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Patrick ELOUNDOU : « Il faut renforcer la production pharmaceutique locale »

Dr Patrick ELOUNDOU (Cameroun), PDG des laboratoires TEBIMOSA ©DR

Riche de 20 ans d’expérience internationale à la tête de grands laboratoires, le pharmacien industriel Patrick Eloundou a lancé TEBIMOSA Pharmaceuticals en 2017, au Cameroun. Avec un credo : Changer la donne en fabriquant, sur place, des médicaments de qualité et accessibles à tous. Une ambition aujourd’hui (partiellement) réalisée : avec une capacité de production de 750 millions de comprimés par an, l’entreprise est le premier fournisseur de médicaments contre le cancer du pays. Entretien avec un industriel de la santé qui vise l’autonomie pharmaceutique du continent.

Propos recueillis par Clara Diémé

Forbes Afrique : Votre entreprise produit aujourd’hui 51 références, tous des médicaments conditionnés sur place au Cameroun. Dans quel contexte avez-vous créé Tebimosa ?

Patrick Eloundou : Ayant exercé pendant 20 ans dans le secteur pharmaceutique- de la production, à la recherche et développement, en passant par la qualité et le développement commercial- j’ai eu besoin de donner un sens à ma vie, en m’engageant au service de mon continent, l’Afrique. C’est ainsi qu’après avoir occupé différents postes de Directeur Général de filiales et de sites de production pharmaceutiques en Europe (Delpharm, Unither, Peter Surgical), j’ai choisi d’aller travailler à Pharmaquick, au Bénin de 2015 à 2016, comme Directeur Général de Site. Puis, en 2017 j’ai créé Tebimosa avec un objectif : fabriquer des médicaments génériques de masse selon les meilleurs standards de qualité internationaux. Plus largement, on cherche à participer aux objectifs de développement durable de l’ONU pour l’Afrique : en créant 500 emplois sur 5 ans, en donnant accès aux médicaments de qualité à petits prix ; en étant acteur dans le transfert de technologie et le développement industriel local ; en assurant la formation des jeunes aux métiers de l’industrie pharmaceutique. Et en travaillant dans le respect de l’environnement et de l’écologie


Forbes Afrique : Vous avez lancé votre entreprise en 2017. Cinq ans après, quel bilan d’étape faites-vous ?

Patrick Eloundou : Nous sommes aujourd’hui le premier fournisseur de médicaments contre le cancer au Cameroun, tous conditionnés dans notre usine construite sur 3000 m2 à Yaoundé Mfomakap et nous avons créé 52 emplois au Cameroun, 3 au Congo-Brazzaville et 2 en République centrafricaine. Nos produits (contre le paludisme, les mycoses, les vers intestinaux) et nos gels hydroalcooliques sont présents dans plus de 350 pharmacies et 400 hôpitaux et centres de santé. Au total, on estime que nos produits soulagent et soignent plus de 250 000 personnes tous les ans.


Forbes Afrique : Pour développer votre entreprise vous avez bénéficié d’une subvention d’État dont 40% vous sont parvenus. Qu’en est-il aujourd’hui des 60% restant ?

Patrick Eloundou : Effectivement l’État du Cameroun nous a accordé une subvention d’investissement qui prévoyait un versement de 60% en 2020 et 40% en 2021, mais à ce jour, seulement 40% nous ont été versés en 2020. Nous attendons toujours que le gouvernement, via son Ministère de l’Économie, nous verse les 60% restant d’autant plus que nous avons pris des engagements financiers avec des partenaires pour la fourniture des équipements de production et la construction de l’extension de notre usine en comptant sur le versement de cette 2eme partie, qui ne nous est toujours pas parvenue à ce jour. Nous espérons un sursaut des autorités au plus haut sommet car en définitive notre entreprise se veut utile pour le Cameroun : pour la création d’emplois, mais aussi pour le développement d’une industrie pharmaceutique locale performant, qui nous permettra à terme de réduire significativement nos importations de médicaments, dont le taux est de 98% aujourd’hui.


Forbes Afrique : Quels sont les plus grands défis auxquels vous êtes confrontés en tant qu’entrepreneur dans le domaine pharmaceutique ?

