Lauréat du classement 2022 de Forbes Afrique consacré aux 30 Africains de moins de 30 ans, le concepteur de jeux vidéos Teddy Kossoko a fait de ses créations numériques un support pour valoriser la culture africaine. Une ambition que le jeune entrepreneur centrafricain veut désormais faire passer à l’échelle.
Par Harley McKenson-Kenguéléwa
Enthousiaste, Teddy Kossoko, fondateur de Masseka Game Studio, est intarissable lorsqu’il s’agit de parler de sa dernière création, « Golden Georges ». Lancé cette année, ce jeu vidéo suit la quête initiatique de Georges, un jeune africain qui rêve de devenir Ballon d’Or de foot, et dont le parcours s’inspire fortement de George Weah, Ballon d’Or en 1995 et actuel président du Liberia. Le jeu aurait déjà été téléchargé « plus de 2000 fois, avec une moyenne de 1 000 joueurs recensés par jour », explique le concepteur d’origine centrafricaine, qui espère atteindre « un pic de 100 000 téléchargements d’ici la fin de l’année ». Des chiffres exceptionnels pour un jeu électronique qui ne fait pas encore partie des blockbusters mondiaux.
« La première version du jeu de football « Golden Georges » a connu un lancement difficile, car il fallait faire vite et opérer les réajustements nécessaires sur la base de l’expérience des nombreux retours du marché. Pour la deuxième version, nous avons pris en compte les retours utilisateurs et donné accès à des modes de jeu supplémentaires. Les résultats des tests ont été concluants, avec une forte augmentation du temps de jeu de 42%, ce qui nous a permis de bien cerner le profil de nos utilisateurs », détaille Teddy Kossoko qui, avec ce nouveau jeu, souhaite cibler un marché mondialisé, composé d’aficionados du ballon rond. Davantage, le football permet de vibrer au rythme des résonances émotionnelles collectives qui vont bien au-delà du seul enjeu sportif, chaque équipe s’érigeant en symbole de l’identité culturelle du pays concerné. Il appartient donc à Teddy Kossoko de transformer son jeu vidéo en succès commercial et de peaufiner sa stratégie visant à profiter des retombées médiatiques autour de la prochaine Coupe du Monde au Qatar, à la fin de cette année, et de la CAN 2023 qui se déroulera en Côte d’Ivoire.
Mohamed Zoghlami, spécialiste reconnu du domaine des industries créatives et co-initiateur des rencontres Afric’Up, qui a testé le jeu, apporte ses conclusions : « Avec “Golden Georges”, on s’aperçoit très vite que Teddy maîtrise parfaitement son graphisme. Il est pointilleux, fait attention aux moindres détails de l’environnement de son personnage. Tout est soigné et donne envie d’en découvrir plus. L’ergonomie du jeu est vraiment plaisante. On s’immerge facilement dans l’histoire de ce champion de football, et on teste rapidement ses capacités de jongles et de freestyles [ … ]» .
Un boulimique de travail
Teddy Kossoko a le don de susciter la sympathie et le respect de son entourage professionnel et personnel. Julien Machado, l’un des développeurs de Masseka Game Studio, voit ainsi en lui « un gros bosseur doté d’une grande patience » tandis que sa collaboratrice et partenaire d’affaires, Peggy Mbassinga, le considère comme « une personne minutieuse et rigoureuse ; un boulimique de travail ». Partisan du travail collectif, cet amateur de football est un manager inspiré qui sait mener et motiver ses équipes pour concrétiser les objectifs de l’entreprise. « Teddy n’hésite pas à rester tard au travail pour mobiliser l’ensemble des développeurs, afin d’atteindre les buts qui ont été définis » rapporte par exemple Julien Machado. Amélie Fabre, une amie proche, atteste pour sa part qu’il « exerce un leadership inspirant auprès de ses semblables […] », tout en rappelant que « malgré le poids des responsabilités […], il trouve toujours le temps de venir en aide aux autres. En somme, un homme ayant le cœur sur la main, ce qui n’empêche pas son ancienne camarade de classe au lycée, Elsa Bobegoto, de rappeler que « Teddy se montre parfois entêté». Sa sœur, Abigaelle Kossoko, estime quant à elle que « certains de ses traits de caractère, parfois “durs”, l’ont amené là où il souhaitait réaliser ses objectifs aujourd’hui ».
