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Leila Ndiaye, la fée des voitures

Elle est la première femme au Sénégal à avoir créé, alors qu’elle avait à peine 30 ans, une entreprise de transport. Dix ans plus tard, la fondatrice du groupe Leila Prestige Cars (LPC) est parvenue à s’imposer dans cet univers exclusivement masculin. Sa recette ? Ténacité, professionnalisme et audace ! 

Par Karo Diagne

« Je ne dois en aucun cas décevoir les personnes qui ont confiance en moi et surtout ne jamais me décevoir moi-même »

Lorsqu’elle a décroché l’un des plus importants contrats de son secteur, son principal concurrent s’est déplacé en personne pour voir qui était cette Leila qui avait réussi à le coiffer au poteau. La jeune femme raconte l’anecdote, le sourire aux lèvres et un brin de fierté dans le regard. L’histoire en dit long sur le caractère audacieux de l’entrepreneure, unique femme à la tête d’une agence de transport au Sénégal. Un peu moins de dix ans lui auront suffi pour bousculer les géants du métier. Dans un secteur 100% masculin, où ses principaux concurrents sont pour la plupart d’anciens transporteurs ayant le double de son âge, elle dénote indéniablement.

Pour s’imposer, Leila a vaincu bien des obstacles. Non seulement patronne d’une équipe de chauffeurs composée uniquement d’hommes, elle a dû également batailler ferme pour rénover les pratiques. « Il a fallu les former pour qu’ils adoptent un bon comportement et une tenue correcte, mais aussi pour l’obtention d’attestations de conduite spéciales afin qu’ils puissent se rendre à l’aéroport international », souligne-t-elle. 

Ce désir d’innovation n’a pas été du goût de ses concurrents qui, pour la plupart, l’ont accueillie avec beaucoup de méfiance. Une cohabitation « pas agréable du tout », comme elle le dit, certains allant même jusqu’à prétendre qu’elle bénéficiait de « bras long » ou servait de « prête-nom ». « Ils ne reconnaissent jamais tes capacités ni tes compétences », déplore Leila. 

Jeune maman et étudiante

Rien ne prédestinait Ndeye Léna Fall, son nom à l’état civil, à cette singulière réussite. Si elle a choisi un prénom de princesse pour son entreprise, la comparaison s’arrête là, car son histoire est loin du conte de fées. « Je suis issue d’une famille très modeste, raconte la jeune femme. Ma mère était ménagère et mon père travaillait à la Société des transports en commun du Cap-Vert (Sotrac) ». Un papa dont elle est très fière et qui ne se séparait jamais de sa mallette à outils. « C’est de là que vient ma passion pour les bus, car il était électricien de bus à la Sotrac », confie Leila. 

Élevée dans la banlieue dakaroise, à Pikine, elle fait toute sa scolarité dans le public jusqu’à l’obtention d’un baccalauréat de gestion. « Après le bac, je n’ai pas voulu continuer… C’était difficile, très compliqué », lâche-t-elle. Mariée à un âge où ses camarades sont encore au lycée, elle est en effet devenue maman très tôt, à 16 ans. Puis « divorcée à 22 ans, avec deux enfants à charge et sans moyens, j’ai galéré pour reprendre mes études. Je faisais des petits boulots ».

À l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, elle entame une vie de jeune maman-étudiante (elle vient souvent en cours avec sa fille sous le bras) et, deux ans plus tard, décroche un diplôme de comptabilité, bureautique et informatique. Puis, recrutée comme stagiaire dans une agence de location de voitures, elle gravit les échelons et devient assistante. L’expérience confirme son amour pour cet univers et elle décide, en 2013, de créer sa propre société, Leila Prestige Cars (LPC). Certes, les conditions sont loin d’être réunies pour concurrencer les prestataires disposant d’un parking bien fourni et de véhicules neufs : Leila n’a que peu de moyens et une petite Dacia Logan… Mais elle se fait une promesse : son entreprise sera une réussite.

