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Non, le capitalisme n’est pas mort

Steve Forbes

Pas un jour ou presque ne passe sans qu’un vague cador des affaires ou de la finance, rongé par l’inquiétude et un accablement déconcertant, claironne que le capitalisme a atteint un seuil critique. Que pour le sauver et empêcher l’avènement d’un similisocialisme, il nous faut repenser le système de A à Z. Inégalités, changement climatique, profits indécents, gel des salaires, escalade des coûts de la santé, dette étudiante écrasante, avidité dévorante de la haute finance, monstres de la high-tech et bien plus encore. Tous sont imputés au système capitaliste, prétendument impitoyable et indifférent.

Rien n’est moins vrai. N’en déplaise aux intellectuels bilieux, le problème tient en réalité aux politiques désastreuses menées par le gouvernement et, pire, à une profonde méconnaissance de l’économie de marché. Il est temps de remettre les pendules à l’heure.
Capitalisme, libre entreprise, économie de marché. Qu’importe l’étiquette, notre système n’a rien d’amoral. On y prospère en répondant aux besoins et désirs d’autrui. Les chefs d’entreprise cernent les besoins que nous étions loin de soupçonner avant qu’un produit ou service arrive sur le marché. Le monde des affaires veut nous convaincre d’acheter ce qu’il produit. Et à moins que l’État ne s’en mêle, le système est libre de toute contrainte. Un nombre incalculable d’entreprises s’évertuent à concevoir des solutions pour simplifier notre quotidien. Quand leurs efforts sont couronnés de succès, certes elles s’enrichissent, mais nous gagnons tous au change.
Si des chaînes logistiques toujours plus sophistiquées et performantes se mettent en place, c’est précisément parce qu’aucun grand ordonnateur ni aucune autorité politique centralisée n’est à la manœuvre.
Toutes les crises économiques contemporaines sont nées des erreurs commises par les gouvernants – et non des dysfonctionnements propres à l’économie de marché. La Grande Dépression fut provoquée par la SmootHawley Tariff Act, qui augmenta les taxes sur des milliers de produits importés et déclencha une guerre commerciale mondiale qui laissa exsangues de nombreux pays. Ajoutant à ce crime, certains pays – l’Allemagne, la GrandeBretagne et les États-Unis en premier lieu – durcirent leur fiscalité en dépit d’une sévère récession. L’inflation vertigineuse qui secoua les années 1970 résulta du recours immodéré à la planche à billets par la Fed et d’autres banques centrales. La crise de 2008–2009 ? Conséquence de l’affaiblissement du dollar, qui détourna les capitaux vers des actifs physiques, comme l’immobilier.
L’alourdissement de la fiscalité asphyxie la croissance. Les pays qui appliquent une taxation modérée obtiennent de meilleurs résultats. Pour preuve, une fois relevée de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe enregistra des taux de croissance comparables, voire supérieurs, à ceux des États-Unis. Mais dans les années 1970, la fiscalité se fit plus pesante avec l’adoption de la TVA et l’envolée des taux d’imposition effectifs. Conséquence : une croissance laborieuse.
À chaque coup de rabot sur les taxes, la vie économique américaine a repris des couleurs. On doit l’embellie économique de la période post-Obama aux mesures d’allègement fiscal et de déréglementation adoptées en 2017. Pratiquée à l’excès, la réglementation est toxique.
Cessons de rejeter la responsabilité de la dette étudiante sur la libre entreprise. Le coupable se cache chez les gouvernants. Certes, Washington a mis en place divers programmes pour aider au financement des études supérieures. Mais selon la Federal Reserve Bank de New York et d’autres organismes, plus les établissements supérieurs se voient rémunérés via ces dispositifs, plus les frais de scolarité augmentent.
Le coût exorbitant de la santé n’est pas imputable au capitalisme. La solution réside dans l’économie de marché, pas dans le renforcement de la puissance publique. Aux États-Unis, le système de santé implique trois acteurs : le gouvernement, les assureurs et les grandes entreprises. Les consommateurs n’y jouent aucun rôle. Les recettes des hôpitaux sont fonction des accords conclus avec le triumvirat, et non de la satisfaction des patients. Ainsi, pour un médicament donné, le tarif appliqué par les sociétés pharmaceutiques est largement inférieur au prix indiqué sur la facture d’hôpital. Ce prix est en grande partie affecté à la rémunération des sociétés de gestion de soins pharmacothérapeutiques. Déterminer en amont le coût exact d’une procédure relève donc de l’exploit.
Sur un marché classique, la concurrence s’empresserait d’emboîter le pas à toute entreprise qui gagne en productivité. Une logique qui semble échapper aux acteurs de la santé et de l’enseignement supérieur.
Citons l’exemple du Surgery Center of Oklahoma. Cette clinique publie l’intégralité de ses prix en ligne, emploie des chirurgiens de renom, affiche des frais généraux minimes et facture les interventions à un coût inférieur à celui des hôpitaux et cliniques conventionnels, car les patients règlent comptant et à l’avance. Pourtant, l’établissement n’a guère fait d’émules. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas de marché grand public pour la santé. Dès lors que ce sont les tierces parties qui règlent l’essentiel de la facture, la plupart des patients n’ont aucun intérêt à comparer la qualité et les tarifs. Et quand bien même ils le voudraient, ils se trouveraient bien en peine.
