Héritier du groupe familial malgache Filatex, Hasnaine Yavarhoussen a contribué à faire de ce conglomérat l’un des plus puissants du pays, multipliant avec succès les projets d’expansion. C’est désormais le reste du continent qu’il ambitionne de conquérir.
Par Hery ANDRIAMIANDRA
Hasnaine Yavarhoussen enchaîne les rendez-vous comme un métronome. Et pour cause, le numéro 2 du groupe malgache Filatex- un conglomérat actif dans l’énergie, les zones franches et l’immobilier (85 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel)- est sur tous les fronts en cette période de reprise post-Covid : lancement récent de la centrale hybride (solaire-thermique) de Mahajanga, au nord-ouest de Madagascar ; projets énergétiques à l’international ; partenariat avec le français Green Bird (basé à la Réunion) pour développer la filière d’huile de figue de barbarie…
Entre deux déplacements à l’étranger, il parvient pourtant à nous recevoir dans ses locaux de Tanjombato, au sud d’Antananarivo. Dans le bureau du jeune entrepreneur, le passé et le présent semblent inextricablement mêlés : la maquette d’un galion espagnol côtoie l’Ipad et l’Iphone, deux objets symboles de notre époque contemporaine, posés sur une commode de style Louis XIV. Un clin d’œil peut-être à l’histoire intergénérationnelle de l’entreprise, fondée à la fin des années 70 par le père d’Hasnaine, Abdoulrassoul Yavarhoussen.
Le textile comme rampe de lancement
Issu d’une famille de Khojas (musulmans chiites venus d’Inde et du Pakistan) installée depuis cinq générations à Madagascar, le patriarche se lance initialement dans le secteur du textile, où il distribue notamment les machines Singer sur la Grande Île. Très vite, son intuition le pousse à lancer la première zone franche de Madagascar- la zone franche industrielle Filatex- au début des années 80, au moment où le Fond monétaire international demande au gouvernement socialiste de Didier Ratsiraka, « l’Amiral rouge », de libéraliser son économie. Ce premier succès dans l’immobilier industriel sera suivi d’autres, dans l’immobilier résidentiel et commercial cette fois.
De fait, la croissance à marche forcée du groupe requiert vite l’appui de la nouvelle génération. Passé par le très chic lycée parisien Janson-de-Sailly, l’Université Paris-Dauphine et l’European Business School (EBS), avant de se forger une première expérience professionnelle à Londres et Madrid, le jeune Hasnaine rejoint son père en 2010. Nommé Directeur Général Délégué (DGD), l’héritier apporte un souffle nouveau, formant avec son père un tandem managérial où « tout se déroule parfaitement, sans anicroche, chacun jouant son rôle », précise notre interlocuteur. Toujours actif, Abdoulrassoul Yavarhoussen détermine la stratégie d’ensemble du groupe et prend en charge les relations avec les principaux partenaires financiers (banques, institutions) tandis que le fils s’occupe de l’opérationnel.
Diversification réussie dans l’immobilier
Dès 2013, ce dernier lance notamment Filatex sur le créneau de l’immobilier haut-de-gamme, avec les villas Alhambras, situées à quelques encablures du siège de Tanjombato. Le projet se décline en 17 villas de standing, construites sur des parcelles individuelles de 650 m2 et disposant d’une superficie habitable de 250 m2. Le tout à proximité des commerces, banques, grandes surfaces, pharmacies et autres centres de loisirs. Une formule qui plaît et qui devrait prochainement être suivie d’un autre projet voisin, pour la pratique de golf. Sur ce point, Hasnaine Yavarhoussen s’est assurément employé à faire fructifier l’important patrimoine immobilier (200 000 m2 bâtis) accumulé à Antananarivo au fil des ans par l’entreprise familiale. Et ce, « sans compter les nombreux aménagements urbains réalisés dans la capitale malgache, via la filiale Filatex Immobilier et les sociétés de construction du groupe », précise le DGD de Filatex qui, vu la demande, prévoit déjà de « bâtir des milliers de logements dans le sud et l’ouest d’Antananarivo, destinés à l’accès à la propriété de la classe moyenne émergente ».
Pari sur l’énergie
Mais au-delà de l’immobilier et des zones franches, le groupe a su habilement se diversifier dans d’autres secteurs en croissance tels que l’énergie, l’hôtellerie ou bien encore les infrastructures maritimes et portuaires. Le pari sur la production énergétique, initié au début des années 2000, est de ce point de vue une parfaite illustration du flair et de l’audace dont sait faire preuve la famille Yavarhoussen, au moment de se lancer dans une nouvelle aventure entrepreneuriale. En 2006, profitant de la libéralisation du marché de la production d’énergie, Filatex créée une filiale dédiée, la société Enelec, qui affiche très vite son ambition de devenir le premier producteur d’électricité de la Grande Île. Le marché semble, il est vrai, propice à une croissance rapide de la consommation d’électricité, 85 % de la population n’ayant pas accès à l’électricité. Les difficultés ne manquent pourtant pas, à commencer par la gestion des impayés de la compagnie nationale d’eau et d’électricité de Madagascar, la Jirama, qui achète aux fournisseurs d’électricité privés tels qu’Enelec (mais aussi Jovena, Aksaf Power, Symbion…) l’énergie qu’elle achemine ensuite aux usagers finaux. Pas de quoi cependant décourager la direction de Filatex, qui connaît parfaitement son marché domestique. Mieux, le groupe ne fait que renforcer ses engagements dans la filière comme le prouve le récent rachat, annoncé en février dernier, d’une centrale électrique au fioul lourd de 40 mégawatts, détenue jusqu’alors par la firme américaine Symbion Power.
Par ailleurs, depuis 2019, Enelec a « accéléré l’hybridation de ses sites de production à l’énergie solaire », précise le DGD du groupe Filatex, qui cite notamment l’un de ses derniers projet d’énergie solaire de 80 MW à Madagascar, « en partenariat avec les firmes canadiennes Dera Energy et Canadian Solar », ces deux entreprises apportant notamment le financement (50 millions de dollars) et l’expertise nécessaires. Le groupe a également payé 10 millions d’euros pour une participation de 41 % dans la société française Energiestro, qui développe une technologie de stockage par volant d’inertie, dont la durée de vie est illimitée (contrairement à une batterie de stockage conventionnelle).
Au total, le groupe Filatex, via sa filiale Enelec, alimente aujourd’hui 1 million de clients grâce à ses solutions solaires et gère une trentaine de centrales thermiques et solaires dans tout le pays. Mieux, il cherche aujourd’hui à répliquer son succès dans la fourniture d’électricité au reste du continent. « Une priorité » pour Hasnaine Yavarhoussen, qui dit se positionner sur des pays comme le Ghana, la Guinée et la Cote -d’Ivoire depuis 2020 pour un investissement total de 150 millions de dollars, « financé a 80% par emprunts bancaires et 20% en fonds propres ».
Mécénat
En attendant, dès qu’il le peut, le jeune DGD de Filatex voyage, se rendant souvent à Paris. Le patron malgache s’intéresse aussi à la création artistique et dit se constituer patiemment une collection privée d’art contemporain international, axée sur les nouvelles tendances européennes et américaines de l’art abstrait. Un tropisme pour les influences étrangères qui n’empêche pas Hasnaine Yavarhoussen de soutenir activement la création artistique malgache, via notamment son Fonds Yavarhoussen. Une manière comme une autre d’exprimer l’attachement de cette dynastie d’affaires à Madagascar, la Grande Île ayant été un terreau particulièrement propice aux grandes ambitions de cette entreprenante famille.