À la veille des élections à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), Forbes Afrique dresse le portrait de Sidi Ould Tah. À travers les témoignages de quelques-uns de ses plus proches collaborateurs, se dessine le portrait d’un homme discret, constamment en quête d’impact, héritier d’une prestigieuse lignée mauritanienne.
Par Marie-France Réveillard
Sidi ne parle jamais de lui », explique Serge Ekué, le président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Difficile, en effet, de dresser le portrait du président de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA)*, pour qui la discrétion est une ligne de conduite acquise dès son enfance passée dans la région mauritanienne de Trarza, à la frontière sénégalaise. Il est l’aîné d’une fratrie de trois frères et deux sœurs.
« Sidi Ould Tah est issu d’une famille d’intellectuels. Son oncle, feu Hamden Ould Tah, était un personnage jouissant d’une solide réputation qui dépassait largement les frontières nationales. Il est le digne héritier d’une lignée d’érudits qui a su tisser un réseau relationnel, cimenté par des valeurs communes, au-delà des frontières et des liens de filiation », révèle cependant le Dr Mohamed Lemine Raghani, ancien ministre mauritanien de la Santé et ancien administrateur du Fonds monétaire international (FMI) pour le Groupe Afrique 2, désormais chargé de mission auprès du cabinet du Premier ministre mauritanien.
Le grand-père maternel du Dr Tah, Mohamed Salem Ould Mkhaïrat, un proche du président Moktar Ould Daddah, est considéré comme l’un des bâtisseurs de la Mauritanie moderne. Il fut notamment ministre des Finances, de l’Intérieur et de la Pêche dans le premier gouvernement post-indépendance. C’est ainsi que le petit Sidi fréquenta les couloirs du palais dès sa plus tendre enfance. Comme un clin d’œil à l’histoire familiale, Mohamed Salem Ould Mkhaïrat fut l’un des deux représentants de la délégation mauritanienne lors de la création de la Banque africaine de développement (BAD) en 1963, à Khartoum. Un demi-siècle plus tard, Sidi Ould Tah brigue la présidence de la BAD, et c’est à Khartoum qu’il prit ses fonctions de directeur général de la BADEA en 2015, avant le déménagement du siège à Riyad, suite au déclenchement de la guerre civile soudanaise (2023)…
« Le grand-père maternel du Dr Tah, Mohamed Salem Ould Mkhaïrat, un proche du président Moktar Ould Daddah, est considéré comme l’un des bâtisseurs de la Mauritanie moderne »
« Dans ma culture, nous devons observer une certaine humilité », insiste Sidi Ould Tah, dont l’apparente timidité cache en réalité une discipline de tous les instants. Le banquier, à tout juste 60 ans, avoue s’être inspiré, dans ses jeunes années, de « professeurs et d’hommes de savoir » qui l’ont « marqué pour leurs qualités intrinsèques et leur engagement social en faveur des plus pauvres ».
« Il reste disponible à tout moment de la journée et possède une grande qualité d’écoute avec tout le monde », convient Serge Ekué. « Il faut néanmoins savoir faire des choix lorsqu’on arrive à un tel niveau de responsabilité », ajoute-t-il, car pour ce banquier international, toujours entre deux vols au long cours, le temps est compté. Féru de lecture, il est inspiré par Baudelaire, Voltaire et par De l’Esprit des lois, de Montesquieu. Il a d’ailleurs commencé par suivre des études littéraires, avant de s’orienter vers l’économie et la finance. « Lorsque j’ai passé mon baccalauréat, il n’y avait que deux options disponibles : les lettres, ou les sciences et mathématiques. Comme il n’y avait pas de filière économique, j’ai choisi les lettres », explique-t-il dans un sourire.

