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Indira Moudi, Leader Globale Devenue Entrepreneuse Locale

Comment devient-on PDG d’un abattoir québécois après avoir été, 20 ans durant, ingénieure dans l’industrie mondiale de l’énergie ? C’est la belle success-story d’Indira Moudi, aujourd’hui à la tête de la manufacture alimentaire Viandes Lafrance, entreprise familiale pour laquelle elle nourrit de grandes ambitions.

Par Patrick Ndungidi


En mai 2023, la société Viandes Lafrance, plus gros abattoir d’ovins, de bovins et de caprins du Québec, s’est vu décerner le prix « Mercure Stratégie de développement durable Desjardins Entreprises » lors du prestigieux concours d’affaires Les Mercuriades, organisé par la Fédération des chambres de commerce du Québec. Quelques mois plus tôt, elle avait reçu un autre type de récompense lorsqu’à l’issue de cinq ans de labeur, Viandes Lafrance était devenu le premier abattoir de compétence québécoise à décrocher, fin 2022, la certification fédérale de l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Désormais, l’entreprise, spécialisée dans l’abattage, la transformation et la vente en gros, peut commercialiser ses produits dans tout le Canada ainsi qu’à l’étranger, ce qui lui était impossible quand elle était d’envergure et de compétence provinciale. « Ce résultat est vraiment dû au travail acharné du directeur général Guillaume Pham et de toute l’équipe en place », se félicite son PDG, Indira Moudi.


De Schlumberger à Areva

C’est en 2012, alors qu’elle était vice-présidente d’Areva Niger (aujourd’hui Orano), que cette ingénieure québécoise a décidé de racheter Viandes Lafrance, une entreprise familiale créée en 1929 et dont les représentants de la troisième génération n’avaient aucune relève pour assurer la suite. Un retour aux sources pour Indira Moudi, puisque le Canada est le pays où, avec ses sœurs, elle s’est installée à l’âge de 16 ans afin d’entamer ses études, prélude à une carrière menée tambour battant sur quatre continents.

Fille d’un couple de médecins travaillant pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la jeune femme a très tôt été habituée à voyager, au gré des déplacements professionnels de ses parents. Née par hasard en Algérie, elle effectue ses études secondaires dans quatre pays d’Afrique, avant d’être admise en génie industriel à l’Université polytechnique de Montréal. À peine diplômée, elle est recrutée par la multinationale de services et équipements pétroliers Schlumberger (aujourd’hui SLB). Elle y officiera pendant onze ans, travaillant tout d’abord au Nigeria et au Gabon comme gestionnaire de plateformes pétrolières. En 2004, elle est promue responsable du recrutement pour l’Europe, l’Afrique, la Russie et la Communauté des États indépendants (CEI). Basée à Paris, elle a pour mission de trouver les meilleurs talents, spécialement des femmes africaines qui se comptent alors sur les doigts de la main au sein du groupe de 100 000 employés. En parallèle, elle fonde la société African Supplier, une start-up de conseil et d’expertise en contrôle de qualité, ressources humaines et gestion de projets.

Deux ans plus tard, toujours en poste à Paris, Indira Moudi est nommée directrice générale de Schlumberger pour la Mauritanie, le Maroc et le Sénégal, avant d’être mutée à Oklahoma (États-Unis) comme directrice qualité, santé, sécurité et environnement. Son objectif : améliorer les normes techniques au sein du plus grand site mondial de Schlumberger. Cette mission achevée, elle rejoint Houston, où elle est promue responsable mondiale de la formation. Au bout de deux ans à ce poste, elle met, en 2007, le cap sur Pune, en Inde (pays d’origine de sa mère), pour piloter la création d’une nouvelle manufacture Schlumberger.


Une Femme De Poigne

Lorsque le groupe Areva, dirigé à l’époque par Anne Lauvergeon, la contacte afin de la recruter pour ses mines d’uranium au Niger, Indira Moudi y voit un signe, un appel pour connaître ce pays où est né son père. C’est ainsi qu’en 2008, elle devient vice-présidente environnement et responsabilité sociale pour Areva au Niger, tandis que son époux, le Français Guillaume Pham, est nommé directeur technique d’Orange au Niger.

Le couple restera près de cinq ans à Niamey. En tant que vice-présidente d’Areva Niger, Indira participe notamment à la mise en œuvre du premier plateau de réanimation sanitaire du pays. Elle pilote également les processus QHSE (Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement) pour trois mines et deux hôpitaux, et supervise le désamiantage de deux anciennes mines. Au sein de l’équipe de direction régionale, elle intervient aussi sur la gestion des crises (détournements d’avions, assassinats perpétrés par Al-Qaïda…) et soutient l’évacuation réussie des ressortissants français, ainsi que le renforcement de la sécurité.

©Gaëlle Vuillaume


Allier Maternité, Famille Et Carrière

C’est au Niger qu’elle commence à nourrir l’idée de diriger sa propre entreprise, cette fois au Québec. Mais, plutôt que de créer une nouvelle structure, elle considère qu’un rachat lui permettra d’obtenir plus rapidement des résultats. Plusieurs études de marché et visites d’entreprises plus tard, cette fonceuse dans l’âme jette son dévolu sur Viandes Lafrance (anciennement Abattoir Louis Lafrance & Fils), bien que le secteur de l’agroalimentaire lui soit totalement étranger. Elle entame ainsi des négociations pour la reprise (le « repreneuriat », disent les Québécois) de cette PME située à Shawinigan (Mauricie), entre Montréal et Québec. Au même moment, en décembre 2011, la multinationale parapétrolière américaine Baker Hugues lui propose de diriger sa filiale au Congo-Brazzaville. Cette offre de recrutement pour le moins alléchante survient alors que la quadragénaire, encore salariée chez Areva, est enceinte et en congé maternité. Autant dire que le dilemme est intense. « Pour nous les femmes, il y a des moments où il faut prendre de grandes décisions stratégiques, confie-t-elle. Pour ma part, ma priorité a toujours été de me donner les moyens de pouvoir bien éduquer mes enfants. C’est pourquoi j’ai choisi de devenir mère seulement dix ans après la rencontre avec mon conjoint, que je connais depuis 2002 ».

