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Ressources Naturelles : Les Mines de l’Avenir

Connu pour ses vastes forêts équatoriales, le Gabon dispose également d’un colossal potentiel minier. Du manganèse, dont il est le premier producteur mondial, au fer prometteur de Belinga en passant par l’or et le zinc et désormais la potasse, le pays s’affirme peu à peu comme un acteur incontournable sur la carte minière mondiale. Gros plan sur ces ressources naturelles stratégiques. Analyse Sectorielle

Par Patrick Ndungidi


Le Gabon veut désormais dépasser son image de simple « poumon vert » de la planète. Tout en préservant ses forêts, le pays ambitionne de devenir une puissance minière capable de transformer ses ressources sur place et de générer davantage de valeur ajoutée. Mais cette stratégie industrielle se heurte à une équation délicate : concilier développement économique, attentes sociales et impératifs écologiques. Un défi que le pays relève déjà sur le terrain à Moanda, capitale du manganèse.

Dans cette ville, nichée dans la province du Haut-Ogooué, les montagnes de manganèse témoignent du rôle central de ce minerai dans l’histoire récente du Gabon. En 2024, le pays en a exporté plus de 7 millions de tonnes, soit 23 % du commerce mondial. Un record qui confirme son statut de premier producteur mondial. La qualité du minerai (plus de 40 % de Mn), en fait une denrée stratégique. Ce manganèse se distingue par sa polyvalence : il sert à la fois dans la sidérurgie et dans la fabrication de batteries, secteur en plein essor avec la transition énergétique.

« En 2024, le pays a exporté plus de 7 millions de tonnes de manganèse, soit 23 % du commerce mondial »

Mais le manganèse n’est que la partie visible d’un ensemble bien plus vaste. Au-delà de cette ressource phare, le pays attire l’attention pour l’ensemble de son potentiel minier encore sous-exploité. « Le Gabon est surtout connu comme producteur de pétrole, mais il possède un énorme potentiel minier. Le pays fait partie des cinq plus grands producteurs mondiaux de manganèse, selon S&P Global. Le sous-sol est riche, mais ce potentiel n’a pas encore été pleinement exploité. C’est une grande opportunité pour les investisseurs, d’autant plus que le Gabon est un pays stable », analyse Nina Chihambakwe-McKenzie, directrice générale Afrique de l’Ouest & Afrique Centrale de Capital Limited, multinationale qui fournit une gamme complète de solutions de forage minier dans différents pays.

Fort de ce succès dans le manganèse et dans un contexte où le pays cherche à diversifier son économie et à s’inscrire dans la transition énergétique mondiale, le Gabon mise aussi aujourd’hui sur un nouvel atout minier : la potasse.

Mine de manganèse

Le Pari de la Potasse de Banio

Situé dans la province de la Nyanga, au sud du pays, et porté par l’entreprise minière américaine Millennial Potash, le projet de potasse de Banio symbolise parfaitement la volonté gabonaise d’élargir son portefeuille minier au-delà du manganèse et du fer. Les chiffres donnent la mesure de son potentiel : 656,6 millions de tonnes de ressources indiquées à 15,9 % de KCl1 et 1,15 milliard de tonnes présumées à 16 %, avec une épaisseur moyenne du gisement de 70 mètres. Le potentiel est colossal.

« Le projet de potasse de Banio symbolise parfaitement la volonté gabonaise d’élargir son portefeuille minier au-delà du manganèse et du fer »

Une étude économique préliminaire publiée en 2024 a évalué la valeur du projet à 1,07 milliard de dollars, avec un taux de rentabilité interne de 32,6 %. Dans un monde à la recherche de sa sécurité alimentaire, la potasse gabonaise pourrait devenir un ingrédient stratégique des engrais et positionner le Gabon comme un acteur clé du marché de la potasse. Mais pour l’instant, le projet n’en est qu’aux prémices…


La Fièvre de l’Or

Une autre fièvre gagne le pays : celle de l’or. Longtemps dominée par l’orpaillage artisanal, la filière se structure autour du Comptoir gabonais de collecte de l’or, opéré par l’entité publique Société Équatoriale des Mines. Et elle attire de nouveaux investisseurs. Le marocain Managem mise sur le district d’Etéké, riche de 452 000 onces de réserves probables, tandis qu’Alpha Centauri Mining a déjà installé une raffinerie à Nkok. Plus au nord, Apollo Minerals explore le site aurifère de Salanie, où des veines de quartz affichent des teneurs spectaculaires allant jusqu’à 430 g/t, réveillant une région qui n’avait pas vu d’exploration depuis plus de 70 ans. Et l’or non plus n’est pas seul à faire briller les ambitions minières du Gabon. Le pays se focalise également sur une autre ressource stratégique : le fer.