« LPC dispose d’une flotte de 200 véhicules et emploie près de 150 personnes »

« Une battante qui n’a rien à envier aux hommes »

Dix ans plus tard, LPC fait partie du top 5 du secteur. Spécialisé dans le transport touristique, personnel et privé, le groupe enregistre un chiffre d’affaires d’un milliard de francs CFA. Il dispose d’une flotte de 200 véhicules et emploie près de 150 personnes (70 chauffeurs contractuels et 50 permanents), dont 15 salariés en charge de l’administratif et 15 aux services mécanique et entretien. Aujourd’hui, ses bus sillonnent les rues de la capitale, des régions et même des pays voisins (Gambie, Mali, Togo). LPC loue aussi des véhicules et assure le transport d’hôtes de marque arrivant à l’aéroport international de Dakar. Outre la société 2AS, chargée de la gestion de cet aéroport, il compte parmi ses clients des dirigeants de multinationales et, entre autres, des entreprises qui lui confient le transport de leur personnel.

Leila, « une battante qui n’a rien à envier aux hommes », pour reprendre les propos du directeur général de 2AS, a donc réussi son pari. Fière d’être présentée comme la première femme ayant réussi dans ce secteur au Sénégal, elle poursuit son chemin de femme, de chef d’entreprise, d’épouse et de mère. « Il faut montrer qu’un enfant n’est jamais un blocage pour une femme entreprenante », insiste-t-elle. Pour preuve, cette anecdote liée à la naissance de sa dernière fille : « Parce que je ne pouvais la priver de son droit de vivre l’affection maternelle, j’avais placé son berceau dans mon bureau et elle était parfois dans mes bras lors de rendez-vous professionnels »

« Il faut que les femmes soient plus présentes dans le milieu du transport »

Sources d’inspiration

Côté professionnel, son plus grand rêve aujourd’hui serait d’ouvrir des filiales et d’étendre les services de l’entreprise. Mais Leila a aussi pour ambition d’accompagner les femmes dans leur autonomie économique. Son souhait  ? Qu’elles osent s’orienter vers des carrières de chauffeuses, mécaniciennes, guides, voyagistes et, pourquoi pas, qu’elles osent créer leur entreprise : « Il faut que les femmes soient plus présentes dans le milieu du transport », dit-elle. Quel message, d’ailleurs, aurait-elle à passer à ses filles et ses petites sœurs ? « J’ai envie de leur dire qu’il est toujours possible d’entreprendre et de réussir, même sans moyens, même malgré les limites et les traditions qui peuvent parfois nous bloquer. » Pour cela, un exemple ou un mentor peut être source d’inspiration. Le sien, Leila nous le confie, fut son oncle non voyant, Youssoupha Faye. Modèle de courage et de résilience, « il est le premier à avoir introduit au Sénégal la méthode braille dans l’enseignement », souligne-t-elle. Désormais à la retraite, il a enseigné à l’Institut d’éducation et de formation des jeunes aveugles (INEFJA) de Thiès et fut le principal artisan du projet pour l’adaptation en braille des six langues nationales codifiées. « Un travail qu’il a démarré en 1981 et qui vient d’être officialisé par décret », note Leila. 

À son tour pionnière en son domaine, la présidente de LPC connaît parfois le doute, comme elle l’admet. À cet égard, outre l’échec et l’ignorance, sa plus grande peur est la déception. « Je ne dois en aucun cas décevoir les personnes qui ont confiance en moi et surtout ne jamais me décevoir moi-même, insiste-t-elle. Je m’étais lancé ce défi et je dois le faire pour ma réussite personnelle et celle de ma famille ». Désormais invitée à représenter, dans des conférences, le visage de l’entrepreneuriat féminin sur le continent, Leila est convaincue que le temps de l’Afrique est arrivé. « Mais pour prendre toute sa place dans l’économie mondiale, le continent a besoin de jeunes entrepreneurs »,observe-t-elle, en ajoutant :  « Je fais partie de ceux qui croient que l’Afrique ne se fera qu’avec les Africains ». Et avec elle, certainement.

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