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Tribune : Le pouvoir de la culture au service du développement durable

Par Naïma Chikhi, chercheuse à la Sorbonne et spécialiste des politiques culturelles

Aujourd’hui, à mi-parcours de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable, notre époque fait face à de nombreuses incertitudes. Nous sommes confrontés à des situations d’urgence que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer. Crise climatique, pandémies, bouleversements économiques et augmentation des inégalités nous forcent à affronter cette dure réalité. Ces maux exigent des réponses innovantes qui incluent tous les secteurs de l’économie et englobent l’ensemble de notre société. Mais pour faire émerger des solutions efficaces, nous avons besoin d’une diversité d’acteurs, de ressources et d’outils qui ont le pouvoir de libérer notre imagination collective et de consolider les communautés dans des efforts communs.

C’est là que la culture et la créativité rentrent en jeu. Trop souvent, nous oublions leur grand potentiel, leur capacité à nous aider, depuis toujours, à appréhender les réalités complexes que nous vivons. L’apport de la culture dans divers domaines de la société et d’autres secteurs n’est pas toujours correctement et structurellement reconnue. Et ce déficit de reconnaissance, à son tour, affecte la pérennité des secteurs culturels et créatifs, tel un serpent qui se mord la queue. Pourtant, ces secteurs mettent à notre disposition des outils pour concevoir des manières plus durables de vivre ensemble.

« Il faut repenser ensemble la position de la culture dans les agendas nationaux et internationaux pour consolider les secteurs fragiles, véritables viviers d’innovation »

La Conférence mondiale de l’UNESCO sur les politiques culturelles et le développement durable – Mondiacult 2022 – vient de s’achever et à rassembler, pour la première fois en 40 ans, les ministres de la culture du monde entier. Aujourd’hui, alors que nous faisons le point sur les politiques et les actions entreprises pour respecter l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable, – et espérons-le, combler les lacunes – un dialogue ouvert et horizontal entre la société civile et les décideurs politiques est nécessaire. Il faut repenser ensemble la position de la culture dans les agendas nationaux et internationaux pour consolider les secteurs fragiles, véritables viviers d’innovation.

Personne ne peut nier que la pandémie a révélé les façons dont la plupart des pays ne valorisent pas les artistes et les créatifs comme étant essentiels à la culture. Le triste sentiment que la culture elle-même n’est pas considérée comme essentielle à la prospérité sociale et économique est encore présent. Malheureusement, ce constat est encore d’actualité dans un trop grand nombre de pays. Or, compte tenu de la contribution vitale des artistes, des travailleurs du secteur culturel et des associations dans l’avancement de la thématique de la durabilité, il est essentiel d’intégrer leurs perspectives dans cet important débat. La société civile, en tant qu’acteur non étatique, joue un rôle dans l’approche multipartite requise pour une gouvernance participative de la culture. Il est essentiel de rapprocher les décideurs et la société civile les uns des autres en vue d’un dialogue productif, basé sur le désir commun de construire un monde meilleur pour tous. Ensemble, nous devons scruter les disparités et la manière dont elles s’inscrivent dans les politiques, les pratiques culturelles, les mentalités, les valeurs et les relations internationales. Or, des mondes semblent vouloir s’ancrer éternellement dans une opposition qu’il est grand temps de dépasser. D’ailleurs, du temps, nous n’en avons plus. Que cela soit du global au local, de la ville à la périphérie, il y a une sous-évaluation systématique des manières d’être et de faire de communautés qui se retrouvent marginalisés, car simplement minoritaires. Dans ce contexte multicrise, l’inaction n’est plus une option.

« Afin de construire un monde plus durable, il est urgent de repenser les récits dominants qui définissent l’accès aux ressources, à la prise de décision et à la visibilité dans le secteur culturel »

Afin de construire un monde plus durable, il est urgent de repenser les récits dominants qui définissent l’accès aux ressources, à la prise de décision et à la visibilité dans le secteur culturel. Ce processus doit placer les populations et les collectivités locales au cœur des politiques culturelles nationales. La marchandisation de la culture comme atout pour le développement du tourisme doit être remplacée par des politiques qui perçoivent la culture comme une ressource non seulement des mais aussi pour les communautés locales. Nous ne pouvons plus attendre pour repenser les manières dont les institutions créent, programment et organisent leur contenu. En agissant ainsi, nous aurons l’opportunité de changer les codes culturels et inclure les voix sous-représentées. La remise en question des définitions et des perceptions dominantes de la culture doit permettre la prise en compte des diverses valeurs artistiques et esthétiques telles que les pratiques des peuples autochtones, des communautés minoritaires, des personnes handicapées et autres groupes structurellement marginalisés. Il faut également soutenir et promouvoir les petites – émergentes ou traditionnelles – disciplines artistiques, pratiques culturelles, et sous-secteurs, y compris dans les zones rurales et reculées. Ces actions ne sont pas à opposer à celles de la culture populaire et des institutions basées dans les grandes villes. Mais il s’agit bien ici de complémentarité, et cet équilibre doit se refléter dans les systèmes éducatifs, les systèmes de financement et les stratégies de programmation.

« La culture, tel un géant endormi, peut être réveillée pour répondre aux préoccupations sociales et économiques les plus pressantes »

La culture, tel un géant endormi, peut être réveillée pour répondre aux préoccupations sociales et économiques les plus pressantes. Sa force va bien au-delà de la fabrication œuvres d’art puissantes alertant sur les dangers qui nous guettent, ou encore de la création d’emploi et les points de croissance qui l’accompagnent. Il y a de fait tout un éventail de possibilités à considérer sans attendre. Le potentiel est sans limites si on se donne la peine, ne serait-ce que de le considérer. Un nouveau paradigme est alors nécessaire et doit s’inspirer d’une réflexion durable à chaque niveau. C’est à cette condition qu’une continuité des pratiques et des politiques conçues pour le bien de tous sera assurée.

Crédit-photo : Cyber Baat DAO

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