Régulièrement confrontée à des sécheresses inédites, l’Afrique est à la croisée des chemins. Saura-t-elle s’adapter aux changements rapides provoqués par le réchauffement climatique ? Président en exercice de l’Union africaine, Azali Assoumani veut croire que oui. Le président de l’Union des Comores rappelle toutefois dans cette tribune la nécessité pour les dirigeants du continent de s’unir et d’agir résolument pour y parvenir. Un appel à l’action qui est plus que jamais d’actualité, à l’heure où se tient la COP28 à Dubaï. Tribune
Par S.E.M. Azali Assoumani, Président de l’Union des Comores et président en exercice de l’Union Africaine (UA)
D’ici 2040, les experts estiment qu’un enfant sur quatre vivra dans des régions où l’eau sera extrêmement rare car les sécheresses frappent de plus en plus fort et plus souvent en raison du changement climatique.
La pénurie d’eau douce n’est pas la seule conséquence des sécheresses. Elles affectent entre autres la santé publique, l’économie et même le tourisme. Elles provoquent également des famines et des déplacements de populations. Selon des chiffres récents du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), plus de 2,7 millions de personnes ont été déplacées dans la Corne de l’Afrique et plus de 13 millions de têtes de bétail ont péri.
La sécheresse est donc l’une des catastrophes naturelles les plus dévastatrices. Cependant les experts sont unanimes, elle n’est pas seulement due à une absence de pluie ; la sécheresse est également le résultat d’une mauvaise gestion de nos terres.
Notre résilience à la sécheresse – et au changement climatique – dépend de la santé de nos terres ; elle est essentielle au développement économique de l’Afrique, à la sécurité alimentaire, ainsi qu’au bien-être et à la santé de nos populations, et pourtant, elle peine à trouver une place de choix au sein de l’agenda mondial. De plus, le financement qui y est consacré demeure encore trop modeste ; une donne qui exige notre attention immédiate dans les réformes de l’architecture financière internationale.
L’Afrique, continent le plus touché par les sécheresses
De manière factuelle, aucun continent du monde n’est épargné par les sécheresses mais l’Afrique reste la région la plus touché par ce phénomène. Elle a enregistré 44 % de sécheresses graves au cours du siècle dernier et, au cours des 50 dernières années, a subi des pertes économiques de plus de 70 milliards de dollars ainsi que des souffrances humaines incalculables.
Une nouvelle analyse de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) démontre qu’investir dans la résilience est une action sensiblement plus impactante — et beaucoup moins coûteuse — que les interventions axées sur la réponse aux conséquences des sécheresses. Étant en partie responsables de ces sécheresses, nous avons donc le devoir d’inverser les tendances et la première chose à faire est d’agir maintenant avant qu’une autre sécheresse ne nous dévaste.
Au dernier Sommet africain sur le climat (tenu en septembre dernier à Nairobi, au Kenya, [ndlr]), nous avons notamment convenu qu’avec l’Alliance internationale pour la résilience face à la sécheresse (IDRA), nous devions créer un programme de résilience spécifique à l’Afrique afin de trouver des solutions novatrices pour les populations, le climat, la terre et la biodiversité.
Des progrès et innovations considérables
L’Afrique a fait d’énormes progrès en prenant des mesures afin de mieux se préparer aux futures sécheresses, grâce, par exemple, à des systèmes d’alerte précoce tels que l’Observatoire des inondations et de la sécheresse en Afrique (Africa Flood and Drought Monitor) dans le bassin du lac Tchad. La mise en place d’infrastructures vertes telles que la Grande Muraille verte au Sahel, qui s’appuient sur des pratiques de gestion durable des terres et sur la restauration des écosystèmes, ont aussi contribué à ces efforts de résilience.
En Éthiopie, par exemple, les programmes d’assurance indexés sur les conditions météorologiques aident les agriculteurs à se remettre de la sécheresse tout en leur permettant d’épargner de l’argent, d’accéder au crédit et d’investir dans des engrais ainsi que des outils pour accroître la productivité agricole. Aux Comores, l’irrégularité des précipitations et la déforestation ont accentué la sécheresse, la pénurie d’eau et l’érosion des terres agricoles. Les sols sont fragilisés au point que de simples précipitations provoquent une érosion et que les montagnes semblent disparaître.
Ces conditions sont exacerbées par de nombreux parasites qui empêchent le développement des plantes et épuisent également les surfaces exploitables. En conséquence, la population dépendante, en majorité, des cultures pluviales, est particulièrement exposée à des pénuries alimentaires et d’eau. Cependant, faisant désormais partie d’IDRA, nous sommes sur la bonne voie pour faire bloc ensemble et trouver des solutions adéquates à ses nombreux défis.
Encourager les initiatives locales
Nous encourageons, par exemple, des initiatives locales qui produisent, distribuent et exportent entre autres de la vanille bourbon, de l’ylang ylang et des clous de girofle. Des entreprises ont trouvé un moyen de stocker les eaux de pluies grâce à la construction de longs puits et des bassins reliés à des canaux d’évacuation de l’eau. Elles ont également mis en place un système de talus avec des plantes résistantes à la sécheresse qui retiennent la terre à l’intérieur des champs. De plus, elles ont reboisé des plantes spécifiques qui créent de l’humidité et conservent également l’eau pour lutter contre les conditions de chaleur extrême qui brûlent les cultures.
En tant que leaders, il nous faut agir maintenant afin de faire de la résilience à la sécheresse une priorité dans nos prises de décisions, et accompagner ces initiatives innovantes d’un financement adéquat pour protéger les vies des 55 millions de personnes exposées chaque année à ce fléeau. La survie de nos populations ainsi que celle de notre planète en dépend.