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Jean-Marie Ackah : l’Agro-Industriel qui Nourrit les Ambitions de la Côte d’Ivoire

En Côte d’Ivoire, peu d’entreprises avec un capital 100% privé et ivoirien émargent dans le Top 100. L’agriculture avec le groupe SIFCA ou les exportateurs de cacao ivoiriens boostés par la volonté de l’État de favoriser les champions nationaux se démarquent, éclipsant une réussite atypique : celle du groupe Avos et sa marque Coquivoire, champion national avicole, détenu par l’ancien patron de la CGECI (Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire, le Medef local), Jean-Marie Ackah. Portrait.

Par Sylvain Comolet


Qui pose ses valises à Abidjan ne peut passer à côté du plat national ivoirien : le poulet braisé, généralement accompagné d’allocos (banane plantain frite) ou d’attiéké (semoule de manioc), et servi dans les maquis (petits restaurants de rue). Jean-Marie Ackah (JMA), président du groupe Avos, société mère de SIPRA (Société ivoirienne de production animale) abritant la marque Coqivoire, est leur premier fournisseur.

Avant d’atterrir dans l’assiette de millions d’Ivoiriens, les poulets sont élevés dans des fermes dans la région du Bélier (centre du pays) puis transférés vers Abidjan, dernière étape avant leur mise sur le marché. Au nord d’Abobo en direction d’Anyama (nord d’Abidjan), le plus grand abattoir avicole de Côte d’Ivoire tourne à plein régime : y sont abattus près de 2 500 bêtes par heure. Attachée sur un rail, la tête en bas, la volaille n’a aucune chance : elle passe sur une plaque de métal recouverte d’eau où une décharge électrique l’assomme avant qu’un professionnel ne termine le travail au couteau. Les animaux sont ensuite dépecés dans les immenses salles froides jouxtant l’abattoir où des dizaines d’employés s’affairent pour produire cuisses, ailes et autres gésiers qui atterriront sur les étals des supermarchés ivoiriens, brandés Coqivoire.

Près de 1  200 personnes travaillent pour le groupe de JMA, essentiellement pour la société historique, la SIPRA, le vaisseau amiral qui, avec plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires depuis 2020, fait la fierté du groupe. Pour nourrir les millions de bêtes, la SABB (Société africaine de bétail du Bélier) et la LMCI (Les Moulins de Côte d’Ivoire) produisent l’alimentation nécessaire. De tailles plus modestes (49 millions d’euros de CA pour la SABB et 25 millions pour la LMCI en 2020), elles témoignent de la volonté du patron du poulet ivoirien d’intégrer verticalement son groupe. La SARES, société de restauration rapide en partenariat avec Total, la major française, vient compléter l’ensemble pour concurrencer KFC.

« Près de 1  200 personnes travaillent pour le groupe de JMA, essentiellement pour la société historique, la SIPRA, le vaisseau amiral qui, avec plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires depuis 2020, fait la fierté du groupe »


Diversification

Depuis son quartier général sis aux Deux Plateaux (commune de Cocody), loin du tumulte du Plateau et ses tours administratives, le septuagénaire supervise ses sociétés. La villa avec piscine est calme, à l’image du patron. Charismatique, l’homme parle lentement. Ses années à la tête de la CEGCI lui ont conféré une stature d’homme politique. «Notre intégration, elle se fait vers l’aval, mais aussi vers l’amont », ânonne-t-il. Comprendre : il ne suffit pas de maîtriser les réseaux de distribution de Coqivoire, il convient de remonter la chaîne de valeur et produire localement la matière première nécessaire à l’élevage des poussins. Une partie des œufs vient pour l’instant par avion (technologiquement l’Europe est bien trop avancée en génétique pour lui faire concurrence sur la qualité du génome des bêtes) avant d’être mise sous couveuse pour éclore en Côte d’Ivoire. En fier défenseur de la souveraineté alimentaire de son pays, JMA poursuit : « Nous avons amorcé le la production de maïs et nous commençons à réfléchir à produire localement du soja, qui est également une matière première indispensable pour nos filières ». Pour lui, importer des matières premières qui peuvent être produites localement relève du non-sens économique. Et constitue une opportunité.

Pour lui, importer des matières premières qui peuvent être produites localement relève du non-sens économique. Et constitue une opportunité.

Aujourd’hui le groupe opère 5  000 hectares de plantation de maïs, et compte doubler, voire tripler ses surfaces. L’idée est d’utiliser le maximum de matière première pour la nutrition des poulets ivoiriens, mais pas seulement : « En ayant fait cela nous n’aurons pas encore couvert même la moitié des besoins de la Côte d’Ivoire, mais nous espérons que cela fera tache d’huile et que ça permettra de développer d’autres zones de maïs pour que le pays devienne un producteur céréalier. » Le magnat du poulet voit loin et tente d’amorcer un virage agricole pour diversifier son groupe – et la nation ivoirienne dans la foulée : produire localement les matières premières, mais aussi les animaux, quitte à sortir du domaine avicole – la Côte d’Ivoire est un grand importateur de poissons. La pisciculture permettrait au groupe une diversification horizontale.

