En matière d’urbanisme, l’Afrique est à la croisée des chemins. D’un côté, un modèle occidental qui a fait ses preuves au 20e siècle, mais qui malmène la communauté de vie par la prolifération à outrance de maisons individuelles et de tours sans âme ; de l’autre, un modèle de ville du 21e siècle à réinventer, qui tarde encore à prendre ses marques, poussé par une démographie galopante. À partir de ce constat, l’entrepreneur Albert Ménélik Tjamag livre dans cette tribune plusieurs axes de réflexion pour une meilleure densification de nos villes.
Par Albert, Ménélik Tjamag
On dit souvent que le défaut de la ville africaine, c’est son étalement. Par exemple, une ville comme Kinshasa, en République démocratique du Congo, a une superficie de 9 000 km². Cependant, avec un peu plus de 30 millions de km2 pour une population de 1,5 milliard d’habitants, le vaste continent qu’est l’Afrique est encore sous-peuplé. Sa densité de population en 2021 était de 49 habitants par km², soit moins que l’Asie (150 habitants/km²) et l’Europe (70 habitants par km2).
Le vrai problème qui se pose aux villes sur le continent concerne le risque de densification non planifiée, ainsi que l’apparition de nombreux bidonvilles en périphérie, et parfois au cœur de nos capitales. Sans compter la pression sur les infrastructures et les problèmes environnementaux et d’insalubrité que posent ces habitats précaires. Il faut donc réfléchir à des villes qui pourraient densifier le tissu urbain pour aider la croissance économique, améliorer l’accès aux services et aux opportunités d’innovation, tout en conservant une convivialité tout africaine.
« La densité de population de l’Afrique en 2021 était de 49 habitants par km² »
Des Pistes Pour Réussir à Densifier La Ville Africaine
Beaucoup moins de laisser-faire et plus d’interventionnisme étatique doivent guider la transformation urbaine africaine. Ces questions primordiales doivent être mises au débat, avec la possibilité pour le citoyen lambda de donner son avis. Cette coconstruction de la ville est difficile à envisager dans un pays comme le Cameroun, par exemple, où le Plan directeur d’urbanisme est introuvable sur le Net et soustrait à la vision collective par certaines autorités municipales ou régionales. La conséquence de cet état de fait est une méconnaissance induite et patente du devenir de la ville : on ne sait pas dans quel sens elle va se développer, on doit le supposer. Pour aider à la construction d’infrastructures utiles (eau, assainissement, transport), la planification urbaine africaine doit être proactive et consensuelle.
Le Développement Occidental est Forcément Vertical
Confrontées à l’absence de biodiversité au sein des villes, les mégapoles occidentales tentent aujourd’hui de faire marche arrière, en réduisant à tout prix les îlots de chaleur urbains. Nous ne devons pas, en Afrique, répéter les mêmes erreurs. Le développement vertical des villes en Occident était dicté par la nécessité de rendement au vu des prix du foncier. Cette inflation des terrains existe aussi en Afrique, mais elle est beaucoup moins prégnante. En Occident, construire haut est symbole de puissance économique et de progrès technologique ; mais pourquoi devrions-nous courir le même lièvre ? D’autant que cette ville verticale occidentale est également très uniforme en matière de design. En nous différenciant, nous affirmons notre entrée originale dans un 21e siècle qui consacre une africanité globale, sûre d’elle et conquérante.
« Il faut réfléchir à des villes qui pourraient densifier le tissu urbain pour aider la croissance économique, améliorer l’accès aux services et aux opportunités d’innovation, tout en conservant une convivialité tout africaine »
S’Enquérir du Monde, Réinventer sa Réalité
L’identité culturelle et le patrimoine local doivent guider toutes les actions de densification urbaine des collectivités publiques. De même, la participation citoyenne peut donner des pistes probantes pour améliorer la mobilité et axer le développement sur le transport en commun. Au vu des embouteillages que vivent les capitales africaines aux heures de pointe, le défi est de taille. Une solution consisterait à zoner les villes en fonction de la hauteur des édifices : plus hauts dans le centre et progressivement plus bas dans la périphérie, tout en mélangeant les logements, les commerces et les bureaux, pour rendre les quartiers dynamiques et inclusifs. Quant à la biodiversité, elle doit s’inviter dans chaque immeuble collectif ou administratif pour y maximiser la qualité de vie. Si l’heure est pour le moment au tout béton, n’oublions pas que l’Afrique est naturellement verte.
Le Village n’est pas Seulement Traditionnel
Il ne s’agit pas simplement de reproduire le modèle villageois traditionnel, mais de s’en inspirer intelligemment pour créer des villes plus durables et inclusives. Comme le souligne l’architecte Sénamé Koffi Agbodjinou, « la solution ne consiste pas à reproduire l’ancien, mais à mobiliser les ressources locales, en s’appuyant aussi sur les apports de la technologie ». Le village intègre certaines des valeurs de solidarité et de partage dont pourraient bénéficier les villes africaines, ainsi qu’un lien plus organique avec la nature environnante. L’idéal serait une hybridation entre la ville et le village, afin de ne pas perdre ce qui fait la force de la ville, la mixité, et pousser ce qui caractérise le village : la chaleur, l’entraide, la communauté et l’identité locale.
« L’idéal serait une hybridation entre la ville et le village »
Un Guide Pour se Réinventer
Les villages urbains peuvent contribuer à une meilleure qualité de vie, car les habitants sont au plus proche des décisions concernant leur environnement. Il s’y développe un plus grand sentiment de cohésion sociale et d’appartenance. Les lieux de convivialité, qui y sont recherchés et promus, assurent une meilleure qualité de vie grâce à des espaces verts et à la proximité des services. Tout se fait à l’échelle humaine, ce qui implique une participation citoyenne accrue. Pour l’approvisionnement, on y privilégie une consommation plus locale et des circuits courts. De ce fait, les déplacements motorisés sont réduits, ce qui conduit à un environnement plus écologique et plus résilient. Enfin, les villages humains favorisent la démocratie locale et une meilleure adaptation des politiques publiques aux besoins des habitants.
L’Africain lui aussi veut consommer et vivre à fond son rêve individualiste occidental : sa maison, sa voiture… et après soi le déluge. Mais ce modèle n’est plus vivable, à l’heure du réchauffement climatique et des contraintes écologiques. Densifier intelligemment nos villes est la seule issue à notre rêve africain.
« Les villages urbains peuvent contribuer à une meilleure qualité de vie, car les habitants sont au plus proche des décisions concernant leur environnement »