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Linda Munyengeterwa : « D’ici à 2030, 25 milliards de dollars par an seront nécessaires pour que l’Afrique puisse disposer d’un accès adéquat à l’énergie »

Linda Munyengeterwa, Directrice auprès de l'IFC ©Afrika-Verein Studio Fabian Hammerl & Janine Schmitz

Avec un potentiel estimé de production mille fois plus important que sa demande en électricité prévue en 2040, la filière des énergies renouvelables africaines pourrait faire du continent un géant énergétique. Reste à optimiser l’utilisation des infrastructures et prioriser les projets en fonction des besoins de chaque pays, estime Linda Munyengeterwa, Directrice du Corporate Transaction Advisory Services (CTA) auprès de la Société Financière Internationale. Entretien.

Par Szymon Jagiello

Forbes Afrique : Dans une analyse publiée récemment par le Forum économique mondial, vous avez mentionné que le rôle de l’énergie éolienne et solaire était vital pour la croissance soutenue de l’Afrique.  Précisez-nous ce point.

Linda Munyengeterwa: Pour répondre à votre question, je voudrais d’abord dresser un tableau de la situation actuelle. Plus de 600 millions de personnes en Afrique n’ont présentement pas d’accès à l’électricité. Si l’on creuse un peu plus, on constate en outre qu’entre 68% à 75% des écoles et des établissements de soins de santé n’ont pas accès non plus au courant. Une réalité peu reluisante et qui explique que le continent perd chaque année l’équivalent de 4% de son Produit intérieur brut (PIB). Dans ces conditions, le rôle de l’énergie solaire et éolienne devient important et ce tout simplement parce que l’Afrique doit tirer profit de chaque ressource qu’elle possède. Certains pays seront plus enclins à utiliser les énergies renouvelables que d’autres, qui privilégieront un mix incluant les énergies fossiles. Il faut donc analyser le contexte de chaque nation pour comprendre quelles sources d’énergie sont les plus appropriées.

Forbes Afrique : 22 pays africains utilisent déjà les énergies renouvelables comme principale source d’électricité. Pensez-vous réellement que ces dernières seraient en mesure de répondre à la demande énergétique croissante de l’Afrique?

Linda Munyengeterwa : Nos récentes études indiquent que le seul potentiel de l’énergie éolienne en Afrique s’élève à près de 180 000 térawattheures (TWh) par an, soit assez pour satisfaire 250 fois la demande en électricité de l’ensemble du continent. Au vu des chiffres cités, il me paraît tout à fait judicieux d‘exploiter cette source d’énergie tout en prenant en compte les réalités énergétiques de chaque pays. Si un État donné n’est par exemple capable d’utiliser que des ressources gazières, peut-on l’aider à produire de l’énergie plus proprement ? C’est une vraie question que l’on doit se poser car il existe des technologies qui permettent aujourd’hui de produire de l’énergie de manière plus efficiente et donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Forbes Afrique : Outre le problème d’accès à l’énergie, quels sont les autres grands défis à relever sur le continent ?

Linda Munyengeterwa : L’un des plus importants est lié au stockage. L’Afrique possède énormément de petits réseaux. Si vous voulez faire croître la production grâce aux énergies renouvelables, il est absolument nécessaire d’avoir des systèmes de batteries de stockage pour stabiliser le réseau. Cependant, ces systèmes coûtent cher. Dans ce contexte, il apparaît indispensable de mobiliser les financements concessionnels afin de diminuer les coûts des batteries et inciter à leur déploiement. En outre, une attention particulière devrait être portée au transport car 40% de la production énergétique en Afrique se perd dans le système à cause notamment du mauvais entretien. D’où la nécessité d’analyser la totalité de la chaîne de valeur pour voir où se situent les fuites afin de les réparer et éviter ainsi un gaspillage de la production énergétique.

Forbes Afrique : En termes de financement, combien faudrait-il à l’Afrique pour pleinement exploiter son potentiel énergétique ?

Linda Munyengeterwa : Sans entrer trop dans les détails, nous estimons que, d’ici à 2030, les investissements nécessaires seront de l’ordre de 25 milliards de dollars par an pour que l’Afrique puisse disposer d’un accès adéquat à l’énergie. Un montant annuel considérable qui souligne l’ampleur de la problématique.

Forbes Afrique : Le secteur privé peut-il jouer un rôle sur ce point ?

Linda Munyengeterwa : Abolsument. Et de fait, nous n’avons pas assez porté d’attention sur les services publics et les intermédiaires. Si un investisseur vient financer un projet pour la construction d’une centrale électrique, il veut être sûr de pouvoir être payé. Pour que cela se réalise, il faut être certain que les pouvoirs publics soient en mesure de distribuer l’énergie, collecter l’argent auprès des utilisateurs et payer les investisseurs. D’où la nécessité de réfléchir sur la manière de rendre les acteurs publics financièrement plus durables. L’autre sujet fondamental se situe au niveau de la planification de la production. De nombreux promoteurs viennent avec des protocoles d’accord, où ils souhaitent mettre sur pied une production indépendante d’électricité. Cependant, il n’y a pas de système qui filtre et détermine quel type d’énergie renouvelable devrait être d’abord développé en priorité dans un pays donné. Il me paraît donc essentiel de se focaliser sur cette planification afin d’assurer le développement d’un secteur durable capable de se maintenir lui-même.

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