Le média de ceux qui construisent l'Afrique d'aujourd'hui et de demain

Cyrille Nkontchou, Le Visionnaire

En quinze ans, le brillant homme d’affaires camerounais a su faire de Enko Capital et Enko Education des références dans leurs secteurs en Afrique. Tourné vers l’avenir, il ambitionne désormais de quadrupler le nombre de jeunes étudiants dans les écoles internationales africaines, bénéficiant d’un enseignement de qualité. Avec un seul objectif : permettre aux États, dans les années à venir, de capitaliser sur le dividende démographique du continent. Portrait d’un visionnaire. 

Par Olivia Yéré Daubrey


Dossier Éducation I ©Forbes Afrique I Cover Story I FA74 Août-Sept 2023

« Travail, passion, de grands rêves et une grande confiance en soi ». Tels sont les ingrédients de la recette du succès, appliquée avec persévérance par Cyrille Nkontchou, cofondateur d’Enko Capital et Enko Education, durant ces quinze dernières années. Enko Capital est l’aboutissement d’une aventure qui combine la passion de l’homme d’affaires pour la finance, sa fibre entrepreneuriale, sa culture familiale et le fruit de ses expériences professionnelles, des 25 années qui ont précédé sa création. Précurseur du capital-investissement sur la partie subsaharienne du continent, Cyrille NKontchou lance en 2008 avec son frère Alain, cette société panafricaine de gestion d’actifs axée sur la dette, la dette privée, les fonds propres et les investissements en capital-investissement en Afrique. Aujourd’hui, Enko Capital, c’est une quarantaine de collaborateurs répartis dans cinq bureaux (Londres, Johannesburg, Abidjan, Yaoundé, Kigali) qui gèrent près d’un milliard de dollars (890 millions d’euros), provenant majoritairement de fonds de pension africains. Ces fonds sont investis sur un éventail de produits financiers, allant de fonds communs de placement régionaux investis en dépôts à terme, obligations, actions cotées, à des fonds panafricains ciblant l’immobilier, le crédit privé, les obligations cotées, et le capital-risque. 

L’autre réussite de Cyrille Nkontchou, c’est Enko Education, dont la vision est de démocratiser l’accès à un enseignement primaire et secondaire de qualité permettant aux jeunes Africains de saisir les meilleures opportunités de formation universitaire. Ce réseau panafricain d’établissements scolaires a été créé partant d’un constat de son fondateur : depuis l’adoption des objectifs du millénaire pour le développement (en 2000 à New York, par 193 États membres de l’ONU, et au moins 23 organisations internationales), l’enseignement primaire et secondaire en Afrique a régressé en termes de qualité. Si le budget consacré à l’éducation par les États africains n’a pas baissé, il n’a simplement pas pu suivre la forte croissance démographique du continent. Le secteur privé doit par conséquent travailler au côté des États pour les aider à relever le défi qualitatif. Après avoir mobilisé 0,7 million de dollars (0,62 million d’euros) d’investissement en fonds propres à sa création en 2013, Enko peut se féliciter d’avoir atteint les 23,1 millions de dollars (20,54 millions d’euros) d’investissements en provenance d’investisseurs institutionnels en 2023. Ces écoles sont nées de la rencontre de Cyrille Nkontchou avec Éric Pignot, son partenaire et cofondateur, mais ont surtout été inspirées par sa mère, Justine, entrepreneuse, éducatrice de formation, fondatrice du Complexe Scolaire International La Gaieté à Yaoundé au Cameroun, depuis plus de 30 ans.