Le magnat du poulet voit loin et tente d’amorcer un virage agricole pour diversifier son groupe – et la nation ivoirienne dans la foulée 

À 70 ans passés, Jean-Marie Ackah sait qu’impossible n’est pas ivoirien, comme le veut l’adage populaire. Formé à Abidjan, puis en France dans une école de management, le patriarche a vu évoluer la Côte d’Ivoire depuis la fin du « miracle ivoirien » (décennies 1960-1970) où il a fait ses armes dans une société parapublique – PALMINDUSTRIE, responsable des programmes de développement du palmier à huile – avant de se lancer dans le privé. Peu banal, pour celui qui se considère comme un « prototype de l’Ivoirien de cette génération ».


Management Buy Out

Modeste, on sent que le prince de la volaille n’aime guère parler de lui. On ne peut comprendre l’homme qu’à travers les anecdotes sur ses affaires. «À l’époque, les contraintes d’emploi étaient beaucoup moins importantes qu’aujourd’hui. Les jeunes cadres avaient souvent plusieurs offres d’emploi, mais j’ai choisi cette société parce qu’elle était embryonnaire ». L’idée fixe est de pouvoir changer les choses, rapidement. La SIPRA, à la base filiale du groupe français Guyomarch, a été créée en 1976. Lorsque JMA débarque, il est l’homme à tout faire. Un peu de commercial, un peu de gestion, un peu de management : il faut prouver à l’actionnaire qu’on est compétent. Il est rapidement nommé directeur général de la filiale.

Dix ans plus tard, il propose à l’actionnaire de lui céder ses parts, en bonne intelligence. À lui la vision du développement de la filière avicole dans son pays, tout en gardant des relations techniques privilégiées avec l’ancien actionnaire, devenu le groupe Evialis. « J’ai repris la main à travers ce qui a été l’un des tout premiers MBO (Management buyout) en Côte d’Ivoire, c’est-à-dire la prise de contrôle capitalistique d’un dirigeant de l’entreprise qu’il gère. À ma connaissance c’était le premier réalisé ici ». Appuyé par des fonds d’investissement, des banques et la SFI (IFC, Société financière internationale), Jean-Marie Ackah scale les fermes et abattoirs et s’attaque aux marchés étrangers tout en verticalisant la SIPRA. La SOBUPRA voit le jour au Burkina Faso en 2014. Depuis 2023, tous les partenaires financiers sont sortis. Le fondateur oriente le groupe vers une nouvelle ère.

« J’ai repris la main à travers ce qui a été l’un des tout premiers MBO (Management buyout) en Côte d’Ivoire, c’est-à-dire la prise de contrôle capitalistique d’un dirigeant de l’entreprise qu’il gère. À ma connaissance c’était le premier réalisé ici »


Succession

Dans la salle de réunion où JMA explique la vision d’Avos pour les dix prochaines années, Johanne, sa fille, secrétaire générale du groupe, écoute son père. Il invoque les valeurs qui lui sont chères : humilité, rigueur, probité. Un empire certes, mais irréprochable. L’empereur de la volaille travaille aux côtés de sa fille depuis plusieurs années ; leurs bureaux ne sont pas très éloignés. Point de mystère sur la succession (« nous sommes dans un groupe qui entend demeurer un groupe familial »), mais de la pudeur : « Nous avons bon espoir que nous déboucherons sur une succession réussie, mais avec un esprit ouvert. Dans une succession, tout est possible ».

Avec l’essor démographique et l’embellie économique de la période Ouattara, la demande nationale augmente fortement. Les investissements prévus pour la période 2025-2030 sont massifs : près de 45 milliards de CFA (69 millions d’euros) pour développer des couvoirs, des fermes de reproduction ainsi que des fermes irriguées de maïs.

Les investissements prévus pour la période 2025-2030 sont massifs : près de 45 milliards de CFA (69 millions d’euros) pour développer des couvoirs, des fermes de reproduction ainsi que des fermes irriguées de maïs. I

Il faut aller vite en Côte d’Ivoire, contrer la concurrence qui s’installe tout en prenant de la hauteur. Le leader du poulet a des ambitions régionales. Il sait que si tout seul il peut aller vite, associé à un bon partenaire, il peut conquérir l’Afrique de l’Ouest. « Nous sommes convaincus qu’il n’est pas indispensable d’être seul pour effectuer ce parcours. Nous n’avons rien contre le principe d’ouvrir notre capital, mais en gardant le contrôle de l’entreprise », confirme-t-il sans fournir davantage de détails. Les similitudes du groupe de JMA avec le groupe Zalar de la famille Chaouni au Maroc – premier groupe avicole nord-africain et mastodonte affichant 740 millions d’euros de CA en 2021 – ne laissent guère de doutes quant à de possibles discussions futures.

À sa fille, le roi du poulet ivoirien lance un conseil en guise d’héritage : « Ajoutez ce qui est de votre temps, le monde évolue, soyez plus innovant que peut-être moi j’aurais pu être ». Pour finir, le patriarche rappelle que dompter la nature enseigne l’humilité… et qu’aucune vérité n’est parfaite ni établie définitivement.

« Nous avons bon espoir que nous déboucherons sur une succession réussie, mais avec un esprit ouvert. Dans une succession, tout est possible ».

Johanne ACKAH, Secrétaire Générale du Groupe AVOS

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