« Que peut-on admettre comme “beau” chez nous, quand nous sommes d’emblée exclus de la définition même du mot ? » C’est la question que pose Ménélik, de son vrai nom Albert Tjamag, dans cette tribune consacrée à la valeur du “beau” dans l’urbanisme africain. Directeur artistique et producteur, Ménélik (ou MNLK) dirige également la société Parscel, qui réalise des opérations de promotion immobilière au Cameroun et propose ses services à destination de la diaspora.
Une Tribune d’Albert Ménélik Tjamag
Qu’est-ce Que le Beau ?
C’est une notion subjective, comme la musique, qui peut être personnelle à un individu mais résonner dans le monde entier ; à l’exemple d’artistes tels Michael Jackson, Burna Boy ou Beethoven, qui ont fait l’unanimité dans la pratique individuelle de leur art et sont reconnus universellement. Dans le domaine de la construction comme dans le domaine musical, le beau est souvent relié à l’harmonie, à l’équilibre, à la perfection ou à l’émotion qu’il suscite. Cependant, il peut arriver qu’un bâtiment (par exemple la Sagrada Familia de Gaudi) apparaisse désordonné pour certains, alors qu’il représente le beau par son authenticité et son témoignage d’une culture passée.
« Dans le domaine de la construction comme dans le domaine musical, le beau est souvent relié à l’harmonie, à l’équilibre, à la perfection ou à l’émotion qu’il suscite.»
Le Beau… Un Trompe-l’Oeil
Peut-on alors affirmer que le beau est la dictature de la majorité, puisque des édifices adoubés par un public qui les prend pour référence, ou même un académisme corporatif, peuvent décider d’une norme que les gens vont finir par accepter comme belle ? Quand on observe la question du point de vue africain, on sent une volonté de ne pas apparaître comme la pâle copie de la référence occidentale. Que peut-on admettre comme « beau » chez nous, quand nous sommes d’emblée exclus de la définition même du mot ? En Afrique, le monde voit comme « belles » les choses naturelles, les chutes d’eau, les animaux, les paysages, mais rarement les constructions, à l’exception des pyramides. C’est l’Occident qui réalise presque exclusivement les matériaux de construction, activité à laquelle nous participons peu, ou pas. Les artisans marocains ont porté le travail de la mosaïque au rang d’art, mais où sont les autres ?
« Que peut-on admettre comme “beau” chez nous, quand nous sommes d’emblée exclus de la définition même du mot ? »

Plus Grand, Plus Beau ?
Les capitales mondiales rivalisent d’ingéniosité pour ériger les tours les plus hautes afin de satisfaire leur ego, mais aussi pour imposer leur vision du beau au reste du monde. Pas encore qualifiée pour concourir dans ces catégories de tours monumentales, l’Afrique se dote d’emblèmes qui veulent devenir des phares de la nouvelle conscience des peuples à l’autodétermination. Le président Abdoulaye Wade a dévoilé en 2010 à Dakar le Monument de la Renaissance africaine qu’il considérait comme faisant partie des projets de prestige du Sénégal. Le président béninois Patrice Talon a, à son tour, fait ériger Le Monument Amazone, qui vise à instituer un symbole identitaire fort en hommage aux amazones du Dahomey. Nous avons besoin d’étoffer les imaginaires en Afrique et ces monuments y participent à coup sûr. Mais la poussée démographique africaine à venir demande davantage de solutions au niveau de la conception des villes. Si une réflexion sur la beauté des constructions pouvait agréger l’ensemble, ce serait l’idéal.
« Si une réflexion sur la beauté des constructions pouvait agréger l’ensemble, ce serait l’idéal »
Pourquoi les Villes Africaines Restent-elles Mal Agencées ?