Patrick Eloundou : Notre défi est de produire bien et rapidement. Or, nous sommes souvent ralentis par l’absence de financements locaux. Les procédures sont par ailleurs très lourdes pour les autorisations d’importations des intrants pour la production de nos médicaments, le paiement de nos fournisseurs étrangers. Enfin, nous ne bénéficions pas d’allègements fiscaux systématiques pour l’industrie pharmaceutique locale, au niveau des entrées en douane notamment. C’est un vrai blocage pour être compétitif en termes de coût.


Forbes Afrique : Que vous manque-t-il pour atteindre votre plein potentiel ?

Patrick Eloundou : Les financements en premier lieu car nous avons besoin aujourd’hui de 7 à 10 milliards de francs CFA (17 millions de dollars) pour atteindre le plein potentiel de notre projet sachant que nous avons nous-même déjà investi 1,3 milliards francs CFA (2 millions de dollars) sur fonds propres. Au-delà, la règlementation locale doit nous aider en mettant en place deux lois qui pourraient booster les industries locales : 1) la mise en place d’un quota obligatoire de 30% de médicament produits au Cameroun et vendus dans les pharmacies et chez les grossistes 2) l’obligation que pour tout médicament vendu au Cameroun, une des opérations de fabrication ou de conditionnement soit faite sur place, comme cela a été mis en place en Algérie.

Forbes Afrique : Parlons de vos médicaments. Comment arrivez-vous à vendre une solution pharmaceutique contre le cancer à 30 000 francs CFA (50 dollars) alors que votre concurrent vend le même principe actif sept fois plus cher ?

Patrick Eloundou : Nous avons établi un partenariat technique avec Cytopharma -basé en Tunisie- qui nous permet de produire à faible coût ce médicament utilisé contre le cancer du sein et de la prostate à base du principe actif Docetaxel. Nous sommes ici dans un partenariat Sud-Sud avec un objectif commun qui est de fournir des médicaments de qualité à petit prix aux populations vulnérables. Le niveau de qualité est aux standards européens (norme EU GMP) et en termes de profitabilité, nous visons juste une marge minimale pour avoir un impact social positif conformément à notre mission.

Forbes Afrique : Vous avez pour ambition de fournir aussi le reste du continent.  En dehors du Cameroun, où trouve-t- on vos médicaments ?

Patrick Eloundou : Oui, effectivement notre ambition est de fournir tout le continent. Aujourd’hui nous fournissons déjà le Cameroun, la RCA, le Congo Brazza et le Bénin. On voudrait fournir toute la zone CEMAC (Tchad, Gabon, Guinée équatoriale, Cameroun, RCA, Congo Brazza). Mais au-delà,  nous visons les autres régions du continent.

Forbes Afrique : À votre avis, comment lutter contre le marché parallèle de faux médicaments sur le continent ?

Patrick Eloundou : Il faut faciliter la production pharmaceutique locale avec un appui des gouvernements au niveau législatif, réglementaire, douanier, financier et fiscal. Cela fera diminuer les prix des médicaments vendus en pharmacie tout en maintenant les marges bénéficiaires des différents maillons de la chaîne. Les populations ne trouveront alors plus d’utilité à aller sur le marché parallèle des médicaments de la rue qui paraissent moins chers, mais qui sont souvent inefficaces, voire même toxiques.


Forbes Afrique : Quels sont vos espoirs aujourd’hui quant au développement de l’industrie pharmaceutique sur le continent ?

Patrick Eloundou : La crise du Covid-19 avec la fermeture des frontières nous a montré combien de fois il était désormais urgent de promouvoir et favoriser la mise en place d’une industrie pharmaceutique locale performante et fonctionnelle en routine sur la durée avec une réelle satisfaction des malades et tous les maillons de la chaîne (médecins, pharmaciens, grossistes répartiteurs, hôpitaux, instances réglementaires).  Il est aujourd’hui urgent qu’il y ait une vraie prise de conscience collective et que tous les gouvernements actuels soient courageux pour écrire l’histoire dans ce sens.

Forbes Afrique : Quels conseils donneriez-vous à de jeunes entrepreneurs qui souhaitent également s’investir dans l’industrie pharmaceutique en Afrique?

Patrick Eloundou : L’Afrique regorge de talents et de jeunes très bien formés. Il n’y a jamais un temps idéal pour se lancer. Il faut oser. J’ai lancé mon entreprise en partant de rien, sans aide bancaire ni fonds d’investissement et emploie aujourd’hui 57 personnes dont essentiellement des jeunes de moins de 35 ans. Il y a de la place pour tous. L’Afrique est le marché du médicament de demain.

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