Belinga, Un Gisement de Fer Stratégique

Situé dans l’Ogooué-Ivindo, le gisement de Belinga est l’un des plus importants du Gabon. Découvert dans les années 1950, il fait aujourd’hui l’objet d’un vaste projet mené par l’australien Fortescue Metals Group, en partenariat avec l’État gabonais et d’autres investisseurs internationaux.

Les chiffres donnent le vertige : plus d’un milliard de tonnes de minerai estimées. Au-delà d’un simple site minier, Belinga se positionne comme un chantier de transformation nationale. Car exploiter un tel gisement ne se limite pas à extraire ; il faut bâtir des rails, des routes, des infrastructures énergétiques, capables de remodeler durablement le visage du pays, rééquilibrer l’économie gabonaise et redessiner sa carte industrielle. « Le pays dispose d’importants gisements de fer, mais leur mise en valeur reste freinée par le manque d’infrastructures. Les gisements se trouvent dans des zones montagneuses recouvertes de forêts denses. Pour réaliser ce potentiel, il faut construire un chemin de fer, un port en eau profonde… c’est un énorme défi. Le gouvernement a lancé des projets, levé plusieurs milliards de dollars de financements, mais ce sont des chantiers de long terme », confie Nina Chihambakwe-McKenzie.


Zinc et Plomb

Cette dynamique se poursuit dans d’autres projets comme celui de Kroussou, porté par Apollo Minerals, qui vise le développement d’un important gisement de zinc et de plomb à faible profondeur. Les premières cibles d’exploration concernent déjà un potentiel compris entre 140 et 300 millions de tonnes, avec une teneur estimée entre 2,0 % et 3,4 % en zinc et plomb combinés. Les efforts initiaux se concentrent sur la définition de zones à haute teneur, exploitables à ciel ouvert, afin de préparer les futures études de faisabilité.

Des entreprises et projets multiples, des métaux diversifiés… Le Gabon entre dans une nouvelle phase, celle d’une ruée minière modernisée où chaque acteur tente de se tailler une part d’un sous-sol aux promesses immenses. « Aujourd’hui, le gouvernement cherche à attirer davantage d’investisseurs. L’avantage, c’est qu’il y a peu de concurrence et beaucoup de potentiel. De grandes découvertes peuvent encore être faites », souligne Nina Chihambakwe-McKenzie.

« Le Gabon entre dans une nouvelle phase, celle d’une ruée minière modernisée où chaque acteur tente de se tailler une part d’un sous-sol aux promesses immenses »

Bangombe

La Transformation Synonyme de Création de Valeur

Mais, à l’horizon, se profile un défi de taille. Le gouvernement gabonais a fixé un ultimatum : à partir de 2029, l’exportation de manganèse brut sera interdite. Les compagnies devront transformer sur place, inscrivant le Gabon dans la stratégie africaine des « minéraux verts ». Un chantier d’ampleur, qui pose des enjeux logistiques, énergétiques et commerciaux majeurs.

« Le gouvernement gabonais a fixé un ultimatum : à partir de 2029, l’exportation de manganèse brut sera interdite »

Mais ce virage industriel pose aussi la question de l’impact social et environnemental. Industrialiser sans fragiliser les équilibres sociaux et écologiques est une équation complexe. Si l’exploitation minière offre des opportunités économiques, elle entraîne aussi des défis humains et environnementaux. Le Code minier de 2019 oblige les compagnies à contribuer à un fonds pour les communautés locales, tout en respectant des règles strictes de protection environnementale. Un impératif dans un pays dont 88 % du territoire est couvert de forêts, faisant du Gabon un acteur majeur de la lutte contre le changement climatique.