Autre exemple : Mitch Daniels, président de l’université Purdue, a gelé les frais de scolarité depuis sa prise de fonction en 2013. Il a rationalisé les ressources, de sorte qu’aujourd’hui, un étudiant débourse beaucoup moins pour intégrer cette prestigieuse institution qu’il ne l’aurait fait il y a six ans. Il a également multiplié le nombre de professeurs titulaires. Mais les établissements du supérieur ne semblent pas pressés, eux non plus, d’imiter Purdue.
L’économie de marché contribue au recul de la pauvreté. Le revenu réel par habitant a été multiplé par plus de 50 depuis l’indépendance des États-Unis. Avant la révolution industrielle, qui fut portée par le capitalisme, les revenus individuels avaient progressé timidement. Aujourd’hui, en dépit de toutes les erreurs de politique économique, la pauvreté est en net recul. Au cours des vingt dernières années, un milliard de personnes ont ainsi échappé à la misère noire.
L’économie de marché a toujours transformé la rareté en abondance, et l’article de luxe en objet du quotidien. Le téléphone en est un exemple. Lancé au début des années 1980, le premier téléphone cellulaire était aussi volumineux qu’une boîte à chaussures, aussi lourd qu’une brique, disposait d’à peine une heure d’autonomie et coûtait 3 995 dollars. Aujourd’hui, des milliards de personnes possèdent un téléphone portable, dont la plupart affichent une puissance de traitement comparable à celle des superordinateurs d’antan. Cette prouesse (faire plus avec moins) pourrait bénéficier au secteur des soins de santé à condition d’engager des réformes libérales, telles que la possibilité de souscrire une assurance maladie hors des frontières des États et la suppression des critères d’admissibilité pour l’ouverture des comptes épargne santé.
Quid des inégalités ? Jusque récemment, et depuis la crise financière de 2008, les salaires avaient marqué le pas, et n’avaient guère progressé la décennie précédente. Là encore, le gouvernement a péché par ses initiatives aberrantes.
L’investissement, condition sine qua non du progrès, n’est jamais autant stimulé que lorsque la valeur de la monnaie est stable. Avant les années 1970, le dollar était arrimé à l’or et l’économie américaine avait connu un essor jusquelà inégalé. Mais depuis, la croissance moyenne du pays a chuté d’au moins 25 %. Et la croissance des revenus n’a pas non plus retrouvé les niveaux records de l’ère de l’étalon-or.
Autre facteur : la hausse inexorable des coûts médicaux. Les programmes d’assurance offerts par les employeurs sont inclus dans la rémunération des employés. Si la rémunération globale est en hausse, la fraction numéraire est à la traîne, desservie notamment par l’explosion des taxes fédérales sur les traitements et salaires. Abaisser l’imposition, fiabiliser le dollar et recentrer le système de santé autour du patient : voilà qui contribuerait à rehausser joliment le salaire.
Le profit est une ressource indispensable. Il n’y a là rien d’amoral. Sans lui, l’activité économique stagne, puis s’effrite. L’économiste Joseph Schumpeter parlait de « destruction créatrice ». Les économies les plus dynamiques ont besoin d’injections massives de capitaux frais pour évoluer. Le changement va de pair avec la destruction continuelle des anciennes activités de production, qui se verront remplacées. Financement des start-up, élargissement des opérations, amélioration de la productivité des entreprises existantes : les capitaux sont essentiels. Ils proviennent du profit et de l’épargne. En ce sens, le profit correspond aux charges d’entreprise.
De plus en plus de jeunes aspirent à travailler pour des sociétés qui ne se contentent pas de faire des affaires. C’est une des grandes vertus du capitalisme. Le système s’ajuste avec fluidité aux attentes de chacun. Les structures les plus agiles rebondissent et s’adaptent rapidement à ces évolutions. Forbes a consacré de nombreux articles à ces entreprises ainsi qu’aux artisans de ces initiatives.
Certains versent dans le néfaste, l’immoral ou l’absence de scrupules. Mais le phénomène n’est pas propre au capitalisme. Du reste, dans un système ouvert, libéral et démocratique, les brebis galeuses sont le plus souvent écartées, ce qui n’est pas le cas sous les régimes autoritaires ou socialistes.
Le socialisme tel que nous l’entendons aux États-Unis n’est pas une solution. Il dégénère dans le sang, la tyrannie et les larmes, comme en témoigne la situation actuelle au Venezuela, à Cuba et en Corée du Nord, ainsi que l’histoire récente de l’Union soviétique, de la Chine de Mao et du Cambodge sous le régime communiste.
Qu’en est-il du socialisme tel qu’on l’entend en Scandinavie et en Europe ? Il ne s’agit pas de socialisme en ce sens que les moyens de production sont une propriété publique dirigée par un appareil d’État. Nombre de ces pays ont adopté des politiques sociales complexes, un code du travail étouffant et pratiquent une fiscalité débridée. Mais la situation semble évoluer. Les prétendus socialistes américains omettent une réalité : des pays comme la Suède réduisent peu à peu la marge de manœuvre de l’État. Elle a entrepris d’alléger ses impôts, n’applique aucune taxe sur les successions et a libéralisé le marché de l’éducation. Les autres pays de l’UE enregistrent quant à eux un taux de croissance dérisoire depuis la crise de 2008, à peine la moitié de celui des ÉtatsUnis. En réalité, le capitalisme génère une richesse sans laquelle il n’y aurait pas d’État-providence. Voilà pourquoi de plus en plus de pays européens privilégient les réformes procapitalistes, comme l’allègement de la fiscalité, pour redynamiser leur tissu économique.

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