Indira Moudi a une ambition pour le prochain chapitre de sa vie : partager son expertise en tant que leader mondiale et inspirer la prochaine génération 

Finalement, la décision sera celle du couple Pham-Moudi : c’est Guillaume Pham qui assurera la direction générale de Viandes Lafrance (une fois le rachat conclu), tandis qu’Indira Moudi optera pour une année sabbatique avec Areva, tout en acceptant l’offre de Baker Hugues. Le 25 janvier 2012, elle accouche de l’aîné de leurs enfants… et les choses se précipitent. Le 1er avril, elle prend officiellement ses fonctions chez Baker Hugues au Congo ; et le 6, elle conclut le rachat de Viandes Lafrance. « Je suis restée très éthique avec tout le monde », souligne-t-elle. « C’est quelque chose d’important pour moi ».

Chez Baker Hughes, Indira Moudi est rapidement nommée présidente pour huit pays d’Afrique, dont le Congo-Kinshasa, le Congo-Brazzaville, le Cameroun, le Niger et la Côte d’Ivoire. Elle réalise une performance exceptionnelle, que ses supérieurs saluent en lui confiant la présidence de 27 pays d’Europe. Basée à Amsterdam, elle occupera ce poste pendant un an, jusqu’au rachat de Baker Hughes par General Electric (GE). Elle devient alors responsable mondiale du supply chain de GE-Baker Hughes, depuis Houston.

Toutefois, si son travail lui plaît énormément, Indira Moudi ne s’imagine pas rester aux États-Unis. Début 2017, sa décision est prise : elle quitte le groupe et s’installe définitivement au Canada, afin de diriger sa propre entreprise. Ainsi est-ce désormais au service de Viandes Lafrance que l’ingénieure au riche parcours met à profit l’expérience qu’elle a acquise pendant vingt ans dans le domaine de l’énergie.


Développer Le Leadership Transformationnel

« J’ai été formée pour faire de la production de masse, mais ici, on a une entreprise à taille humaine et je prends à cœur mon rôle de PDG », souligne la dirigeante, à la tête d’une cinquantaine de salariés. Convaincue que les êtres humains continueront à l’avenir à consommer de la viande, elle estime que « l’agroalimentaire doit se développer de façon beaucoup plus écoresponsable ». C’est ce à quoi s’emploie Viandes Lafrance, en transformant la production animale des éleveurs de la région et en s’appliquant à maintenir les meilleures pratiques en matière d’élevage durable, de traçabilité et de normes de qualité. « Nous travaillons avec une quarantaine de producteurs locaux dont les fermes sont à un maximum de quatre heures de distance de l’abattoir », précise-t-elle. Produire localement et évoluer de façon responsable est le credo de la cheffe d’entreprise, qui se dit également convaincue que la production de viande responsable à l’échelle locale participe à la décarbonation de l’économie.

« L’agroalimentaire doit se développer de façon beaucoup plus écoresponsable »

Tout en travaillant à renforcer la marque et à concevoir des pratiques et des produits écoresponsables respectant les traditions gastronomiques locales, l’infatigable Indira Moudi a une ambition pour le prochain chapitre de sa vie : partager son expertise en tant que leader mondiale et inspirer la prochaine génération. Elle observe : « Ma conscience est aiguisée, dit-elle, et j’ai la responsabilité, le devoir même, de montrer le chemin pour la minorité que je représente ». Aussi a-t-elle rejoint, en avril dernier, l’association internationale IMAGINE, dont l’ambition est de développer et d’accélérer le leadership transformationnel dans le monde. « L’avenir de l’humanité réside dans notre capacité à diriger en se basant sur les valeurs fondamentales de l’amour et de la bienveillance », aime à répéter l’entrepreneuse québécoise qui, au sein de sa PME, mise sur le bien-être de ses employés et sur l’inclusion (12 nationalités y sont représentées). Avec sa vision personnelle de l’avenir et ses convictions chevillées au corps, Indira Moudi poursuit donc son chemin, installée maintenant avec sa famille près de Shawinigan… une ville appelée « Cité de l’énergie » en vertu de son histoire hydroélectrique et industrielle. De l’énergie à l’agroalimentaire, il n’y avait finalement qu’un pas.


Indira Moudi en bref

1997 – Tout juste diplômée de Polytechnique de Montréal (ingénierie industrielle), elle rejoint le groupe français Schlumberger (SLB) où elle occupera différentes positions : ressources humaines, management, techniques. Elle travaille aux États-Unis, en Europe, en Afrique et en Asie. 2008 – Suit un stage (fusion-acquisition) à la Harvard Business School.
En octobre, elle devient vice-présidente environnement et responsabilité sociale pour Areva (Orano), au Niger.
Avril 2012 – Rachète la société Viandes Lafrance (Québec) dont son époux, Guillaume Pham, prend la direction générale.
2012 – Présidente de Baker Hugues pour l’Afrique centrale (Congo, Gabon, Cameroun, Tchad, Niger, Guinée équatoriale, RDC). En poste au Congo. Un an plus tard, elle devient présidente de Baker Hugues pour l’Europe continentale, responsable de 27 pays. En poste aux Pays-Bas.2015 – Responsable du supply chain mondial pour GE-Baker Hugues. En poste à Houston. 2017 – Membre du conseil d’administration et présidente de la société Viandes Lafrance.

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