La Recherche de l’Impact Avant Tout
« Il a respecté tous ses engagements envers moi », souligne Serge Ekué. « Pour tout dire, je ne savais pas comment financer mon augmentation de capital pour les États de la BOAD, quand je l’ai rencontré en 2023 », ajoute-t-il. À ce moment-là, Sidi Ould Tah débloque 400 millions de dollars (environ 365 millions d’euros), apportant un nouveau souffle à la banque ouest-africaine. « On m’avait dit : si tu veux le connaître, va à Khartoum ! La suggestion n’était pas anodine, car la guerre civile grondait. J’ai découvert un monsieur qui ne se laisse pas influencer. Sous un air d’apparente nonchalance, il est déterminé et va jusqu’au bout des choses », affirme-t-il.
Un constat que partage Mohamed Lemine Raghani. « Lorsqu’il est arrivé à la BADEA, la dette des Comores était en souffrance. Il a convaincu la banque de faire un effort pour l’alléger, car il avait été sensible à la situation de ce pays pénalisé par la dette, dans son accès aux financements […] Il a été un ministre des Affaires économiques et du Développement d’une efficacité remarquable, et a su mener de main de maître le programme de la Mauritanie avec le Fonds monétaire international », observe-t-il.
Le Béninois Dr Zul Kifl Salami, ancien gouverneur de la Banque mondiale, du FMI, de la Banque africaine de développement (BAD) et de la Banque islamique de développement (BID), côtoie le Dr Tah depuis plusieurs décennies. L’ancien ministre d’État béninois chargé de la planification, aujourd’hui administrateur honoraire de la Banque islamique de développement (BID), chargé de mission auprès du président du Bénin et président du Fonds arabo-africain d’investissement, souligne que sa collaboration avec l’ancien Président de la BID, le Dr Ahmed Mohamed Ali – « considéré comme une légende du développement » –, a « façonné le profil du Dr Tah en matière de gestion des crises ».
Frannie Léautier, la directrice générale du fonds SouthBridge et ancienne vice-présidente de la Banque mondiale, a rencontré Sidi Ould Tah il y a plus de vingt ans. « C’est un leader très posé, qui agit, un homme d’action qui livre de vrais résultats sur le long terme, en restant attentif aux moindres détails. Son entourage dit que c’est un homme de peu de mots et de beaucoup d’actions, qui n’a pas peur de changer les choses », explique-t-elle. Le banquier mauritanien a la main sur le cœur, mais c’est une main de fer dans un gant de velours…

De Khartoum à Riyad : Un Déménagement Sur Fond de Guerre au Soudan
S’il est une épreuve qui a marqué Sidi Ould Tah, il s’agit bien de la crise qui l’a conduit à déménager le siège de la BADEA de Khartoum à Riyad. « C’est le plus grand défi professionnel que j’ai eu à surmonter », reconnaît-il. En 2023, le siège était cerné, la ville bombardée et la population en plein désarroi. « Il fallait sauver des vies tout en assurant le plan de continuité des activités. C’est une expérience qui marque une vie. J’ai été très impressionné par le courage des équipes […]Il m’a fallu prendre des décisions, arbitrer parfois dans une solitude absolue. Il fallait bien mesurer les risques pour réunir dans un même lieu nos 200 collaborateurs et leurs familles, soit plusieurs centaines de personnes, alors que le pays était en guerre. Certains ont été évacués du Soudan sans passeport… L’Arabie saoudite nous a ouvert ses portes. Le gouvernement a mis un navire à notre disposition pour évacuer le personnel, qu’il a hébergé à ses frais pendant un mois, dans des hôtels 5 étoiles […] Nous avons vécu des moments difficiles. Certains collaborateurs étaient bloqués au siège de Khartoum, à cause des tirs incessants », poursuit-il. Il n’y a eu aucun mort à déplorer et le personnel de la BADEA vit toujours, pour l’essentiel, en Arabie saoudite, dans l’attente de jours meilleurs en terres soudanaises…
« La veille du déclenchement des hostilités, il a partagé la rupture du jeûne avec les chauffeurs de la BADEA. Surpris, ils osaient à peine toucher à leur assiette. Le lendemain, la guerre était déclarée […] C’est un homme qui parle aux chefs d’État africains comme aux monarques du Golfe dans le cadre de sa fonction, mais qui est resté proche des “petites gens” […] Il a accompagné ses équipes, devenant à leurs yeux “une sorte d’ambassadeur” en Arabie saoudite », explique Cédrick Montetcho, le directeur du développement de la BADEA.