« Enko Capital est l’aboutissement d’une aventure qui combine la passion de l’homme d’affaires pour la finance, sa fibre entrepreneuriale, sa culture familiale et le fruit de ses expériences professionnelles, des 25 années qui ont précédé sa création. » 


L’entrepreneuriat en héritage

Enko, il faut le savoir, est avant tout, une aventure familiale. Le E de Enko est en réalité un sigma, symbole mathématique qui signifie « la somme de ». Enko, c’est donc la somme des « NKO-ntchou ». Né en 1967 dans une famille de fonctionnaires – père administrateur civil diplômé de l’ENAM, mère enseignante puis inspectrice des écoles primaires –, Cyrille traverse une enfance heureuse, dans le Cameroun des années 1970. Dans la fratrie de sept (quatre garçons, trois filles), il occupe la troisième place. Il s’en souvient, enfant, il était « fasciné par le business d’élevage de poulets » de sa mère qui lui permettait d’apporter un complément de revenus au foyer. La fibre des affaires, il raconte ainsi l’avoir eue très jeune. « Pour me faire de l’argent de poche, je calquais sur des papiers transparents de cigarette des bandes dessinées, que je projetais sur un mur. Je faisais ensuite payer à mes amis leur place de cinéma ! » 

C’est en 1981 que la famille émigre vers la France, en raison de l’affectation du père en tant qu’attaché du ministère des Finances à l’ambassade du Cameroun à Paris. Cyrille Nkontchou a 13 ans et découvre pour la première fois l’Europe. Du lycée Leclerc de Yaoundé au lycée La Folie Saint-James à Neuilly-sur-Seine, le dépaysement est garanti. Très vite, ses parents sont rappelés en fonction au Cameroun. Vivant désormais seuls dans un appartement d’Argenteuil acheté par leurs parents, les membres de la fratrie composée de Cyrille, son frère Alain et sa sœur aînée Mireille apprennent à se serrer les coudes. De ce vécu, ils développeront des valeurs de solidarité, de complémentarité et même d’interdépendance. Valeurs qui se reflètent encore aujourd’hui dans la devise de Enko Capital : « La valeur est créée par la somme des parties ». « Nous avons choisi de focaliser nos réalisations dans des domaines où nous sommes en mesure de fédérer des expertises. Expertise en finance en termes de type de marchés (marchés financiers de dette et de devises pour Alain, et marchés financiers des actions pour moi) et de type de compétences (gestion d’actifs pour mon aîné et conseil et analyse financière me concernant), afin d’aider les investisseurs africains et internationaux à investir à profit en Afrique tout en respectant les standards internationaux auxquels nous avons été formés dans les institutions financières pour lesquelles nous avons travaillé (JPMorgan, Crédit Suisse, BlueCrest, Merrill Lynch). » 

Le E de Enko est en réalité un sigma, symbole mathématique qui signifie « la somme de »

Cyrille Nkontchou ©Forbes Afrique Par Patrick Diagou

Business et famille

À la question de savoir quels sont les atouts et inconvénients à gérer un business en famille, Cyrille Nkontchou répond cash : « L’inconvénient, c’est que la famille vous ne la choisissez pas, contrairement aux entreprises normales où votre équipe est constituée de gens que vous choisissez et qui peuvent venir de différents horizons. La famille, elle est ce qu’elle est, donc vous faites avec. » A contrario, chez les Nkontchou, on se comprend d’un regard. On gagne du temps. Et, en cas de divergence, on désamorce les tensions avec de la bienveillance. « On est obligés de s’entendre. En famille, on doit toujours mettre un peu d’eau dans son vin pour que la famille fonctionne, puisqu’elle sera toujours là… » Au-delà du plaisir de travailler ensemble, pour l’entrepreneur, développer cette affaire familiale avec son aîné présente de nombreux avantages : sérénité, confiance absolue, soutien indéfectible. Et parlant de ses autres frères et sœurs, il note avec une pointe d’humour : « On se complète : chez nous, il y a un médecin, une avocate, des ingénieurs, des financiers. On a un peu tous les services réunis, donc c’est super. Quand tu as besoin d’un conseil, tu sais sur qui t’appuyer. » Attention toutefois à ne pas laisser l’affect prendre le pas sur le business. « Ça, c’est la difficulté des business familiaux ; il faut être capable de faire tout de façon carrée et professionnelle. Avec mon frère et même mes parents, on distingue bien les interactions dans le contexte business et celles du contexte familial. Quand il s’agit du business, on fait tout comme on doit le faire, on signe des contrats entre nous, des pactes d’actionnaires ; c’est important ». S’il est très attaché à sa famille de socle, il y a aussi celle qu’il a fondée avec sa compagne Évelyne. Sa plus grande fierté. « Je suis père de trois enfants : Charles Philippe, 16 ans ; Emma, 14 ans, et Marie, 6 ans. Ce sont eux qui donnent du sens à ma vie. Ça peut paraître un peu tarte à la crème, mais c’est une valeur que je partage avec mon épouse Évelyne, et le socle de notre amour et de notre complicité. Cette fierté est également un immense fardeau, car si on n’y prête pas attention, on projette à travers eux l’image de soi même alors que dans le fond, il est dans les lois de la nature qu’ils doivent forger leur propre destinée. » 

