Multipliant les initiatives pour financer les projets innovants, la banque ouest-africaine de développement (BOAD) entend jouer un rôle pionnier dans les enjeux liés à la transition énergétique et à l’agriculture durable à travers la sous-région. Dans un contexte de frilosité financière internationale, l’institution doit cependant relever de nombreux défis pour y parvenir. État des lieux, à l’occasion de la première édition des BOAD Development Days, qui s’est tenue ce mois-ci à Lomé.
Par Folly-Gah Delato, à Lomé
« Le changement climatique, l’urbanisation rapide, l’insécurité alimentaire nous obligent à repenser notre manière de produire, d’investir et de consommer », a déclaré Serge Ekué, président de la banque ouest-africaine de développement (BOAD), lors des BOAD Development Days, organisés du 12 au 13 juin derniers à Lomé, la capitale togolaise.
Ce « brainswarming » est un événement initié par l’institution financière pour se pencher chaque année sur la problématique du manque de financement dans les deux secteurs prioritaires que sont l’énergie et de l’agriculture. L’objectif de l’institution est de mettre en place une plateforme d’échanges et de solutions pour stimuler le développement durable dans l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA).
« Ces journées ont pour vocation de créer une plateforme d’échanges et de solutions au service de notre engagement pour le développement durable de l’UEMOA », explique d’ailleurs Serge Ekué. Pour répondre à cet objectif, des initiatives innovantes visant à mobiliser davantage de ressources financières sont en cours d’élaboration.

Changer de Paradigme Pour Relever le Défi de la Durabilité
« Il faut guérir les pathologies du système financier régional en finançant autrement. Il va falloir accélérer dans l’application des remèdes pour notre système financier régional. Nous n’avons pas de crédits qui soient à la hauteur des défis de nos économies. Nous avons, dans l’espace UEMOA et en Afrique subsaharienne en général, un système financier qui réussit à collecter des dépôts plus qu’il n’accorde de crédits. C’est l’inverse dans le reste du monde », analyse Lionel Zinsou, économiste et ancien premier ministre du Bénin, qui estime que les secteurs de l’énergie et de l’agriculture sont sous-financés dans l’UEMOA, comparativement à d’autres régions du continent africain. « C’est une anomalie de sous-financer les secteurs de l’agriculture et de l’énergie et de ne pas financer le secteur du logement, contrairement à ce qui se fait au Maroc et en Afrique du Sud », ajoute-t-il.