Quel Héritage Laissera-t-il à la BADEA ?
Pour Mohamed Lemine Raghani, Sidi Ould Tah a « relevé le niveau des interventions de la BADEA », tout en « modernisant l’institution ». Même son de cloche du côté de Cédrick Montetcho : « À son arrivée, la maison BADEA était peu connue. Il l’a redressée et maintenant tout le monde souhaite prendre sa place ».
« Avant de le rencontrer, je ne connaissais pas la BADEA », reconnaît d’ailleurs Serge Ekué. Nul doute que l’institution financière est désormais associée aux résultats de Sidi Ould Tah. Et pour cause, le banquier en a significativement augmenté le capital, qui est « passé de 5 milliards de dollars à 20 milliards de dollars entre 2022 et 2025 [de 4,5 à 18,2 milliards d’euros, NDLR] », rappelle Cédrick Montetcho. Il a également initié le processus de notation par des agences de rating internationales, plaçant la BADEA dans le cercle restreint des banques de développement de classe mondiale.
« Depuis 1975, les financements accordés par la BADEA aux pays africains provenaient surtout de ses fonds propres. Cette situation ne pouvait résister aux besoins colossaux en matière de financement du développement en Afrique », estime le Dr Zul Kifl Salami. De son passage à la BADEA, il retient que le Dr Tah « a obtenu des ratings très honorables des trois principales agences de notation, à commencer par la Japanese Rating Agency (JAR), qui a accordé d’emblée un triple AAA à la BADEA ». Il rappelle également que Sidi Ould Tah est à l’origine de la « première émission obligataire de la banque d’un montant de 500 millions d’euros dans des termes et conditions compétitifs ». En mars 2025, celle-ci a achevé sa deuxième sortie sur les marchés internationaux, avec un nouvel eurobond de 750 millions d’euros.
Alors que se dessine son départ, les visages des collaborateurs de la BADEA font grise mine dans les couloirs du siège de Riyad, observe le directeur du développement. « Des chauffeurs aux directeurs de service, en passant par les jeunes cadres du groupe : tout le monde appréhende son départ », confie-t-il.
Les Clés du Renouveau de la BADEA
« Il aura réussi le processus de diversification du personnel venu de toute l’Afrique », estime Cédrick Montetcho, non sans préciser que sous sa direction, « les partenariats se sont multipliés avec toutes les banques de développement du continent ».
Pas de triomphalisme du côté de Sidi Ould Tah, bien qu’il reconnaisse certaines avancées. « J’ai été heureux d’accompagner la transformation de la BADEA, qui a obtenu la deuxième meilleure note en Afrique après la BAD, et la meilleure note parmi les institutions financières arabes. Nous avons acquis des certifications internationales ISO, multiplié par 12 le volume annuel des approbations et par 8 le volume annuel des décaissements, tout en améliorant la qualité de notre portefeuille, grâce à la baisse du taux de créances douteuses, qui est passé de 10 % en 2015 à moins de 0,4 % aujourd’hui », explique-t-il.
Au-delà des chiffres, ce sont les résultats qui lui importent le plus. « Le monde de la banque est souvent désincarné aux yeux des populations, mais avec lui, la perception évolue, car il recherche l’impact avant tout », estime Serge Ekué. La BADEA a financé des ports, des aéroports, participé à la construction de plus de 200 routes qui ont désenclavé des régions entières, tout en générant une baisse des coûts des transports. « Nous avons amélioré la santé des populations en ouvrant de nombreux hôpitaux et des centres de santé. Nous avons financé des programmes de microfinance pour faire sortir des milliers de familles de la pauvreté, et apporté notre contribution en matière d’accès à l’eau et à l’électricité dans les zones rurales, avec un impact sur plusieurs millions de personnes », explique Sidi Ould Tah.
