Déjà peu enclines à prêter au secteur privé, les banques africaines ont encore renforcé leurs financements aux États du continent au cours des dernières années. Une approche qui n’est pas dénuée de risques…
Par Alain Francis Nkontchou – Cofondateur du fonds d’investissement Enko Capital et président du conseil d’administration d’Ecobank
La crise de la Covid-19 a naturellement incité les États africains à initier une politique d’expansion fiscale qui s’est traduite, entre autres, par un accroissement de leur endettement. Celui-ci a été essentiellement financé par des émissions obligataires, en majorité souscrites par les banques locales qui, ce faisant, ont augmenté sensiblement leur exposition bilancielle sur les États, et ce, parfois, au détriment du secteur privé. À leur décharge, leur prudence vis-à-vis de ce secteur était compréhensible, dans un contexte de crise économique sévère et globale.
La remontée des taux d’intérêt
Au demeurant, la dette privée représente en moyenne 38 % du PIB en Afrique subsaharienne contre 96 % en Europe et en Asie centrale. Il s’agit là d’une problématique constante pour les économies africaines, qui révèle un faible appétit au risque de la part des banques. Par ailleurs, le poids des titres publics dans leur bilan n’a cessé de croître, leur conférant un confort de risque de par la souveraineté des titres, mais aussi des rendements historiquement faibles à cause de la conjoncture. Cependant, au sortir de la crise sanitaire, l’expansion monétaire et fiscale, ainsi que le choc sur l’offre (guerre en Ukraine) génèrent une poussée inflationniste globale et une remontée violente des taux d’intérêt. Dans certains pays, des taux élevés (20 % et plus) des titres souverains (actifs sans risque) entraînent systématiquement un coût du crédit élevé pour les entreprises. Au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), les prêts à la clientèle, en constante progression, représentent 60 % du bilan des banques. La croissance des titres de placement est toutefois plus importante à mesure que les gouvernements sollicitent de plus en plus le marché bancaire régional. Au 31 décembre 2021, ils représentaient 27 % du total bilan des établissements de crédit, soit près de 12 500 milliards de FCFA ou 19 milliards d’euros. Sur la période 2017-2021, le volume des titres de placement dans ce bilan a progressé de 85 %. De plus, les pertes potentielles issues du rééchelonnement de la dette souveraine pourraient entraîner une sous-capitalisation du secteur bancaire, remettant ainsi en cause le principe primaire d’une dette souveraine, à savoir le non-défaut de l’État émetteur.
L’exemple récent du Ghana
Cette « surexposition » à la dette publique peut constituer un véritable défi pour la stabilité du secteur bancaire, comme le montre l’exemple du Ghana. Un accès limité au marché international (abaissement de la note par les agences de notation, faiblesses structurelles de l’économie) et un niveau devenu insoutenable de la dette ont conduit son gouvernement à proposer un plan de restructuration de la dette interne dans le but de sécuriser un programme de sauvetage du Fonds monétaire international (FMI). Cet exemple pourrait concerner tout autre État qui accumulerait un important stock de dette, à des taux d’intérêt élevés. Pour les banques, une gestion active et prudente du risque souverain s’impose, notamment dans un contexte inflationniste donnant lieu à une remontée des taux d’intérêt. Il est bon de rappeler que ces établissements, de par la nature de leur activité, doivent constamment développer des métriques internes de gestion de risque de marché et de crédit, gages d’une gestion saine de leur bilan.