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Saviu Ventures, L’Afrique Francophone Comble Son Retard Dans Le Venture Capital

Benoit Delestre, président et fondateur de Saviu Ventures, part à l’assaut des pays oubliés par les fonds de venture capital. Il entend aussi construire des ponts entre l’Afrique de l’Ouest francophone et l’Afrique anglophone.

Par Sylvain Comolet


Le private equity (PE, capital-risque ou capital-investissement) est un mode d’investissement où un investisseur ou fonds utilise des capitaux pour acheter des parts d’entreprises non cotées en bourse. Une multitude de fonds interviennent en Afrique. Parmi eux, les fonds de venture capital (VC, ou capital amorçage). Ces fonds d’investissement privés interviennent très tôt dans la vie de l’entreprise. Ils s’intéressent aux startups ayant des potentiels de croissance très élevés, souvent avec une composante tech (entreprises technologiques, comme celles composant l’indice étatsunien NASDAQ). Ces jeunes pousses vendent des participations à ces fonds en échange d’un financement, d’un réseau ou d’une expertise spécifique. Alors que l’Afrique anglophone – Nigéria et Afrique du Sud en tête – voit ce genre de financement exploser, l’Afrique francophone, elle, reste à la traîne. Saviu Ventures cherche à combler ce retard et établir des liens entre ces deux Afriques.


Investissements Dans Des Startups Africaines

Saviu a été cofondé en 2017 par Benoit Delestre, un entrepreneur français qui a revendu deux sociétés dans le secteur du paiement online. Son premier fonds, Saviu I, a levé et investi 8 millions d’euros dans 12 sociétés en Afrique subsaharienne, dans quatre secteurs distincts : la logistique (mobility), l’e-commerce, la fintech et l’agritech. Ces fonds evergreen (i.e. qui n’ont pas de date de clôture), levés principalement auprès de family offices [organisations de personnes offrant du conseil et des services aux familles au bénéfice de leurs intérêts patrimoniaux, NDLR], d’investisseurs individuels ou des fondateurs/managers des sociétés ciblées, ont été investis conjointement avec d’autres fonds de private equity ou venture capital (Orange Venture, Toyota Mobility 54, etc.)


Saviu II : Des Sociétés Plus Matures

Six ans après, Benoit Delestre a lancé Saviu II. Cette fois, si la cible d’investissement reste les jeunes pousses, avec une composante tech prononcée, le montant des fonds à sourcer est cinq fois plus important et le type d’investisseur s’étend aux DFIs (banques de développement) et aux entreprises, tandis que le degré de développement des entreprises ciblées va jusqu’à la série B (deuxième session d’investissement après une première levée de fonds). Alors que le premier fonds s’intéressait aux sociétés en incubation (capital d’amorçage, ou seed) ou n’ayant pas encore levé de fonds (série A), Saviu II se focalise sur des sociétés potentiellement plus matures afin de renforcer la scalabilité [changement de dimension, d’échelle, NDLR] de la start-up en internationalisant ses opérations ou en acquérant des concurrents.


Forbes Afrique : Votre site Internet nous accueille avec la mention « Venture Capital in Africa »… sous-titrée « and not just in Kenya and Nigeria… ». L’Afrique de l’Ouest francophone est-elle si en retard que cela ?

Benoit Delestre : L’Afrique francophone est considérée comme le parent pauvre du private equity sur le continent. Alors que nos confrères anglophones commencent à faire des sorties [ventes de participations, NDLR] en Afrique du Sud, au Kenya et en Égypte, le métier vient tout juste de commencer en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Notre objectif est de soutenir nos entrepreneurs qui sont pour la plupart des repats, ces Africains qui ont fait leurs études en Europe ou aux États-Unis, ont commencé à y travailler et reviennent dans leur pays d’origine pour créer des entreprises innovantes. Notre mission est de les aider à lever des fonds et dans un second temps, faire en sorte que ces jeunes pousses deviennent des sociétés profitables avant de pouvoir les revendre.

Benoit Delestre, Président & Fondateur de Saviu Ventures

« L’Afrique francophone est considérée comme le parent pauvre du private equity sur le continent »


Pourquoi les fonds de capital-risque ne s’intéressent-ils pas, ou si peu, à l’Afrique francophone ?

B. D. : Vous avez sur le côté est de l’Afrique des sociétés beaucoup plus structurées que sur le côté ouest, avec des foyers de population beaucoup plus importants et dont le revenu moyen est plus élevé, donc un écosystème bien plus intéressant pour un fonds d’investissement. En Afrique francophone, nous en sommes au début de l’ère d’innovation ; c’est donc un marché plus risqué. Heureusement, nous avons l’avantage de la stabilité monétaire : le franc CFA et sa parité avec l’euro. C’est un élément sécurisant et qui manque aux pays anglophones, où les dévaluations observées sur certaines monnaies locales font fuir les investisseurs. Ces derniers commencent à considérer de plus en plus la zone CFA. On a vu beaucoup d’investisseurs étrangers arriver à Lagos au Nigéria, bastion de l’Afrique de l’Ouest… Désormais, ils regardent vers Abidjan. Il est plus simple et moins dangereux d’habiter à Abidjan et d’y faire du business que de rester à Lagos, sur le plan sécuritaire, mais aussi sur le plan financier.


À quels défis ces fonds sont-ils confrontés ?