Les villes africaines dans leur ensemble manquent de clarté ou de réflexion générale sur les agencements qu’elles proposent pour répondre aux défis démographiques futurs. On nous rétorque souvent que les budgets ne permettent pas cette modernité et qu’il faut parer au plus pressé ! Colmater les brèches avant d’édifier. Mais qui parle de budgets quand il s’agit de planifier ? Quand il s’agit d’avoir une direction et une vision suffisamment claires sur la façon d’insérer le citoyen dans la ville du futur ? Ces débats n’existent pas dans la société africaine. Mais ils seraient sans doute le meilleur moyen de se démarquer des obligations consensuelles occidentales, tout en définissant un marqueur de beauté propre à l’Afrique. Mais on est encore très loin de ces projections. En Asie, où l’utilisation des matériaux locaux comme le bambou est plus aboutie, la reconnaissance d’une identité architecturale propre est davantage reconnue. Pourtant, nous disposons des mêmes matériaux et du même climat.
« Les villes africaines dans leur ensemble manquent de clarté ou de réflexion générale sur les agencements qu’elles proposent pour répondre aux défis démographiques futurs »
Le Beau Coûte-t-il Plus ?
La construction coûte, c’est un fait. Mais construire beau n’est pas forcément plus cher si les conseils sont pris suffisamment en amont du projet. Le beau est chiffrable, mais cela dépend de la règle de mesure adoptée.
– Pour ce qui est des matériaux, le chiffrage est aisé sur les chantiers et dans les projets de construction. Il arrive que le client choisisse des matériaux chers dont il prévoit une installation personnalisée parfois sans questionner l’élégance de leurs interactions.
– Mais c’est davantage à la revente d’un bien que la valeur ajoutée du beau s’exprime pleinement. Entre deux bâtiments d’utilité équivalente, de même superficie et de même localisation, celui qui est plus consistant dans les valeurs que la plupart reconnaissent comme belles, trouvera plus facilement preneur et générera davantage de valeur ajoutée.
– La différence de prise en compte du beau sur des projets équivalents se fait essentiellement au niveau du conseil sur les volumes, sur la circulation et la culture du confort. Ces conseils n’ont pas de prix quand on construit son lieu de vie ou que l’on investit dans des projets à vocation internationale. Or ces considérations sont presque toujours les dernières quand on implémente son projet en Afrique. Ici, les constructeurs prônent le côté pratique, souvent au détriment de l’esthétique. Et comme chacun copie son voisin, la “ville moche” inonde les quartiers. Il faut préciser également que les recommandations des plans d’urbanisme, quand elles existent, ne sont pas toujours suivies. Construire beau ne coûte pas forcément plus cher, mais coûte aux agglomérations en baisse de recettes futures et en baisse d’attractivité touristique globale.
« Ici, les constructeurs prônent le côté pratique, souvent au détriment de l’esthétique. Et comme chacun copie son voisin, la “ville moche” inonde les quartiers »
Le Beau à l’Africaine
Pour finir, nous dirons que la beauté est la reconnaissance de cet universel qui transcende chacun d’entre nous. Les pyramides africaines se sont imposées par leur gigantisme, mais plus encore par la qualité de leur organisation et la simplicité souveraine de leur forme. Le palais du Taj Mahal est reconnu universellement par la persistance de son matériau directeur, le marbre, mais aussi par l’équilibre qui le rend unique pour tous les amoureux de la symétrie. Le palais d’été de l’empereur en Chine, malheureusement pillé, était d’une sophistication inouïe et portait le témoignage vibrant de la haute technicité des artisans de son époque. La planification urbaine et la construction architecturale africaines représentent un défi et une future volonté de puissance et d’affirmation au monde qui doit se développer sur tout le continent, avec nos règles du beau. Ce, afin que l’Afrique se reconnecte enfin avec son glorieux passé et n’aille plus chercher ailleurs la vérité sur sa définition de l’excellence attractive.
« La planification urbaine et la construction architecturale africaines représentent un défi et une future volonté de puissance et d’affirmation au monde qui doit se développer sur tout le continent, avec nos règles du beau »