« On se complète : chez nous, il y a un médecin, une avocate, des ingénieurs, des financiers. On a un peu tous les services réunis, donc c’est super. Quand tu as besoin d’un conseil, tu sais sur qui t’appuyer. »

La fratrie Nkontchou I De gauche à droite : Gisèle, Stéphane, Cyrille, Caline, Alain, Mireille, William

Patience et persévérance

Et sa propre destinée, Cyrille Nkontchou l’a tracée avec énergie et ténacité. «J’étais plutôt un élève moyen au lycée, mais j’ai très tôt compris que mon salut passerait par la réussite académique. » La période passée dans la banlieue modeste du Nord-ouest parisien, loin des parents « a forgé [sa] volonté de réussir académiquement et professionnellement, expérimentant tous les jours le contraste socioéconomique entre la Zone d’Urbanisation prioritaire d’Argenteuil où [il] habitai[t] et le lycée Saint-James de Neuilly où j’allais à l’école. »

Cet ancien étudiant émérite de Sciences Po, choisi dès la deuxième année pour être assistant de cours d’un professeur a, « comme beaucoup de professionnels du Private Equity formés à l’extérieur, parfois du mal à appliquer les modèles économiques d’investissement appris dans les écoles occidentales au monde africain », comme le fait remarquer son collègue et associé chez Enko Capital, Éric Soubeiga.

Cependant le businessman camerounais garde toujours une certaine humilité et, avec le recul, reste lucide sur son aventure entrepreneuriale. « Le plus gros changement, quand vous bossez pour une institution, est que vous êtes toujours persuadé que c’est vous la raison pour laquelle les clients viennent. Mais quand vous commencez à travailler pour vous-même, vous vous rendez compte que votre crédibilité c’est vous même. »  La leçon apprise et le conseil qu’il souhaiterait transmettre aux jeunes entrepreneurs, est l’impératif de ne pas sous-estimer l’importance de la marque, et le temps que cela exige de devenir sa propre marque

Réputé « peu commode » en affaires selon Jean-Marc Savi de Tové, cofondateur d’Adiwale Partners, qui a investi dans Enko Education, de la patience, mais aussi de la persévérance, il lui en aura fallu lorsqu’à la création du réseau d’écoles au Cameroun, seulement quatre élèves étaient inscrits au programme durant la première année. « Avec Éric, mon associé, on s’est demandé si on devait continuer… », se souvient Cyrille. Une persévérance qui a payé, puisque Enko Education est passé en l’espace d’une dizaine d’années à plus de 5 000 élèves répartis dans 15 écoles et 9 pays

Mais le sens de la réussite pour celui dont la fortune est estimée à plus de 10 millions de dollars (près de 9 millions d’euros) est « toute relative ». De son point de vue, il reste encore un long chemin à parcourir vers la réalisation de ses ambitions, aussi bien dans l’objectif d’apporter plus de rationalité, de discipline et ultimement de rentabilité dans la gestion de l’épargne des Africains et des institutionnels internationaux investis en Afrique, que dans la provision à l’immense jeunesse africaine d’une éducation de qualité et accessible qui lui permette de capitaliser sur le dividende démographique de l’Afrique.

