Pionnier dans la valorisation des diasporas africaines en France, Pierre de Gaétan Njikam, élu de la ville de Bordeaux et fondateur des Journées nationales des diasporas (JNDA), milite pour la reconnaissance de ces acteurs essentiels au renouvellement des relations franco-africaines et, plus largement, à la promotion d’une “Afrique-monde”.
Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
FORBES AFRIQUE : Les diasporas africaines semblent enfin recueillir l’attention qu’elles méritent, tant dans leurs pays d’accueil que d’origine. Comment expliquez-vous cette prise de conscience ?
PIERRE DE GAÉTAN NJIKAM : Cette double prise de conscience, heureuse au demeurant, résulte d’abord d’une vision réaliste : les diasporas africaines sont un fait de société, une réalité économique et d’investissement, des acteurs politiques, voire, ainsi que l’a révélé la gestion de la pandémie de la Covid-19 en Europe notamment, des personnes et des énergies utiles !
Bien plus, ces diasporas sont là, de mieux en mieux intégrées, installées pour une génération voire des générations, et ne reviendront pas de sitôt, ou ne repartiront pas, pour diverses raisons.
Du coup, la vraie question qui se pose pour les décideurs publics et privés actuels, dans les pays d’accueil comme dans ceux d’origine, c’est : comment tirer parti de cette frange de la population ? Pour les pays d’accueil, les représentants de la diaspora peuvent enrichir le dividende démographique et la diversité culturelle de la société, contribuer au dynamisme économique du pays et à celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, et devenir des vecteurs d’influence, de développement et de rayonnement à l’international.
Quant aux pays d’origine, les diasporas sont aussi la manifestation de leur présence et de leur rayonnement dans le monde, mais surtout elles sont, et peuvent encore plus devenir, au-delà des actes de solidarité familiale et sociale, des actrices de leur développement économique grâce aux investissements dont elles sont capables.
Ces pays, à l’instar des pays dits « émergents » tels que la Chine, l’Inde ou la Turquie, ont besoin des compétences intellectuelles, de l’expertise, du relationnel et des réseaux de leurs diasporas pour accompagner leurs ambitions d’émergence économique, technologique et scientifique, ainsi que leur développement touristique, culturel et sanitaire, entre autres.
Valoriser les talents de la diaspora, c’est la vocation des JNDA. Pourquoi est-il si important de promouvoir ces talents ?
P. D. G. N. : Depuis leur création le 25 mai 2013, les JNDA portent la vision d’une Afrique comme continent-monde ; une Afrique plongée certes dans ses racines « continentales », mais aussi présente, reconnue et fière, à travers ses filles et fils descendants, dans le monde. Et les success-stories des membres de la diaspora dans des domaines aussi variés que l’entrepreneuriat, la finance, la politique, la santé, les arts et la culture ou encore le sport, donnent corps et sens à notre vision d’une Afrique debout dans sa relation avec le monde.
La valorisation de ces success-stories est essentielle, car elle constitue un levier d’espérance pour ces nouvelles générations nées en France et en Europe de parents originaires d’Afrique, mais également pour la jeunesse du continent.
Les JNDA célèbrent leur dixième anniversaire cette année. Comment évoluent l’événement et à travers lui, ces diasporas ?
P. D. G. N. : Tout au long des neuf éditions précédentes, les JNDA se sont continuellement réinventées à partir de la vision sus-rappelée, à savoir, être l’espace et le temps de référence de la mobilisation des capacités et compétences diasporiques pour contribuer au développement d’une Afrique-monde. Chaque édition, à travers ses thématiques et avec des acteurs toujours plus nombreux, divers et prestigieux, a permis de consolider l’originalité et la place centrale et unique des JNDA en France et en Europe.
Plusieurs temps forts ont marqué les précédentes éditions : la grande rencontre des penseurs africains autour de Manu Dibango et de Souleymane Bachir Diagne en 2014, l’accueil à Bordeaux de jeunes entrepreneurs innovants d’Afrique autour de Lionel Zinsou en 2015, la Journée des Femmes autour de Denise Epoté en 2016 ; plus récemment, lors de l’édition 2022, la forte présence des décideurs politiques et publics, des présidents des patronats du Cameroun et de Côte d’Ivoire, de plusieurs chefs d’entreprise venant d’Afrique, avec également la participation de Samuel Eto’o Fils, Tidjane Thiam et Didier Acouetey. Des personnalités représentatives de la place qu’ont acquise les diasporas africaines en France et en Europe notamment.
On voit de plus en plus d’entrepreneurs des « deux rives » émerger… Est-ce une tendance ?
P. D. G. N. : Oui, la morphologie des diasporas africaines évolue vers de plus en plus d’entrepreneurs et de hauts cadres du privé qui constituent un véritable atout pour les entreprises et le secteur économique des « deux rives », dans la mesure où grâce à leurs activités business, ils contribuent à créer de la valeur ici et là-bas.