Malgré les avancées enregistrées dans le secteur de l’énergie, la zone reste loin de l’objectif d’un accès universel à l’électricité qui représente l’objectif de développement durable des Nations unies n° 7, pour garantir d’ici à 2030 « l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable ».
À ce jour, l’ambition de l’UEMOA est de porter cet accès à 100 % d’ici 2033. Pour rappel, le taux de couverture en électricité avoisine 49 % dans UEMOA, contre 91 % à l’échelle mondiale. Au niveau de la BOAD, plusieurs actions d’envergure sont envisagées, nécessitant des ressources financières importantes pour capitaliser sur les acquis déjà existants. « Nous devons améliorer et accélérer l’accès à l’énergie électrique, à la fois par l’extension des réseaux nationaux, la promotion des systèmes décentralisés et la réalisation effective des projets d’investissement prévus dans le cadre de la stratégie de développement des pôles énergétiques de l’UEMOA », recommande Oumar Tembely, le directeur du département de l’énergie et des ressources naturelles de la BOAD.
« Nous avons, dans l’espace UEMOA et en Afrique subsaharienne en général, un système financier qui réussit à collecter des dépôts plus qu’il n’accorde de crédits. C’est l’inverse dans le reste du monde. »
Parallèlement, en matière d’agriculture durable, les défis à relever sont nombreux : forte vulnérabilité au changement climatique, modernisation très limitée, faibles transformation et valorisation des produits agricoles de l’espace communautaire. Face à ces défis, la banque envisage de mettre en place des mécanismes d’assurance mais aussi de sécurisation des crédits, pour encourager les acteurs financiers à s’intéresser au financement d’une agriculture durable dans l’espace UEMOA.
« La banque envisage de mettre en place des mécanismes d’assurance mais aussi de sécurisation des crédits, pour encourager les acteurs financiers à s’intéresser au financement d’une agriculture durable »
Mobiliser Plus de Financements Pour l’Agriculture et l’Énergie
Aujourd’hui, les experts cherchent des solutions innovantes pour attirer des ressources supplémentaires destinées à des projets pour une agriculture durable dans l’espace UEMOA. Face aux limites des modèles de financement traditionnel, plusieurs pistes sont préconisées. Il s’agit du blending finance, du partenariat public-privé et de l’amélioration de l’accès aux services financiers à travers les fintech, pour relever les différents défis de la sécurité alimentaire et de la transition énergétique.
Au-delà de la seule mobilisation de ressources financières, les pays sont encouragés à poursuivre l’assainissement de leur cadre macro-économique à travers l’implémentation de réformes et de mesures incitatrices. Selon les experts financiers, cela permettra d’attirer davantage l’investissement privé, tant sur le plan national qu’étranger, dans les secteurs-clés de l’agriculture et de l’énergie. « Il est vrai que la plupart des pays de la zone font des efforts pour l’amélioration du climat des affaires, afin d’attirer des investissements privés nationaux et étrangers. Le Togo occupe la première place en matière de réformes, selon le dernier rapport de la Banque mondiale. Toutefois, il existe encore des contraintes auxquels les pays doivent répondre. D’où la nécessité d’œuvrer davantage pour l’assainissement du cadre macro-économique dans tous les pays de l’espace UEMOA », reconnaît le professeur Aimé Gogué, économiste et ancien consultant auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI).
« Les pays sont encouragés à poursuivre l’assainissement de leur cadre macro-économique à travers l’implémentation de réformes et de mesures incitatrices »
D’aucuns considèrent qu’il faudra mettre davantage l’accent sur de nouveaux mécanismes de financement vert et les instruments de la finance climatique pour bénéficier de ressources financières supplémentaires. « La Banque ouest-africaine de développement est pleinement engagée dans cette dynamique. En intégrant le climat dans notre stratégie globale, en mobilisant des fonds verts, en soutenant des projets à fort impact, nous entendons jouer un rôle de catalyseur dans cette transformation », assure Serge Ekué. Aujourd’hui, l’institution financière régionale s’appuie sur l’expertise des institutions telles que le Fonds pour l’environnement mondial, le Fonds vert pour le climat et le Fonds d’adaptation, afin de mobiliser des ressources concessionnelles dédiées aux projets d’adaptation ou d’atténuation dans les pays de la sous-région.
« En intégrant le climat dans notre stratégie globale, en mobilisant des fonds verts, en soutenant des projets à fort impact, nous entendons jouer un rôle de catalyseur dans cette transformation », assure Serge Ekue.


Le Plan Stratégique Djoliba 2021-2025
Malgré le contexte économique mondial difficile caractérisé par le manque de ressources financières, la banque ouest-africaine de développement a mis en place le plan stratégique « Djoliba 2021-2025 » visant à impulser une nouvelle dynamique aux projets financés notamment dans les domaines de l’agriculture durable et des énergies renouvelables. La BOAD a fait des énergies renouvelables un pilier essentiel dans le financement des projets énergétiques et nombre d’observateurs estiment que cette approche aura des impacts significatifs dans l’espace UEMOA. D’autant que les secteurs de l’énergie et de l’agriculture sont intrinsèquement liés.
À ce jour, les financements accordés par l’institution financière régionale ont eu des impacts concrets pour les 133 millions de consommateurs que compte l’espace UEMOA. Sur le terrain, ce sont en effet « 3 842 kilomètres de routes réhabilitées, plus de 300 000 mètres cubes d’eau potable disponibles par jour, 1 440 MW d’énergie installée, 200 000 hectares irrigués », comme le rappelle Ambroise Kafando, le directeur du département Stratégie et Étude de la BOAD.
À six mois de la clôture du plan stratégique quinquennal Djoliba (2021-2025), l’institution communautaire affiche un taux de réalisation de 98,8 % sur ses objectifs de financement, soit plus de 3 310 milliards de francs CFA (5 milliards d’euros) injectés dans les économies de l’UEMOA. La mobilisation de ressources dépasse les projections : 4 510 milliards de francs CFA (6,8 milliards d’euros) levés, dont 2 064 milliards (3 milliards d’euros) auprès de partenaires extérieurs, soit 137 % de l’objectif initial.
Pour appuyer la BOAD dans sa mission de mobilisation et de financement des projets dans les secteurs prioritaires que sont l’énergie et l’agriculture, la commission de l’UEMOA réalise actuellement une étude visant à évaluer les impacts des projets financés sur les populations de la zone.
« La BOAD a fait des énergies renouvelables un pilier essentiel dans le financement des projets énergétiques »