« Le plus gros changement, quand vous bossez pour une institution, est que vous êtes toujours persuadé que c’est vous la raison pour laquelle les clients viennent. Mais quand vous commencez à travailler pour vous-même, vous vous rendez compte que votre crédibilité c’est vous même. »

Enko Bonanjo, Douala, Cameroun I ©Enko Education

Éducation en Afrique

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), plus d’un quart de la population africaine était en âge d’être scolarisé en 2021. En 2035, ces enfants devenus jeunes arriveront sur le marché de l’emploi, et en 2050, les moins de 15 ans représenteront la moitié de la population urbaine en Afrique. Des jeunes qui devront s’intégrer à la vie économique et dont les pays devront assurer la transition vers le marché du travail.  Les États pourraient ainsi bénéficier d’un dividende démographique. Les économistes définissent ce phénomène comme une hausse de productivité constatée lorsque la population active dépasse la population à charge, soit respectivement les plus jeunes et les plus âgés. Le dividende démographique correspond donc à une accélération de la croissance économique résultant d’un changement de la structure par âge d’une population. 

Pour Cyrille Nkontchou, il faut investir dès à présent dans l’éducation de ceux qui auront demain l’avenir du continent entre leurs mains. « Cette jeunesse galopante va certainement déterminer à plusieurs égards l’évolution économique, sociale et politique du continent dans les années à venir. Bombe sociale ou dividende démographique ? Je pense que si les dirigeants africains mesurent bien les enjeux et voient l’opportunité à travers l’éducation de former cette jeunesse pour remplacer le gap de main d’œuvre qui va prévaloir dans le reste du monde, cette jeunesse sera une ressource plus valable que toutes les richesses naturelles dont regorgent les sols du continent. L’éducation est la clé de la réponse à ce défi. C’est elle qui permettra de transformer cette potentielle bombe sociale en dividende démographique. »

« Je pense que le but des parents, c’est d’emmener leurs enfants dans les meilleures universités ; ce serait hypocrite de dire qu’il faut qu’elles soient forcément africaines, il y a un classement international des meilleures universités, et plus on a d’élèves intégrant ces universités, plus on est content »

Mais la jeunesse africaine doit-elle étudier à tout prix en Afrique ? Doit-on avoir plus d’institutions universitaires en Afrique de bonne qualité ? « Je pense que le but des parents, c’est d’emmener leurs enfants dans les meilleures universités ; ce serait hypocrite de dire qu’il faut qu’elles soient forcément africaines, il y a un classement international des meilleures universités, et plus on a d’élèves intégrant ces universités, plus on est content ». Si un tiers des élèves de Enko restent en Afrique pour continuer leurs études, grâce à son offre de programmes d’éducation intermédiaire du Baccalauréat international et le réputé diplôme du BI, 73 élèves de l’établissement ont été admis cette année à l’Université de Glasgow, 32 à Berkeley, 26 à l’Université de Toronto, 19 à Columbia. Au total, plus de 600 élèves ont intégré les 100 universités les plus prestigieuses au monde du classement QS World University Rankings.

Cependant, il faut bien marquer la différence entre élitisme et excellence, rappelle le président du conseil d’administration. Au niveau d’Enko, l’excellence se définit par le fait d’être parvenu à un curriculum rigoureux. « On veut que l’élève aille dans une école qui reflète son potentiel et le pousse aussi loin que possible. On ne peut pas juger les élèves à la qualité des établissements dans lesquels ils ont été acceptés. »

« Il faut investir, dès à présent dans l’éducation de ceux qui auront demain l’avenir du continent entre leurs mains. »


Pour commander/télécharger l’intégralité du N°74 d’Août-Sept.2023, en version digitale et/ou print, cliquez ICI

Partager l’article


Ne manquez aucun de nos articles.

Inscrivez-vous et recevez une alerte par email
à chaque article publié sur forbesafrique.com

Bonne lecture !

Profitez de notre abonnement illimité et sans engagement pour 5 euros par mois

√ Accédez à tous les numéros du mensuel Forbes Afrique de l'année grâce à notre liseuse digitale.
√ Bénéficiez de l'accès à l'ensemble des articles du site forbesafrique.com, y compris les articles exclusifs.