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Les fondateurs de start-up sont-ils de vrais PDG ?

Christian KAMAYOU ©DR

Par Christian Kamayou, directeur général de Akiba Business Partners

À Abidjan, lors d’une récente rencontre avec Julien. D., un entrepreneur ivoirien, j’observe que la carte de visite arborée fièrement par mon interlocuteur ainsi que la signature de bas de page de son e-mail indiquent « CEO ». Pour autant, est-il vraiment un PDG ? On a souvent imaginé que les dirigeants d’entreprise étaient des professionnels hautement expérimentés ou qualifiés. Dans le cas en l’espèce, j’ai toutefois vite été sceptique quand ce jeune créateur d’entreprise est entré maladroitement en contact avec moi afin que je le mette en relation avec des investisseurs susceptibles de l’aider à développer son entreprise. Disons-le franchement, son organisation peine à décoller et j’essaie toujours de comprendre en quoi consiste exactement son travail. En clair, est-il un vrai patron d’entreprise ? 

L’intitulé d’un poste n’est pas (toujours) synonyme de qualification 

Lors d’une conférence à Dakar avec des créateurs d’entreprise, j’ai conclu un débat en rappelant que, dans l’écosystème entrepreneurial, il était curieusement admis qu’être PDG d’une start-up ne nécessitait aucune qualification. Or, affirmer cela, c’est considérer que les entrepreneurs ne sont pas vraiment des PDG. En effet, quiconque fonde une entreprise en est par défaut le dirigeant comme le prouve l’exemple de Daniel. B , un jeune homme de 18 ans qui vient de s’immatriculer au Centre de formalités de création d’entreprises de Douala. Celui-ci est techniquement le PDG de sa société mais, lucide, ne se promène pas « en se comparant à un Elon Musk », me dit-il, amusé. De fait, en tant que fondateurs et dirigeants de leur organisation, les entrepreneurs se doivent de présenter une vision très modeste du titre ronflant de PDG car ils ont tout à prouver, et tout le monde autour d’eux devrait en faire autant.

Dans la même veine, prenons l’exemple de Benoît, qui vit à Brazzaville et entraîne l’équipe de football de son fils de cinq ans. Ici, il est aux yeux de tous le « coach ». Mais à y regarder de plus près, l’intitulé ne saurait ici présumer du fait qu’il est un bon entraîneur ou qu’il ait une quelconque connaissance approfondie du jeu. Non, à l’évidence, notre interlocuteur est devenu entraîneur simplement parce qu’il  était le seul parent d’élève disponible et motivé pour accompagner tous les samedis matin ce groupe d’enfants. Il n’était en concurrence avec personne pour ce poste et à bien y réfléchir, un adolescent avec plusieurs années d’expérience de jeu aurait probablement pu le remplacer sans difficulté. Voilà donc la différence fondamentale entre se prévaloir d’un titre et mériter dûment la fonction, parce que nous sommes exceptionnellement bons dans ce rôle. En somme, l’appropriation du titre de PDG est chose aisée mais encore faut-il que les dirigeants concernés soient en mesure d’être à la hauteur de la tâche dans la durée.

Nos fausses attentes sur les dirigeants d’entreprise

Mon activité consiste en partie à rechercher, sélectionner et accompagner des start-up et PME prometteuses, que je présenterai ensuite à de potentiels investisseurs. Le problème avec certains PDG de jeunes pousses en phase de démarrage est que nous pourrions avoir des attentes démesurées à leur égard.

C’est ce point clé que j’ai tenté d’expliquer à Olivia, une fondatrice de fintech au Kenya : mener une entreprise nouvellement créée vers la conquête de clients et la croissance n’est jamais facile. Il m’a fallu lui faire comprendre que les investisseurs que je pourrais lui présenter n’ont aucune assurance que la jeune conductrice roulant sur des chemins sinueux dispose, ou mérite, son permis de conduire. En somme, ne pas connaître les réalités de l’entrepreneuriat, c’est s’attendre présomptueusement à ce que le dirigeant de start-up possède comme par enchantement de nombreuses compétences, que presque personne ne possède lorsqu’il démarre. À l’inverse, dans une entreprise établie de longue date et prospère, on peut raisonnablement s’attendre à ce que le PDG soit expérimenté et ait (déjà) une série de réussites à son actif…

Au final, le titre ne se mérite que par le résultat

La vie d’une entreprise passe par différentes phases qui se suivent mais ne se ressemblent pas. Il est donc normal que ces cycles distincts ne fassent pas appel aux mêmes compétences. Les fondateurs de start-up ne sont pas tous de bons PDG. Ledit poste se mérite par le travail en obtenant des résultats qu’un PDG de société est censé atteindre. Le créateur-visionnaire audacieux- qui crée tant bien que mal un produit/service à commercialiser lors des premiers pas d’un projet- et le gestionnaire opérationnel qui permettra à ce projet de se développer durablement et de changer de dimension, sont donc deux rôles qui demandent des compétences fondamentalement différentes. En résumé, si les termes « fondateur » et « PDG » sont parfois confondus et employés indifféremment pour désigner les personnes à la tête d’une start-up, il est important de se rappeler que ce sont deux rôles distincts, qui ne requièrent pas forcément les mêmes profils. Un subtil art de la nuance que les investisseurs les plus aguerris ont parfaitement compris.

Christian Kamayou publie chaque année le palmarès MyafricanStartup, qui présente « 100 start-up africaines où investir ».

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