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Hafsat Abiola : « L’entrepreneuriat offre aux Africaines flexibilité et liberté » 

Premières entrepreneuses de la planète par la part de leur population active à la tête d’une société, les Africaines restent toutefois confrontées à nombre de défis qui obèrent leur potentiel. Respectivement cofondatrice et présidente de la plateforme d’accompagnement Women in Africa Initiative (WIA), Caroline Boudergue et Hafsat Abiola reviennent dans cet entretien sur les principaux enjeux associés à cette question tout en suggérant une série de pistes à explorer. 

Propos recueillis par Szymon Jagiello

Forbes Afrique : Au sein des sociétés africaines, comment la place des entrepreneuses a-t-elle évolué au cours des dernières années ?

Caroline Boudergue :  Les femmes sont aujourd’hui plus acceptées et reconnues en tant qu’entrepreneuses. Dans de nombreux pays, les mentalités ont évolué et les femmes s’autorisent de plus en plus à avoir une vision qui leur soit propre. Résultat, les jeunes filles voient de plus en plus de leurs « aînées » entrepreneuses réussir, ce qui facilite la faculté à pouvoir s’identifier à ces réussites et à créer de l’émulation. 

Hafsat Abiola : Bien que partageant ce constat d’ensemble dans la durée, je pense pour ma part que la situation est devenue plus difficile récemment, notamment en raison du choc économique né du Covid-19. La pandémie a eu un impact négatif considérable sur l’activité professionnelle de nombre de femmes. Durant cette période, on estime que les petites et moyennes entreprises (PME) dirigées par les femmes ont accusé des pertes de revenus de plus de 50 %, principalement en raison de leur petite taille, de leur caractère informel et de leur concentration dans des secteurs fortement touchés, comme l’hôtellerie ou le tourisme. Depuis, l’activité a repris et nombre de femmes entrepreneuses ont tiré les leçons du passé en modifiant leur stratégie. 

De quelle façon, concrètement ? 

H.A : De manière générale, les projets reposent de plus en plus sur les nouvelles technologies pour toucher les clients et organiser la logistique autour de plateformes locales. Cette formule a pour principal avantage de réduire les coûts, notamment ceux liés aux infrastructures physiques, souvent onéreuses. Au final, la technologie permet aux femmes de développer leurs compétences et leur vision, tout en leur donnant les outils nécessaires pour atteindre plus aisément leurs objectifs en affaires. 

De nombreuses recherches semblent corroborer l’idée que les Africaines sont plus susceptibles de poursuivre une activité entrepreneuriale que les hommes originaires du continent. À  quoi cette différence peut-elle être attribuée ? 

H.A : Mon sentiment est que cette tendance observée traduit d’abord la rigidité des rôles liés aux genres dans la société africaine, les attentes sociales impactant le temps que les femme peuvent consacrer à telle ou telle activité. Dans ce contexte, celles-ci privilégieront une activité professionnelle qui soit flexible. L’entrepreneuriat leur offre précisément cette flexibilité et liberté. 

« Les femmes africaines portent beaucoup sur leurs épaules. Dans ces conditions, lancer une entreprise peut s’avérer  un bon moyen d’accroître les revenus générés »

C.B : Les femmes africaines portent beaucoup sur leurs épaules, ne serait-ce que pour faire face aux multiples besoins familiaux. Dans ces conditions, lancer une entreprise peut s’avèrer  un bon moyen d’accroître les revenus générés. De fait, une étude du cabinet Roland Berger intitulée « Women in Africa Entrepreneurship : A path to women empowerment » souligne cette dimension essentielle : l’entrepreneuriat est le plus souvent pour les femmes une réponse aux défaillances du marché de l’emploi. L’entrepreneuriat n’exige par ailleurs pas un niveau d’études déterminé, contrairement à la plupart des professions salariées. 

En dépit de cette propension à l’entrepreneuriat, la Banque mondiale rappelle que les femmes africaines gagnent souvent moins que leurs confrères masculins. Là encore, comment l’expliquer ? 

H.A.: Je pense que c’est le résultat de plusieurs facteurs. Dans le cadre des prêts bancaires par exemple, les femmes demanderont des emprunts qui sont généralement 50% inférieurs à ceux des hommes. En cause, un manque de confiance de la part de la gent féminine quant aux questions financières. Le second point sur lequel je voudrais m’attarder est centré sur le type de secteur dans lesquelles les femmes évoluent habituellement : elles sont souvent peu actives dans des secteurs tels que les mines ou la construction, où les revenus moyens générés sont  plus élevés.  Ce sont là autant de facteurs qui expliquent les différences observées de revenus entre hommes et femmes. 

« L’accès au financement est essentiel à l’activité entrepreneuriale et celui-ci impacte en premier lieu les femmes »

C.B.: L’accès au financement est effectivement essentiel à l’activité entrepreneuriale et celui-ci impacte en premier lieu les femmes. C’est pour tenir compte de cette situation que plusieurs institutions proposent des programmes spécifiques, à l’image de l’initiative panafricaine AFAWA (acronyme anglais pour Affirmative Finance Action for Women in Africa) de la Banque africaine de développement, qui vise à combler le déficit de financement qui affecte les femmes en Afrique, estimé à 42 milliards de dollars. 

Dans la durée, comment changer la donne en faveur des entrepreneuses africaines ? 

C.B.: Il y a bien évidemment la question de l’éducation et de la formation en Afrique, pré-requis indispensable pour répondre aux besoins du marché et pour intégrer plus de femmes dans la vie active. Pour ma part, je pense que les besoins prioritaires devraient aller à la mise sur pied de programmes de compétences non techniques, pour former notamment les femmes à gagner en confiance. Autre solution à développer plus activement, les produits de mésofinance avec des conditions de garantie flexibles pour faciliter le développement des entreprises à moyen et long terme, plus en adéquation que l’offre actuelle à court terme du microcrédit. C’est dans cet esprit qu’Access Bank a lancé des produits ciblés, qui tiennent compte du profil économique des femmes entrepreneuses, avec des garanties inférieures. La réglementation pourrait par ailleurs jouer un rôle important, en fixant par exemple des quotas de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises, ne serait-ce que temporairement. Cette démarche exigera toutefois du temps et du travail, et devra se faire main dans la main avec les hommes. Personne ne veut d’un monde où les progrès enregistrés par les femmes se feraient au détriment de ces derniers. 

« Les grands succès sont le résultat de grands soutiens »

 H.A.: Une de mes citations favorites  est que « les grands succès sont le résultat de grands soutiens ». Or, trop souvent en Afrique, les femmes disposent de peu (ou pas) de soutien. C’est cette donne qu’il faut aujourd’hui changer. Par ordre d’importance, il faudrait en premier lieu démocratiser des services publics tels que la mise à disposition de crèches – notamment dans les zones périurbaines plus pauvres – afin que les femmes puissent consacrer plus de temps à leurs projets entrepreneuriaux. Le second point clé est la démocratisation du développement des compétences car il persiste un grand écart entre les hommes et les femmes dans ce domaine. Trop souvent en effet, les garçons sont privilégiés en matière d’éducation, ce qui handicape le développement des aptitudes des filles quant aux connaissances requises pour la gestion d’une entreprise par exemple. 

Enfin, dans le cadre de la passation des marchés publics, les gouvernements africains devraient par exemple réserver au moins 30% des appels d’offres aux femmes, ce qui aiderait concrètement les entrepreneuses à développer leur business ; et par ricochet , à renforcer la croissance du PIB du continent. 

Hafsat Abiola, présidente de la Women in Africa Initiative (WIA)-Photo ©Rémi Schapman

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