La banque a également financé des établissements scolaires et des universités pour former les cadres africains de demain, son président n’hésitant pas à mettre la main à la poche. « La BADEA a financé des écoles au Niger, mais en se rendant sur place, Sidi Ould Tah a constaté que les enfants n’avaient pas assez à manger. Il a décidé d’investir sur fonds propres pour créer des jardins potagers », se souvient Frannie Léautier.
« Le monde de la banque est souvent désincarné aux yeux des populations, mais avec lui, la perception évolue, car il recherche l’impact avant tout »
Des Priorités Multisectorielles
Le patron de la BADEA conçoit mal que la jeunesse, qui représente 70 % de la population africaine, « ne soit pas au centre du dispositif de développement », partant du principe qu’elle représente « un défi à transformer en dividende démographique ».
L’autonomisation des femmes, tout comme la question climatique, sont aussi des priorités qu’il veut porter à la tête de la BAD. « Le choc climatique concerne tous les habitants de la planète. La transition devra cependant prendre en considération les réalités de l’Afrique, qui est au cœur de la durabilité. Les pays africains doivent mener leur programme de développement en parallèle à leur transition climatique, et au besoin, utiliser toutes les sources énergétiques disponibles », assure-t-il.
L’accompagnement des PME sera également prioritaire. Près de 90 % du secteur privé en Afrique est constitué de TPE et de PME, or « 20 % des PME ont accès aux financements à cause de la frilosité des banques et en particulier de l’absence de garantie », explique-t-il. « Nous devons nous appuyer sur les fonds de garantie comme le Fonds africain de garantie et de coopération économique, le Fonds de solidarité africain, l’African Guarantee Fund ou l’African Trade Insurance Agency par exemple, pour apporter des solutions et créer des relais régionaux et nationaux », ajoute-t-il.
Parallèlement, la santé restera au cœur de sa stratégie. « Il n’est pas acceptable que ceux qui n’ont pas les moyens ne puissent pas avoir accès aux soins. L’accès à la couverture santé universelle sera l’un de mes principaux objectifs à la BAD, si je suis élu », annonce-t-il.
Enfin, l’innovation aura son rôle à jouer dans le dispositif du Dr Tah. « Nous avons tenté une expérience à la BADEA, avec la mise en place d’une plateforme qui permet de faire une demande de crédit en ligne, avec réponse sous 15 minutes, grâce à un système de scoring permettant de compiler des informations recueillies par des algorithmes (factures d’eau, d’électricité, de téléphone…). Grâce à l’IA, il sera possible d’accorder des prestations à des TPE sans leur demander des garanties trop exigeantes. Je suis convaincu que les nouvelles technologies, et l’IA en particulier, seront des accélérateurs pour l’emploi et la croissance. Des millions d’emplois dans le monde sont vacants et seront créés demain grâce à la révolution technologique, dont les gains de productivité attendus sont immenses », affirme-t-il.

Quelle Vision Pour l’Afrique ?
« Je ne suis pas candidat à un poste, mais pour aider l’Afrique à se fédérer autour de cet outil qu’est la BAD, afin d’obtenir plus de résultats, de changer les réalités du déficit de financement, et de relever le défi du chômage. Je veux contribuer à la transformation structurelle du continent », assure Sidi Ould Tah, convaincu que la situation « peut changer avec la volonté des Africains ». Ses objectifs sont clairs : « Dans cinq ans, je souhaite que le chômage des jeunes ait été vigoureusement combattu, qu’une plus grande valeur ajoutée ressorte de nos matières premières, et que nos villes africaines soient reliées pour faciliter la mise en œuvre de la ZLECAf. Il nous faudra relever le défi des infrastructures de transport, avec un programme massif de financement », précise-t-il.
