Au-delà de l’impératif climatique et malgré les multiples contraintes financières et techniques, le secteur des énergies renouvelables a le vent en poupe et s’impose aujourd’hui comme un véritable levier de croissance sur le continent.
Par Marie-France Réveillard
Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), en 2020, la récurrence des phénomènes climatiques extrêmes « a aggravé l’insécurité alimentaire, la pauvreté et les migrations ». C’est donc sous pression climatique que l’Afrique entend atteindre l’objectif de développement durable n° 7 de l’ONU (ODD 7), qui vise à« garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable », d’ici 2030. Le défi est de taille, car plus de 600 millions d’Africains —43 % de la population—vivent encore sans électricité, ce qui constitue l’un des taux les plus faibles au monde. Un chiffre qui a augmenté entre 2020 et 2021 en raison de la pandémie de Covid et de la crise induite : d’après Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), « environ 4 % d’Africains de plus vivraient aujourd’hui sans électricité comparé à 2019 ». Selon une analyse de la British Petroleum (Statistica lReview of World Energy 2020), le continent, qui concentre à lui seul 17 % de la population mondiale, ne consommait en 2020 que 3,3 % de l’énergie primaire.
Cette situation impacte non seulement les économies africaines, mais aussi le quotidien des populations dont la santé — quand ce n’est pas la survie — ne tient parfois qu’à un fil électrique (seuls 28 % des établissements de santé d’Afrique peuvent s’appuyer sur une fourniture fiable en électricité selon Sustainable Energy for All, organisation internationale œuvrant à renforcer et stimuler les actions en faveur de la réalisation de l’ODD 7). « La demande énergétique augmente en moyenne de 8 à 10 % en Afrique depuis quelques années, sur fond de croissance économique et de pression démographique », rappelle pour sa part Gilles Parmentier, le PDG d’Africa REN, une entreprise française spécialisée dans le développement de centrales solaires et solutions de stockage en Afrique de l’Ouest (Senergy 2 au Sénégal, Kodéni Solar au Burkina Faso). La hausse de la demande énergétique s’est accompagnée d’une baisse du coût des batteries solaires et des panneaux photovoltaïques. Parallèlement, l’apparition des smart grids[i] et les incertitudes liées à l’approvisionnement du gaz russe, ainsi que les brutales variations du prix du pétrole, ont fini par rendre les énergies renouvelables (EnR) beaucoup plus attractives.
Le prix de l’énergie verte a progressivement chuté d’Accra à Kampala, où les EnR s’apparentent désormais au discount de l’énergie. « Au Burkina Faso, le kilowattheure de solaire est vendu 48 francs CFA alors que le coût moyen du thermique est de 108 francs CFA le kilowattheure », détaille le PDG d’Africa REN. Un constat corroboré par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), qui estime le coût mensuel de l’éclairage par ménage avec un générateur diesel compris entre 4 et 15 dollars, contre 2 dollars avec du solaire photovoltaïque, soit deux à… huit fois moins cher.
La transition du fossile vers les EnR, potentiel vecteur d’emplois
En décembre 2021, l’IRENA et l’Organisation internationale du travail (OIT) affirmaient dans un rapport conjoint que les EnR avaient généré plus de 500 000 emplois au niveau mondial en 2020. Tordant le cou aux prospectives les plus pessimistes, le document estime que le coût social des pertes d’emplois dans le fossile serait largement compensé par les EnR, avec vingt-cinq millions d’emplois créés d’ici 2030 pour sept millions d’emplois perdus. Pourtant, en dépit de forts potentiels solaire (60 % des ressources solaires mondiales), éolien (environ 59 000 gigawatts pour un productible annuel de 180 000 térawattheures, soit le nécessaire pour satisfaire plus de 250 fois la demande d’électricité totale sur le continent africain selon la Société financière internationale), hydraulique (près de 10 % du potentiel hydroélectrique mondial), en hydrogène vert ou en biomasse, la production énergétique en Afrique demeure carbonée à plus de 70 %.
Afin de profiter des opportunités offertes par les énergies vertes, l’Afrique devra renforcer ses ressources humaines. Pour l’heure, Romain de Villeneuve, le PDG de WeLight (opérateur en électrification rurale et spécialiste des mini-réseaux solaires et hydroélectriques) assure que ses techniciens basés en Afrique répondent aux qualifications requises. Il se réjouit de l’impact socio-économique des mini grids développés par WeLight, qui auraient déjà bénéficié à plus de 150 000 personnes depuis 2019 dans une quarantaine de villages malgaches et maliens. « Cinq cents commerces ont l’électricité et 80 % ont accru leur productivité », précise le CEO de l’entreprise qui mesure aussi la portée de son activité à travers les « mille accouchements prodigués avec la lumière apportée par WeLight ».
Les fintech au service du mix énergétique
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), « en orientant les investissements liés à la construction de nouveaux terminaux méthaniers[ii](vingt-cinq milliards de dollars par an, NDLR) vers les EnR, une énergie moderne et abordable pourrait être disponible pour tous les habitants d’Afrique d’ici la fin de cette décennie ». Alors que le financement de projets reste le nerf de la guerre, la révolution 2.0 aura permis aux EnR de connaître un certain essor en sécurisant les paiements. « C’est grâce à la digitalisation qu’on peut mettre l’électricité à disposition des gens. Si nous étions restés au cash, sans pré-paid ou “pay as you go”(tarification à l’usage), personne n’investirait », rappelle Romain de Villeneuve, le PDG de WeLight.
Pour l’avocat Pierre Bernheim, associé au sein du cabinet Trinity International AARPI (Trinity Paris), pionnier en matière de transactions dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures sur le continent, « de façon générale, les taux de rentabilité ne sont pas très élevés dans les EnR et le temps de développer les projets est assez long ».
Néanmoins, l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine [ZLECAf] pourrait bien favoriser les projets d’interconnexions transfrontalières, à travers la mutualisation des ressources. D’après la Banque mondiale, en créant un marché d’échanges d’énergie, l’Afrique de l’Ouest économiserait de cinq à huit milliards de dollars par an. D’avis d’experts, et malgré le développement rapide des EnR (Solar Home Systems, mini grids ou centrales), le thermique a toutefois encore de beaux jours devant lui pour assurer la fiabilité des réseaux, d’autant que les grands projets hydrauliques (tels que le barrage de la Renaissance sur le Nil ou celui d’Inga sur le fleuve Congo), tardent à se concrétiser et alimentent désormais la controverse autour de leurs impacts environnementaux.
[i] La CRE (Commission de régulation de l’énergie) désigne par smart grid un réseau d’énergie qui intègre des technologies de l’information et de la communication, ce qui concourt à une amélioration de son exploitation et au développement de nouveaux usages tels que l’autoconsommation, le véhicule électrique ou le stockage.
[ii] Un terminal méthanier est une installation permettant de regazéifier du gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par voie maritime par les expéditeurs depuis les zones de production.