B. D. : Le principal défi pour un fonds de VC, c’est de connaître l’écosystème. Ce ne sont pas les mêmes règles qu’en Europe ou aux États-Unis. Les fonds de VC doivent faire des retours sur investissement en 4 ou 5 ans, un peu comme un mandat politique. Pour nos jeunes startupers, c’est une formation accélérée que l’on ne retrouve pas forcément en Europe ni aux États-Unis, où l’écosystème est assez simple à comprendre. C’est là-dessus que nous nous distinguons : nous n’apportons pas que de l’argent. Il nous faut aussi fournir une structure et un réseau à ces entrepreneurs. Notre métier implique beaucoup de coaching et de psychologie : nous ne sommes pas de simples investisseurs financiers. Notre plus belle gratification, c’est quand les entrepreneurs auprès desquels nous avons investi nous recommandent à de nouveaux entrepreneurs.

« Nous n’apportons pas que de l’argent. Il nous faut aussi fournir une structure et un réseau à ces entrepreneurs. C’est en cela que nous nous distinguons. »


Concrètement, comment construit-on des passerelles entre des pays si différents ?

B. D. : Ce que nous demandons à un entrepreneur, c’est d’être disruptif, de venir avec une idée que n’a pas celui qui travaille dans une PME locale. Nous sommes là pour casser le marché. Ces idées ou ces sociétés existent déjà aux États-Unis ou en Europe ; nous demandons donc à ces entrepreneurs de bien les comprendre, de les africaniser et d’être en rupture avec l’existant. Une fois l’idée développée en Côte d’Ivoire par exemple, notre première ambition est de la dupliquer au Bénin, au Togo ou au Sénégal. Le Graal, c’est de passer d’Afrique francophone à un pays d’Afrique anglophone. L’étape ultime serait ensuite de passer en Afrique de l’Est, mais nous n’avons encore aucune société francophone qui y soit parvenue. Elles ont pour l’instant réussi à passer de leur pays d’origine aux pays voisins tout en restant rentables, c’est déjà bien.

« Ce que nous demandons à un entrepreneur, c’est d’être disruptif, de venir avec une idée que n’a pas celui qui travaille dans une PME locale. Nous sommes là pour casser le marché. »


Mobilité, e-commerce, fintech : vous êtes un généraliste qui intervient sur 11 pays. Vous n’avez pas peur de vous diluer en vous diversifiant autant ?

B. D. : Dans un fonds de capital-risque, il y a le mot risque. Il est essentiel de comprendre les écueils associés au business. Par conséquent, mieux vaut avoir peu de participations et être très proche des sociétés dans lesquelles vous avez investi pour bien comprendre leur métier. Nous nous considérons comme un fonds à l’approche agnostique, c’est-à-dire que nous sommes capables aujourd’hui d’investir dans tous les secteurs d’activité. Nous avons cependant des domaines de prédilection, comme la mobilité. Nous sommes dans le capital de trois sociétés dans ce secteur, dont Kamtar, que nous avons créée ex nihilo. Cette venture nous a permis de comprendre tous les rouages du business en Côte d’Ivoire : le recrutement, la fiscalité, les délais de paiement, etc. Grâce à elle, j’ai en quelque sorte pu bénéficier d’une formation accélérée sur toutes les erreurs qu’un entrepreneur peut commettre sous les tropiques. Je me suis impliqué personnellement dans le développement de cette solution pour le transport routier, un des métiers le plus pénibles sur le continent. Kamtar est aujourd’hui la première plateforme logistique uberisée d’Afrique subsaharienne. Elle offre un service de qualité à toutes les entreprises qui ont besoin de faire voyager des marchandises d’un point A à un point B dans cette partie du monde.

« Nous nous considérons comme un fonds à l’approche agnostique. »


Quel est votre lien avec l’Afrique ?

B. D. : Il est d’ordre familial. Mon grand-père a vécu en Afrique où il a développé des entreprises dans les années 1960 et 1970. J’ai de la famille ivoirienne et ai moi-même passé de nombreuses vacances en Côte d’Ivoire quand j’étais enfant. J’ai gardé des liens très forts avec ce pays. Parallèlement, je me suis un peu détaché de l’investissement en Europe, car je ne me retrouve plus dans les entrepreneurs européens, qui ont une fâcheuse tendance à lever des fonds puis « planter » les investisseurs. J’ai retrouvé ici cette envie de gagner et de retourner l’argent aux preneurs de risque. Mon objectif, c’est d’être le fonds de capital-risque le plus actif chez les startups en phase de scale-up (qui ont trouvé leur business model et sont en phase de croissance) d’Afrique francophone.


Pensez-vous que la prochaine licorne francophone pourrait naître en Côte d’Ivoire ?

B. D. : J’aimerais qu’il y ait d’autres licornes en Afrique francophone, comme Wave au Sénégal, qui a été fondée par des Américains. Mais Saviu ne les cherche pas. Nous préférons miser sur des entreprises rentables, avoir un portefeuille compact et le moins de taux d’échec à la sortie, plutôt que d’aller repérer cette licorne, « chasse au trésor » chronophage et énergivore. Nous risquerions de nous focaliser sur elle et de délaisser le reste du portefeuille. Notre ADN, c’est donner envie à d’autres entrepreneurs de créer et de recommencer… Aujourd’hui, ce qui me passionne, c’est la transmission. J’ai envie de partager ce que j’ai appris pendant 20 ans à des entrepreneurs qui veulent réussir. C’est pourquoi j’ai créé un club d’investisseurs. Je lance un appel à tous les entrepreneurs africains qui cherchent à entreprendre dans des zones de confort comme les États-Unis et l’Europe. Je leur dis qu’aujourd’hui en Afrique on peut les aider, il y a un écosystème vertueux pour développer des sociétés qui deviendront demain des championnes africaines. Nous serons derrière eux pour les financer et les accompagner.

De gauche à droite : Benoit Delestre (fondateur et président), Cynthia Mandjek (directrice d’investissement), Samuel Touboul (managing partner)


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