« Je ne suis pas candidat à un poste, mais pour aider l’Afrique à se fédérer autour de cet outil qu’est la BAD, afin d’obtenir plus de résultats, de changer les réalités du déficit de financement, et de relever le défi du chômage […] »
La présidence de la BAD recouvre une dimension plus politique à laquelle le Dr Ould Tah se dit prêt, dans un contexte de redistribution des cartes géopolitiques. « Nous traversons une période de réveil salutaire, qui nous pousse à développer le multilatéralisme en Afrique. Ce tremblement de terre mondial nous invite à repenser notre architecture financière. Il y a encore trop peu de synergies, de cofinancements ou d’articulations entre les institutions et les banques régionales… Pour tous les systèmes financiers, y compris les sociétés d’assurance, de microcrédits, les caisses de prévoyance, les marchés financiers et les fonds souverains, la BAD doit être un point focal de cette architecture financière africaine pour devenir une constellation d’instruments au service du développement », ajoute-t-il.
« L’accès à la couverture santé universelle sera l’un de mes principaux objectifs à la BAD, si je suis élu »
Quels Atouts Pour Diriger la Banque africaine de Développement ?
« Le Dr Taha a fait de brillantes études en France et aux États-Unis qui ont culminé par un Doctorat d’État en économie à l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, avec la mention très honorable », rappelle Zul Kifl Salami.
Sidi Ould Tah commence sa carrière comme analyste financier au sein de l’Agence arabe pour l’investissement et le développement agricole. Il fut membre de plusieurs conseils ministériels, comités et conseils d’administration, président du Conseil national des statistiques, secrétaire permanent du Conseil présidentiel pour l’investissement et membre du Conseil général de la Banque centrale de Mauritanie. Il a été gouverneur de la Mauritanie à la Banque mondiale, à la BID, à la BAD, au sein du Fonds arabe pour le développement économique et social. En 2006, il devient conseiller auprès du Président de la République et du Premier ministre de Mauritanie, jusqu’à sa nomination en juillet 2008 comme ministre des Affaires économiques et du Développement (2008-2015). Il démissionne à la suite de son élection à la tête de la BADEA.
Parmi les éléments qui compteront, la « culture du résultat » portée par Sidi Ould Tah pourrait sensiblement influencer le choix du prochain président de la BAD. « Il nous faut le soutien du secteur privé et du marché financier, car nous avons besoin d’une banque forte en capitalisation. Son expérience a montré qu’il en était capable […] Il sait gérer les crises et dispose d’une capacité à penser “out of the box”. Il nous faut aussi des idées neuves pour agréger les sources de financement et accroître les activités de la Banque africaine de développement », considère Frannie Léautier.
Serge Ekué lui apporte son soutien total, avertissant néanmoins que la bataille n’est pas gagnée d’avance, car « la compétence technique n’est pas le premier des critères » et que « le contexte géopolitique pèsera lourd dans la balance ». « Les Mauritaniens fondent beaucoup d’espoir sur sa candidature », indique Mohamed Lemine Raghani.
« Présent dans tous les dossiers et à tous les niveaux, il a une vision claire et ambitieuse, un leadership inspirant pour ses équipes et pour les parties prenantes. Il anticipe les tendances et dispose de solides compétences techniques et financières, en s’appuyant sur les nouvelles technologies pour innover. Ses capacités d’adaptation sont très grandes », déclare-t-il.

Renforcement des Liens Entre l’Afrique et Les Pays du Golfe
Sa facilité à créer des ponts entre les mondes est un autre facteur qui pourrait influencer le résultat final. Polyglotte, Sidi Ould Tah parle couramment l’arabe, le français et l’anglais. Étudiant, il a appris l’espagnol et le portugais en cours du soir, et de son enfance passée sur les rives mauritaniennes du fleuve Sénégal, il conserve de solides notions de wolof et de pular. «Il a renforcé les liens entre l’Afrique et le monde arabe. Il est aussi politique que technicien », ajoute Mohamed Raghani. «Avant son arrivée, peu de fonds arabes étaient orientés vers l’Afrique. Il a su créer des partenariats très innovants et a présidé l’Arab Coordination Group », complète Frannie Léautier.
