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Trump Tower à Moscou : Sur la piste d’un projet avorté

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L’affaire visée par les investigations du procureur Robert Mueller n’a rien d’une intrigue bien ficelée. Au contraire. Une enquête inédite a mis au jour une série ahurissante de manœuvres risquées, articulées autour de la personne du président Vladimir Poutine, et avec pour toute perspective des retombées financières incertaines. 

Hors des murs de la Trump Organization, nul ne connaît mieux que Felix Sater les liaisons de Donald Trump avec la Russie. En 2006, dans le cadre d’un projet de construction à Moscou, il joua les éclaireurs aux côtés de Donald Junior et d’Ivanka Trump, les enfants du président. En 2007, il apparut aux côtés de M. Trump à l’inauguration de l’hôtel Trump SoHo, dont il était l’un des promoteurs et qui ciblait, entre autres, une clientèle d’acheteurs russes. Pendant la campagne présidentielle de 2016, il contribua à esquisser l’ambitieux projet de tour moscovite.
«Trinquons au bon vieux temps», lance-t-il en levant son verre. Le bon vieux temps est bel et bien derrière lui. Le rapport de 448 pages publié par le procureur spécial Robert Mueller met en avant trois offres distinctes pour la construction d’un édifice sous la marque Trump à Moscou, toutes trois soumises autour de la période de l’élection présidentielle. Certaines zones d’ombres autour d’éléments clés restaient cependant à éclaircir. Après avoir interrogé les personnes impliquées dans ces trois offres, Forbes a pu apporter des réponses précises et faire la lumière sur les ambitions russes de Donald Trump.
Première question : qui aurait joué le rôle de bailleur de fonds? M. Trump, passé de promoteur immobilier à simple exploitant de marque, n’avait probablement pas l’intention d’investir grand-chose de ses propres deniers. Et aux dires de M. Sater, dont la proposition était la seule encore en lice juste avant la fin de la campagne, ce n’était pas non plus l’intention d’Andreï Rozov, l’associé officiel de M. Trump. Toujours selon M. Sater, il avait préféré élaborer une stratégie pour recueillir d’importantes sommes auprès d’autres gros investisseurs, dont Boris et Arkadi Rotenberg, deux des plus proches amis de Vladimir Poutine. «On leur aurait demandé quatre ou cinq cents millions de dollars, comptant.»
Autre grande question en suspens : combien M. Trump aurait-il touché dans cette affaire? M. Mueller et Michael Cohen, ex-avocat de M. Trump, évoquent des «centaines de millions». Après analyse de plusieurs accords commerciaux et entretiens avec des spécialistes de l’immobilier moscovite, les équipes de Forbes ont conclu que ce montant n’est guère réaliste. Sauf imprévu, M. Trump aurait probablement empoché une avance d’environ 35 millions de dollars et une commission annuelle de l’ordre de 2,6 millions de dollars. Dans le meilleur des cas, reprend M. Sater, Donald Trump aurait pu toucher autour de 50 millions de dollars. Une somme considérable pour le commun des mortels, mais une paille pour le président, dont la fortune est estimée à 3,1 milliards de dollars.

TROIS OPÉRATIONS EN RUSSIE

Ensemble, ces révélations permettent de voir sous un nouveau jour les ambitions de M. Trump en Russie, ainsi que sa stratégie commerciale. Son projet s’avérait en réalité bien plus risqué – et bien moins lucratif – qu’on le pensait. Pour résumer, le candidat Trump a joué à la roulette russe et mis en péril le siège de président pour une opération sans grand intérêt, et qui aurait en outre impliqué le président Poutine.
Si la saga de la Trump Tower à Moscou laisse certains perplexes, c’est entre autres parce que le nom du président a été associé à pas moins de trois opérations immobilières russes ces dernières années. La première à l’occasion de la fameuse édition 2013 du concours Miss Univers, lors de laquelle 86 femmes défilèrent dans un auditorium de Moscou. M. Trump, copropriétaire du concours, reçut environ 3 millions de dollars des organisateurs : le milliardaire et magnat de l’immobilier Aras Agalarov et son fils Emin, chanteur de variétés. «J’ai passé un excellent week-end avec toi et ta famille, avait ensuite publié M. Trump dans un tweet. Vous avez fait un travail FANTASTIQUE. Prochaine étape : TRUMP TOWER MOSCOU.»
Le rapport Mueller indique qu’un mois plus tard, en décembre 2013, la Trump Organization signait un accord pour apposer le célèbre patronyme sur un bien immobilier détenu par les Agalarov dans la capitale russe. Le projet? La vente de 800 appartements, non loin de la salle de concert où s’était déroulé le concours Miss Univers, et dont 3,5% des recettes seraient reversées à M. Trump. En cas de vente de l’intégralité des appartements, M. Trump aurait touché, selon Emin Agalarov, 17 millions de dollars.
Ivanka, la fille de M. Trump, se rendit sur le site en février 2014. Mais le même mois, le paysage géopolitique bascula. Les foules investirent les rues de Kiev, levées contre le président de l’Ukraine, Viktor Ianoukovitch, grand ami de la Russie, qui finira par fuir son pays, aidé, selon certains, par M. Poutine. Quelques semaines plus tard, ce dernier dépêcha des troupes en Crimée, et annexa cette région ukrainienne limitrophe de la Russie. La mainmise sur ce territoire souleva l’indignation au sein de la communauté internationale, et les États-Unis ripostèrent avec des sanctions économiques.
Conjuguées à la baisse des prix du pétrole, ces mesures paralysèrent l’économie de la Russie – y compris le marché immobilier à Moscou. Le prix moyen des appartements neufs s’effondra d’environ 30% en 2014. Les appartements en copropriété se vendaient à un prix inférieur au coût de construction. À supposer que les Agalarov fussent parvenus à sortir quoi que ce soit de terre au milieu de toute cette tourmente, ce qui semble peu probable, Emin Agalarov confie à Forbes que la part de Donald Trump aurait été réduite de moitié. Selon le rapport Mueller, les échanges entre les Trump et les Agalarov s’espacèrent peu à peu dès l’automne 2014. Donald Trump Jr déclara par la suite devant la commission judiciaire du Sénat américain que le projet avait avorté en raison d’une «lassitude liée aux négociations». Il est plus probable que le projet ait capoté à la suite des sanctions imposées par les États-Unis.

DIALOGUE SECRET

Fin 2015, Donald Trump, désormais prétendant à la Maison-Blanche, s’entretint avec Bill O’Reilly, exprésentateur de la chaîne télévisée Fox News, qui lui demanda d’expliquer son attitude conciliante envers la Russie. «[Poutine] n’est pas homme à négocier, argumenta l’animateur. Il est plutôt du genre à pratiquer la politique de la terre brûlée et à abattre les avions.» Réponse du candidat Donald Trump : «Il fait juste ce qu’il a à faire.»
À peu près à la même époque, la Trump Organization, qui n’a pas souhaité donner suite à nos questions, entama dans le plus grand secret un dialogue au sujet d’une deuxième opération immobilière en Russie. En septembre 2015, près d’un an après l’échec du partenariat avec Agalarov, et alors que Donald Trump…

Pour lire l’intégralité de cet article, rendez-vous pages 68-75 du numéro 59 Juillet-Août 2019

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