Architecte et enseignante à l’École nationale d’architecture et d’urbanisme de Tunisie, Salma Hamza milite pour la réhabilitation des matériaux traditionnels et propose une approche transversale de la ville, qui se nourrirait du patrimoine pour élaborer une modernité adaptée au contexte et aux grands enjeux du moment.
Propos recueillis par Hawa Sidibé
Forbes Afrique : Comment est née votre passion pour l’architecture ?
Salma Hamza : L’architecture, c’est une envie qui remonte à l’adolescence. Je viens d’une région balnéaire, Mahdia. Quand j’avais douze ou treize ans, le journal local, La Presse, a commencé à organiser des concours de plage. Je n’en ai raté aucun : chaque année, je reconstituais les monuments de la ville à partir de sable. Même si je n’ai jamais été primée, j’y ai pris beaucoup de plaisir et cela m’a marqué. Après le baccalauréat, c’était devenu une évidence : je voulais faire de l’architecture. À l’époque ce n’était pas la grande mode. Il n’y avait alors qu’une seule école d’architecture à Tunis, l’École nationale d’architecture et d’urbanisme de Tunis (ENAU) ; et sur la centaine d’élèves qui composaient ma promotion, nous n’étions qu’une dizaine de filles. Après mes études, j’ai eu la chance de vivre deux expériences très formatrices. J’ai d’abord été désignée pour intégrer le projet BabSouika (du nom de l’une des portes de la Médina de Tunis, ce programme consistait en la rénovation, l’aménagement et l’assainissement du quartier hautement historique de BabSouika-Halfaouine, NDLR), une initiative étatique portée par Habib Bourguiba, aux côtés d’une vingtaine d’architectes chevronnés et de jeunes. J’ai alors eu l’occasion d’assister à tous les débats sur la ville : comment on l’aborde, doit-on toucher ou non au patrimoine, quelle modernité envisager ? En parallèle, j’ai été recrutée comme enseignante à l’École nationale des ingénieurs de Tunis, qui était la seule à l’époque. Là, j’arrivais dans un monde théoriquement hostile, mais cette expérience s’est avérée très bénéfique : cela m’a appris la pluridisciplinarité et le travail en équipe. On le sent aujourd’hui, l’architecture n’est plus le fruit d’un concepteur unique, mais d’une pratique collaborative. Je suis restée une dizaine d’années à l’ENIT avant de retourner à l’école d’architecture, dans mon élément, riche de beaucoup d’expérimentations et d’ateliers de recherche qui m’ont énormément apporté.
Comment définiriez-vous votre style ?
S. H. : Difficile de répondre sans tomber dans le cliché, mais l’idée est d’allier modernité et tradition. Je demeure très sensible à la question du patrimoine, parce que dans notre pays c’est important. Il faut le voircomme une ressource dans laquelle on peut puiser, sans pour autant dupliquer. Mon approche consiste à utiliser le patrimoine comme source d’inspiration pour penser la modernité. L’architecture idéale, celle à laquelle j’aspire, est assez discrète et prend sa valeur dans l’usage que l’on en fait.
Quelle est la réalisation dont vous êtes particulièrement fière ?
S. H. : Le projet qui me tient le plus à cœur, livré en 2021, est une réalisation à laquelle j’ai travaillé à temps plein pendant deux ans, y compris pendant le confinement. C’était dans la vieille ville de Mahdia. Là, il y avait un palais, à l’abandon depuis cinq ou six ans. Une partie de l’édifice a été rachetée et l’idée était de la convertir en boutique hôtel. Un gros challenge, car l’espace n’était pas énorme, il y avait un aspect technique non négligeable et surtout, il fallait proposer un modèle d’hébergement doté de tout le confort moderne sans que cela soit visible de l’extérieur, sans dénaturer ce bâtiment dont les murs datent du XVIIe siècle…
Selon vous, à quoi ressemblera la ville africaine de demain ? Comment la rêvez-vous ?
S. H. : Je pense d’abord qu’il n’y a pas une seule ville africaine, ce qui fait la richesse de l’Afrique. Aujourd’hui, le continent est enfin reconnu pour sa diversité. C’est la chance des villes africaines, même si cela n’est pas toujours valorisé… Indépendamment du contexte géographique, pour moi, l’avenir de nos villes, et plus largement du monde se joue dans la capacité à utiliser des matériaux durables, préserver l’environnement et ériger des villes vertes… L’urbanisme a changé. On n’est plus dans les années soixante ; lezoning (division d’une ville ou d’un territoire en zones afin d’y répartir rationnellement les différentes activités qui s’y exercent, NDLR) qui prévalait alors et causé tant de dégâts est désormais banni de toutes les approches urbaines. On réfléchit diversité, mixité sociale et je pense que l’Afrique a tout intérêt à mettre à profit les expériences passées pour proposer des modèles de villes adaptées à leur contexte, chacune valorisant ses caractéristiques, ses ressources, ses religions, son patrimoine, sa culture. La ville africaine, un jour, sera la vitrine de cette diversité des hommes et des paysages.
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