L’audit des finances publiques lancé par les nouvelles autorités peu après l’élection présidentielle a révélé des chiffres alarmants concernant le déficit budgétaire et la dette publique annoncés par la précédente administration, de toute évidence largement sous-estimés. Ces révélations ont poussé les agences de notation financière internationales à dégrader la note souveraine du pays. Le point avec Stanislas Zézé, fondateur de Bloomfield Investment Corporation, première agence de notation financière d’Afrique francophone.
Propos Recueillis Par Élodie Vermeil
Forbes Afrique : En tant que spécialiste de la notation financière, quel état des lieux dressez-vous aujourd’hui du Sénégal ?
Stanislas Zézé : Avec 17 % du PIB de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le Sénégal en est la seconde puissance économique derrière la Côte d’Ivoire. Il est doté d’un potentiel prometteur : une forte dominance du secteur touristique, un secteur agricole en développement, un important secteur de l’immobilier et une industrie gazière et pétrolière en forte expansion. La stabilité de son environnement sociopolitique a toujours été un facteur d’attractivité, malgré quelques soubresauts ces dernières années. Le Sénégal est aujourd’hui en pleine transition politique, avec beaucoup de chantiers de réformes sur le plan de la gouvernance et de la gestion de l’administration. Cette situation peut être considérée comme conjoncturelle, avec des conséquences à court terme et de potentiels bénéfices à moyen terme.
Avec 17 % du PIB de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le Sénégal en est la seconde puissance économique derrière la Côte d’Ivoire.
Lesquels ?
S. Z. : Tous les chiffres fournis par l’ancien gouvernement étant faux, les nouvelles autorités ont lancé un grand audit. Aujourd’hui, cela jette évidemment le discrédit sur ce qui a été fait et risque de stopper un certain nombre de programmes et de projets. Mais à moyen terme, ce que l’on retiendra, c’est l’image d’un gouvernement transparent et soucieux de bonne gouvernance.
Quels sont les fondements sur lesquels les dirigeants sénégalais peuvent se baser pour remonter la pente après les récentes révélations des autorités ?
S. Z. : Le Sénégal peut compter sur la maturité politique et la jeunesse de son peuple, un secteur touristique très dynamique, une agriculture à haut potentiel, et les découvertes significatives de pétrole et de gaz. Mais il importe que le pays se penche sur la formalisation de son économie et sa transformation industrielle. Sa position stratégique de hub régional lui confère par ailleurs une place de choix en termes d’investissements dédiés à la logistique.
Le Sénégal peut compter sur la maturité politique et la jeunesse de son peuple, un secteur touristique très dynamique, une agriculture à haut potentiel, et les découvertes significatives de pétrole et de gaz.
Le secteur privé peut-il avoir un poids significatif dans la nouvelle stratégie économique du Sénégal ?
S. Z. : Malheureusement, le secteur public est beaucoup plus fort que le secteur privé au Sénégal. La grande majorité des investissements publics sont financés par l’argent public, ce qui est une stratégie limitative. L’État devrait davantage encourager le secteur privé à financer l’économie. Pour ce faire, il est important que le public renforce le cadre juridique et réglementaire qui permettrait au privé de mieux se développer. Le partenariat public-privé est extrêmement important pour consolider la position du secteur privé domestique et développer de vrais champions nationaux à même de porter et contrôler l’économie.
« Le partenariat public-privé est extrêmement important pour consolider la position du secteur privé domestique et développer de vrais champions nationaux à même de porter et contrôler l’économie »
Bloomfield est actuellement en plein processus de notation financière du pays. Quelle était la note 2023 ? Pourrait-on anticiper une dégradation éventuelle au vu de l’actualité récente du pays concernant notamment son déficit budgétaire ?
S. Z. : En 2023, la note du Sénégal était de A- équivalant à un risque faible en monnaie locale (franc CFA), soit une note d’investissement témoignant d’une perspective stable. Pour cette année, après la dénonciation des chiffres actuels par le nouveau gouvernement, nous attendons les chiffres actualisés par la Cour des comptes pour finaliser l’exercice 2024 de notation financière du Sénégal. Il est encore trop tôt pour dire si la note sera dégradée ou pas. Notre analyse des chiffres produits par la Cour des comptes déterminera l’opinion de Bloomfield.
« Nous attendons les chiffres actualisés par la Cour des comptes pour finaliser l’exercice 2024 de notation financière du Sénégal »
Comment expliquer, dans ce cas, l’attribution par l’agence Moody’s de cette note dégradée ?
S. Z. : Les agences de notation financière internationales redoutent tellement d’être critiquées qu’elles ne souhaitent prendre aucun risque. Elles ont donc l’habitude de faire des dégradations systématiques lorsqu’une situation est négative. C’est ce que j’appelle une dégradation « émotive ». Chez Bloomfield, nous évaluons les conséquences de l’occurrence d’événements négatifs avant de prendre une décision. Cependant, nous mettons la note en cours sur observation, le temps de l’analyse.
Le Sénégal dépend-il beaucoup des ressources financières extérieures? Si oui, comment réagissent les bailleurs de fonds, investisseurs et financiers extérieurs vis- à-vis de cette situation ?
S. Z. : Oui en effet, le Sénégal dépend beaucoup des ressources extérieures pour le financement de son économie et de son budget. La situation actuelle du pays, après les révélations partielles des résultats des audits, a certainement créé de la méfiance chez ses partenaires. Je pense que ces derniers ont décidé d’adopter une position attentiste jusqu’à la sortie des résultats complets des audits par la Cour des comptes. À court terme, cette situation semble devoir impacter négativement le pays, mais je suis certain qu’à moyen terme, cette logique de transparence et de bonne gouvernance prônée par les nouvelles autorités sera plutôt bénéfique.
En conclusion, peut-on être optimiste pour le Sénégal à moyen terme ?
S. Z. : Le Sénégal dispose d’un réel potentiel et de bons fondamentaux. On peut donc considérer cette situation comme conjoncturelle et imaginer qu’elle se résorbera à moyen terme. Les investisseurs et partenaires restent positifs sur ce pays, même si pour l’instant ils se sont tous mis dans une position attentiste.