« Grâce à son leadership et sa gouvernance, il a su fédérer le soutien de grands pays pétroliers. Le continent a besoin de ressources financières colossales aujourd’hui plus qu’hier. Or, les fonds souverains du Golfe sont une source majeure de financement des infrastructures, et seul le Dr Taha a la capacité de faire bouger ces fonds […] Le Groupe de coordination arabe, qui fédère une dizaine d’institutions financières du Golfe, constitue un solide maillon de la valeur ajoutée qu’il apporterait. Cet avantage comparatif mérite d’être décrypté à l’aune des besoins immenses pour l’Afrique, exacerbés par la crise de la Covid-19, la guerre russo-ukrainienne, et le changement climatique », explique Zul Kifl Salami.
« Il a fait toutes les banques de développement et maîtrise les enjeux du monde moderne, car il a contribué à financer 44 pays africains, sur des terrains très différents », ajoute enfin Cédrick Montetcho. N’en jetez plus, la coupe est pleine ! Dans la presse ou parmi son entourage, difficile de trouver des sons de cloche défavorables au Dr Tah.

Quelle Concurrence Pour La Présidence de la BAD ?
Sidi Ould Tah devra néanmoins affronter des candidats de poids lors de l’élection du prochain président de la BAD. Face à lui, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli peut se targuer d’une solide expérience bancaire en Afrique centrale, bien qu’il ne dispose que d’une faible influence électorale régionale. Le Sénégalais Amadou Hott possède une forte expérience en finance publique et privée. Il pourrait cependant faire les frais de sa proximité avec l’ancien président sénégalais Macky Sall, aujourd’hui dans la tourmente. Le Zambien Samuel Munzele Maimbo est un poids lourd de la Banque mondiale, bien vu par l’Oncle Sam, même si d’aucuns le perçoivent comme « très occidental », alors que souffle un vent de panafricanisme revigoré en terres subsahariennes. Enfin, la Sud-Africaine Bajabulile Swazi Tshabalala, seule candidate féminine, bénéficie d’une solide expertise à la BAD, mais elle est confrontée à une Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) divisée.
Sidi Ould Tah, riche d’une décennie de succès à la tête de la BADEA et de l’appui des pays du Golfe, dispose du soutien des présidents mauritanien et ivoirien (le siège de la BAD se situe en Côte d’Ivoire), mais aussi de la Tunisie et du Congo-Brazzaville. Cependant, il n’a pas obtenu, pour le moment, l’aval officiel d’un grand bloc régional comme la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) ou la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Par ailleurs, sa discrétion pourrait être considérée comme un inconvénient, eu égard aux grandes manœuvres politiques inhérentes à la présidence de la BAD. Cela étant, l’influence de la Ligue arabe pourrait lui être favorable, car la BADEA compte de nombreux pays membres de cette organisation, qui détiennent collectivement un réservoir de voix important.
Sa réputation de réformiste, qui assura son succès à la BADEA, pourrait aussi trouver un écho favorable auprès des membres de la Banque africaine de développement en quête de résultats. Enfin, « la BAD a été secouée par de nombreuses crises et sur ce point, le Dr Taha a de réelles capacités de gestion et d’anticipation », insiste le Dr Zul Kifl Salami.
Après la décennie du flamboyant Nigérian Akinwumi Adesina, l’envie de changement penchera-t-elle en faveur d’un profil plus « rassurant » comme celui du Dr Tah ? Certains pays d’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal ou le Nigéria lui préféreront-ils Amadou Hott ? Quid du risque d’éparpillement des votes entre plusieurs candidats francophones ? La présidence de la BAD échappera-t-elle aux puissants Anglo-Saxons ? La concurrence sera rude et les paris sont ouverts. Rendez-vous le 29 mai prochain.
« Sa réputation de réformiste pourrait aussi trouver un écho favorable auprès des membres de la BAD en quête de résultats »

*Le Conseil des gouverneurs de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) a désigné, le 9 avril, Abdullah Almusaibeeh, actuel membre du conseil d’administration, comme nouveau Président de l’institution. Il prendra officiellement ses fonctions le 1er juillet 2025.