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Hommage à Manu Dibango

DI_Edmond-SADAKA

Manu Dibango est né le 12 décembre 1933 à Douala. Il est considéré comme une légende. Le saxophoniste, 86 ans, décédé des suites du COVID-19 ce mardi 24 mars 2020 à Paris laisse un vide dans le monde de la musique. Homme simple, disponible, au sourire généreux, je me souviens de notre dernière rencontre, de notre dernière conversation.

Je l’ai connu au début des années 90. Je l’ai photographié pour la première fois en 1997 à l’UNESCO, lors du cinquantième anniversaire de la Maison d’édition Présence Africaine. Je ne compte plus le nombre de fois où je l’ai interviewé.

DU CAMEROUN A LA BELGIQUE

Chaque entretien était pour moi une façon d’en apprendre un peu plus sur l’homme et la musique. Lors de notre dernier entretien, il me parlait de ses débuts dans le métier en ces termes : « Mon parcours est assez bizarre. Je ne suis pas né en France, mais j’y ai grandi. Quand je suis parti du Cameroun à l’âge de 15 ans. A mon époque au Cameroun, il n’y avait qu’une radio militaire. Je n’avais pas en tête de faire une carrière musicale. En fait, rien ne m’attirait particulièrement. Je suis allé en Belgique où j’ai commencé à jouer dans le cabaret d’un ami. C’était en 1957 ».

C’était la période d’émancipation des colonies, le Congo réclamait son indépendance et les différents leaders du pays étaient invités à Bruxelles pour discuter autour de la table. De nombreux musiciens sont arrivés, notamment Kabasélé : « Il est arrivé à Bruxelles avec Patrice Lumumba, je l’ai rencontré pendant la période de la table ronde. Je jouais dans le cabaret Les Anges Noirs tous les soirs, c’est là que Kabasélé m’a entendu. Il est venu me voir en me demandant si je pouvais remplacer son saxophoniste malade pour un enregistrement. J’ai accepté, j’ai joué du piano et du saxophone. Il m’a demandé de l’accompagner à Léopoldville pendant un mois, en août 61. J’y ai séjourné pendant 2 ans ». Deux années durant lesquelles le saxophoniste apprend véritablement à jouer de la musique africaine et ouvre un club. En 1963, il invite ses parents au Congo qui lui demandent de rentrer au Cameroun. Il s’exécute et ouvre un « nouveau » Le Tam-Tam, à Douala. Pour cause de guerre civile, il est obligé de le fermer et se replie en France.

Avec ses musiciens Lucien Dobat Jeannot Karl Mandengue et Slim Pezin à la fin des années 1960

LE RETOUR EN FRANCE

De retour en France de Manu Dibango trouve du travail à la Bohème, un club rue Odessa à Paris. Il y monte son premier groupe, l’African Soul Quintet: «.J’ai ensuite accompagné Dick Rivers, puis Nino Ferrer ». En 1967, Gesip Légitimus lui propose une émission intitulée « Pulsations » à la télévision française. Les vedettes de la variété française y participent.

LA PÉRIODE JAZZ

Manu Dibango découvre le jazz grâce à son ami de l’époque, Francis Bebey, lui aussi musicien camerounais. C’est d’ailleurs lui qui l’initie au Saxophone. Toutefois, il ne se définit pas comme un musicien de jazz : « Je suis arrivé en France dans les années 50. A cette époque, il y avait des clubs de jazz à Saint-Germain-des-Prés, où jouaient des musiciens comme Sidney Bechet, Bill Coleman, Louis Armstrong, Duke Ellington. J’ai eu la chance de les connaître et d’assister à leurs concerts».

SOUL MAKOSSA

En 1972, le Cameroun organise la coupe d’Afrique des nations de football. On lui propose d’écrire un hymne pour la compétition. Il s’en amuse: « Personne ne se souvient de cet hymne ». L’hymne est gravé sur le face A du 45 tours. Sur la face B, « Soul Makossa ». Le titre fait un « tabac » aux Etats-Unis au point où le saxophoniste est invité à faire une tournée outre Atlantique. C’est ainsi qu’il apparaît aussi aux côtés du groupe latino Fania All Stars. Quelques années plus tard, en 1983, Michaël Jackson s’empare du titre « Soul Makossa » et sort « Wanna Be Startin’ Somethin’ » où il reprend sans autorisation en gimmick « Mama-se, mama-sa, mama-coo-sa ». C’est le début d’une longue procédure judiciaire qui débouchera sur un accord financier. Rihanna, Akon, Will Smith, Jennyfer Lopez, Beyoncé vont aussi reprendre le même gimmick.

LE SENS DU PARTAGE

Alors que Manu Dibango est encore aux Etats-Unis, le Président Houphouët Boigny lui demande de venir en Côte d’Ivoire diriger l’Orchestre de la Radio Télévision Ivoirienne : « J’ai accepté, parce que j’avais une certaine idée de l’Afrique, qu’on me proposait pour une fois de diriger un orchestre africain, en Afrique, et que j’avais même la possibilité de composer. C’était une collaboration Sud-Sud ! ». Devenu ambassadeur de la musique africaine, de nombreux artistes africains qui sont passés par son orchestre sont devenus des artistes de renom : Tito Puente, Jean-claude Naimro, Michel Alibo, Claude Vamur, Lokua Kanza, Coco Mbassi, André Manga Armand et Félix Sabal-Lecco, Gino Sitson et bien d’autres.

LE PASSIONNÉ DE CINÉMA

Manu Dibango a écrit une multitude de musiques de films ainsi que pour des publicités. « Le cinéma est une de mes passions. J’ai travaillé sur des films camerounais, du Burkina-Faso, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal ». Il participe aussi à des dessins animés.

L’HOMME ENGAGÉ

Plusieurs causes interpellent Manu Dibango. Avec une quarantaine d’artistes africains, il enregistre en 1984 « Tam Tam pour l’Ethiopie ». Les fonds serviront à soutenir le pays. Pour un concert pour la libération de Nelson Mandela lors de la fête de l’Humanité en France en 1985, Manu Dibango est encore là. En 2018, il signe avec d’autres artistes français, une tribune contre le réchauffement climatique dans le journal Le Monde.

SAFARI SYMPHONIQUE

Safari Symphonique est un projet mêlant musique africaine et instrumentalisation classique. C’est l’aboutissement de 60 années de carrière. En octobre 2019, le saxophoniste réalise une tournée européenne conclue en beauté au cinéma Rex à Paris.

 

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