-Sud, où une entreprise au Congo ayant par exemple des besoins énergétiques ferait appel à de l’expertise et à des solutions venues d’un pays francophone occidental (France, Canada, Suisse, Belgique). 

Or, il est primordial de développer aussi l’axe des partenariats Sud-Sud afin de tirer pleinement parti des possibilités offertes par notre espace communautaire. C’est souvent là que le bât blesse : l’Africain aura souvent plus de méfiance à faire des affaires avec un autre Africain ; comme si ce dernier était plus suspicieux qu’un partenaire européen ou asiatique.  Sans surprise, cette défiance est particulièrement préjudiciable puisqu’au final, faire des affaires et investir, c’est faire confiance à un partenaire, croire en un pays. Que cet élément central disparaisse et c’est tout l’édifice économique qui vacille. En conséquence, il est important de ne pas reproduire les erreurs du passé et de prendre résolument son destin en main pour bâtir un meilleur avenir.  

Mission économique et commerciale de la Francophonie déployée en Afrique centrale, au Gabon (photo) et au Rwanda, en juillet 2022 (© Alex Tharreau / OIF)

Quelles solutions préconisez-vous pour changer la donne actuelle, notamment au sein de votre institution, le Groupement du patronat francophone ? 

Par le biais de la francophonie économique, nous aspirons à bâtir des ponts entre les nations et les peuples. Pour reprendre une expression anglophone, notre première force dans notre rôle de « go-between (passeur, intercesseur) » est de pouvoir compter sur un vaste réseau d’individus et d’institutions (entrepreneurs, chambres de commerce et patronats locaux…) qui connaissant les réalités et besoins locaux. 

Nous avons par exemple récemment mis en relation le groupe d’amitié France-Cameroun, à l’Assemblée nationale française, avec Augustin Tamba, le président des Communes et Villes Unies du Cameroun (CVUC), qui organisera en juin, à Yaoundé, les Journées économiques internationales des Communes du Cameroun (JEICOM), aux côtés du Groupement Inter-Patronal du Cameroun (GICAM). Quelque 150 entreprises françaises devraient participer à cet événement, ce qui démontre la pertinence de notre message : en bâtissant des passerelles tels que celle-ci au niveau de l’espace francophone, nous contribuons à créer des opportunités d’affaires dans le respect et l’intérêt mutuels. Finalement, la démarche adoptée est simple : identifier les besoins et connecter l’offre et la demande, Notamment en Afrique, un continent en forte croissance et où nombre de secteurs (éducation, mines, agriculture, mines, tech…) restent encore à développer. De ce point de vue, la France, partenaire historique du continent, a plus que jamais un avenir en Afrique et une carte à jouer si elle acte le fait que les temps ont changé et que l’heure est désormais à la fourniture de solutions concrètes, en phase avec les aspirations des Africains. 

Le Forum D-Clic Pro à Tunis (juillet 2022). D’autres forums de ce type se sont tenus en Côte d’Ivoire, à Djibouti et à Madagascar © OIF

Crédits photos : © OIF

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