Rien ne prédestinait pourtant ce Banguissois d’origine, né d’un père électricien et d’une mère responsable d’une agence bancaire, à s’engager dans les industries créatives. Enfant, Teddy rêve de devenir astronaute. Mais la réalité le détourne de son but. Tout au long de ses années d’études secondaires dans la capitale centrafricaine, il est formé au lycée Saint-Charles La Providence. Suivant le conseil de ses parents, il se met à poursuivre un programme, à partir de la classe de seconde, conçu pour un accès direct dans une filière menant vers la médecine, et obtient un baccalauréat scientifique D [baccalauréat spécialisé en biologie et sciences de la vie et de la Terre, NDLR]. Parallèlement, il passe en candidat libre le baccalauréat scientifique S (spécialité mathématique) dans les enceintes du lycée français Charles de Gaulle de Bangui, dont il devient titulaire dans la foulée, au cours de l’année 2012. « Très dévoué à ses études, il travaillait beaucoup. C’est un battant qui voyait déjà grand », se souvient Elsa Bobegoto.
Cap sur l’informatique
Amené à l’origine à faire des études de médecine, Teddy Kossoko se sent pourtant attiré de plus en plus par l’informatique, un domaine vers lequel il s’oriente finalement. À l’âge de 18 ans, il se rend donc en France, à Toulouse, pour y préparer un DUT en informatique à l’Institut Universitaire de Technologie de Blagnac. Des débuts dans l’Hexagone non exempts de difficultés : « Venant d’une filière de médecine, mon approche était complètement différente. Heureusement, j’ai eu de formidables professeurs qui m’ont beaucoup épaulé et aidé à adopter une approche plus appropriée au domaine de l’informatique », se remémore le jeune entrepreneur. Il décroche son diplôme en 2014 et devient titulaire d’un master en Méthodes Informatiques Appliquées à la Gestion des Entreprises (MIAGE) en 2017, à l’université de Toulouse.
Après un parcours initiatique en qualité de stagiaire au LAAS-CNRS (Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes, appartenant au Centre national de la recherche scientifique), Teddy Kossoko intègre le cabinet de conseil en services numériques Capgemini, qui aura la sagesse de ne jamais le laisser plus de quatre ans aux mêmes responsabilités. L’entreprise lui confie notamment le poste de développeur logiciels en 2018 pour le compte de la Plateforme d’Exploitation des Produits Sentinelle (PEPS), un dispositif facilitant l’accès aux données des missions “Sentinelle” du programme européen “Copernicus”, et depuis 2020, celui d’ingénieur logiciel dans le cadre de la mission spatiale Biomass de l’ESA (l’Agence Spatiale Européenne).
Un support de communication pour faire passer des messages
En parallèle, Teddy Kossoko constate avec amertume qu’un très grand nombre de personnes issues de la diaspora africaine ne s’interrogent pas suffisamment sur leurs racines ou leur véritable identité. Lui-même en plein processus introspection, il prend conscience que son héritage culturel, sa famille et son parcours sont des repères qui le construisent et permettent de lui rappeler qui il est vraiment : « Nous, Africains, n’avons pas suffisamment d’amour-propre. On ne nous a pas appris à accorder une importance toute particulière à notre culture. Nous avons trop tendance à rabâcher nos vues sur la colonisation ou l’esclavage. L’idée est de pouvoir raconter l’histoire de l’Afrique autrement », explique Teddy Kossoko qui, armé de cette conviction, se tourne alors à la recherche d’un support de communication approprié pour réaliser ses aspirations personnelles et faire passer ses messages.
Au final, c’est tout naturellement vers sa vraie passion, c’est-à-dire les jeux vidéo, que Teddy se tourne. Auréolé de ses diplômes, il a aussi l’intuition des autodidactes et le culot des inconscients. Développeur dans l’âme, Il crée donc sa première société, qu’il dénomme “Masseka” [“Jeunesse” en sango, la langue nationale en Centrafrique], et décide de transposer sur application mobile le “Kissoro”, un jeu traditionnel centrafricain qui n’est pas sans rappeler le jeu d’échecs, de par sa dimension stratégique.
Valoriser la culture africaine
Un choix dicté en premier lieu par la volonté de Teddy Kossoko de valoriser la culture de son continent natal, ce dernier rappelant notamment le rôle décisif des industries créatives, et notamment le secteur de l’animation et des jeux vidéo, dans la mise en valeur des patrimoines culturels de certaines nations telles que le Japon et la Corée du Sud. De fait, l’objectif pour le fondateur de Masseka Game Studio est d’accroître la visibilité de l’Afrique afin de véhiculer des messages à travers des histoires et des traditions, auxquelles de jeunes Africains peuvent adhérer.
Un message reçu 5 sur 5. Le succès de « Kissoro Tribal Game » est immédiat auprès du public, avec un nombre de téléchargements estimé à 50 000 à l’heure actuelle. Pour Mohamed Zoghlami, il est évident que « Teddy [Kossoko] s’est documenté, a fait des recherches sur les vêtements et l’habitat de l’époque, [et qu’il] attache beaucoup d’importance à l’histoire, au visuel, et nous plonge dans notre culture et notre patrimoine ».
En tant que concepteur de jeux vidéo, le jeune patron se rend néanmoins vite compte de la difficulté de bâtir un modèle économique solide et pérenne en Afrique, un continent où les transactions en espèces demeurent le moyen de paiement prédominant. De fait, le nombre de “gamers” africains utilisant des services de distribution numérique tels que Google Play Store pour télécharger des applications payantes, demeure très limité. Après avoir proposé- sans succès- à Google d’intégrer dans Google Play Store un programme pilote de services de paiement adapté aux utilisateurs en Afrique, Teddy Kossoko prend la décision de lancer son propre “Google Play Store africain”, qu’il baptise “Gara Store”[“Gara” signifie “marché” en sango]. Une solution de paiement conçue comme « une porte d’entrée vers l’Afrique et qui vise à favoriser la monétisation des contenus avec l’appui de notre partenaire, la fintech panafricaine InTouch », assure l’entrepreneur. De fait, ce dernier concurrence désormais de facto “Google Play Store” sur le marché africain, la plateforme Gara cherchant à répondre à la réalité d’un continent où le cash est toujours roi.
La difficulté du passage à l’échelle
Reste un handicap crucial à surmonter, le passage à l’échelle. Personne n’a encore réussi à guider Teddy Kossoko- qui conserve en parallèle son poste à Capgemini – dans les méandres du capital-investissement pour faire passer “Masseka Game Studio” et “Gara” (deux sociétés dont il est l’actionnaire majoritaire) à des stades supérieurs de développement. Un rendez-vous (pour l’heure) manqué qui fait dire à Teddy Kossoko, dépité, que « la prise de risque est sans doute faible chez la plupart des capital-risqueurs français qui ne maîtrisent pas suffisamment le marché africain».
Un constat d’autant plus cruel lorsqu’on le compare avec la trajectoire d’un autre lauréat (en 2018) du classement Forbes Afrique des 30 jeunes africaines de moins de 30 ans, celle du malien Moulaye Taboure, cofondateur de la plateforme d’e-commerce ANKA (ex-Afrikrea), qui a lui réussi son passage à l’échelle via des levées de fonds opportunes. Ainsi, alors que le siège social de Masseka Game Studio est toujours domicilié dans l’appartement de Teddy Kossoko à Toulouse, celui d’ANKA a été transféré de Lille à Abidjan (Côte d’Ivoire), grâce aux ressources financières apportées par des investisseurs. Une stratégie payante pour son cofondateur, puisque le changement de dimension qui s’est ensuivi a ouvert de nouvelles perspectives commerciales.
« Le fait de diriger les opérations d’ANKA directement à partir du continent africain nous a permis de mieux appréhender les besoins spécifiques du marché local et d’adapter en permanence nos services en fonction des exigences des clients. Résultat, les résultats ont suivi : notre chiffre d’affaires de l’an dernier est vingt fois plus élevé que celui enregistré en 2017, l’année durant laquelle notre siège social a été transféré vers la Côte d’Ivoire » témoigne Moulaye Tabouré.
Un marché africain du jeu vidéo aux immenses potentialités
Teddy Kossoko suivra t-il l’exemple de Moulaye Taboure et parviendra t-il à briser le plafond de verre des levées de fonds, pour pouvoir ensuite s’implanter à Dakar, Abidjan, Nairobi ou Lagos ? Lui seul est en mesure de décider ce qu’il souhaite accomplir ou non. Une chose est sûre : eu égard aux potentialités du marché africain du jeu vidéo, en très forte croissance (le nombre de joueurs en Afrique subsaharienne serait passé de 77 millions en 2015 à 186 millions de personnes en 2020, selon une étude établie par Newzoo, une société spécialisée dans le gaming) et l’accueil favorable dont ont bénéficié les jeux réalisés par Masseka Game Studio, Teddy Kossoko pourrait bien se retrouver un jour à la tête d’une potentielle « licorne » africaine.