Avec ce Code minier, l’État a aussi balisé le terrain : transparence, traçabilité, participation obligatoire au capital et fonds dédiés aux communautés locales. Un arsenal pensé pour rassurer les investisseurs tout en rappelant que la ressource appartient d’abord au pays. « Bien sûr, il existe des défis, comme partout en Afrique : la logistique, le climat équatorial, les saisons des pluies qui compliquent les opérations. Mais je crois au potentiel du pays et, avec les réformes du code minier mises en place par le gouvernement pour encourager les capitaux étrangers dans le secteur, nous observons aujourd’hui une implication croissante d’entreprises internationales, ainsi qu’une amélioration de l’image du Gabon comme destination minière offrant des opportunités significatives », conclut Nina Chihambakwe-McKenzie.

Dans un pays longtemps identifié au pétrole, le Gabon s’affirme donc désormais comme une terre d’opportunités minières et s’engage sur la voie d’un développement minier responsable et inclusif.


1. Le Chlorure de potasse 60 ou KCl est l’engrais potassique de référence pour la fertilisation.


Comilog-Eramet, acteur majeur de l’économie nationale


Fondée en 1953, la Compagnie Minière de l’Ogooué (Comilog), filiale du groupe français Eramet, est le premier producteur mondial de manganèse. Implantée à Moanda, au sud-est du Gabon, elle exploite 25 % des réserves mondiales connues.

Comilog représente 6 % du PIB gabonais et 9 % des exportations minières. Son modèle industriel repose sur deux piliers : le Complexe Industriel de Moanda (CIM), capable de valoriser 700 000 tonnes de minerai par an, et le Complexe Métallurgique de Moanda (CMM) – en activité depuis 2015 – qui transforme le manganèse en produits à haute valeur ajoutée comme le silico-manganèse et l’oxyde de manganèse (MnO). En mai 2024, le record de production de 929 tonnes de MnO a été atteint.

L’entreprise emploie plus de 3 000 collaborateurs directs et a créé 10 000 indirects. Près de 70 % des postes techniques sont occupés par des Gabonais, issus notamment de l’École des mines et de la métallurgie de Moanda-Gabon (E3MG), ouverte en 2017. Elle investit par ailleurs dans l’économie et les infrastructures locales (soit 800 millions de dollars en 2024).



Le Mastodonte de Moanda

À Moanda, toutes les activités semblent graviter autour de ce mastodonte contrôlé par le groupe français Eramet (63,7 %), avec une participation significative de l’État gabonais (28,9 %). L’entreprise exploite l’un des plus grands gisements de manganèse au monde.

En 2024, Comilog a produit 6,8 millions de tonnes de manganèse, en baisse de 8 % par rapport à 2023. Son principal client est China Baowu Steel Group, anciennement Baosteel, le plus grand fabricant d'acier au monde, et ses principaux marchés se trouvent en Chine et en Inde. Son chiffre d’affaires s’est élevé à 718,1 milliards de francs CFA (environ 1 milliard d’euros), pour un résultat net de 38,7 milliards de francs CFA (59 millions d’euros). L’entreprise contribue fortement à l’économie nationale : 494 milliards de francs CFA (752 milions d’euros) injectés en 2024, dont 138 milliards en taxes et dividendes (210 millions d’euros), 251 milliards en achats locaux (382 millions d’euros), 6 milliards en actions communautaires et mécénat (9 millions d’euros), ainsi que 99 milliards de francs CFA en masse salariale (150 millions d’euros).

Le 2 octobre 2020, Eramet Comilog et l’État gabonais ont signé un addendum à la convention minière qui les unit, scellant la création d’un fonds RSE pour impulser des projets de développement au bénéfice des communautés locales installées autour des sites miniers de Comilog. Doté d’une enveloppe moyenne de 6 milliards de francs CFA par an (9 millions d’euros), ce fonds a permis la réhabilitation d’écoles, de structures sanitaires et d’infrastructures de base, mais aussi le financement de plus de 300 projets entrepreneuriaux répartis sur 33 secteurs d’activité dans les cinq provinces traversées par le chemin de fer.


Une Concurrence Qui S'Accroît

Le groupe mise aussi sur l’excellence environnementale : 15 bassins de rétention assurent la décantation des eaux de ruissellement, régulièrement contrôlées pour prévenir toute pollution. Par ailleurs, le mix énergétique des usines de Comilog est aujourd’hui décarboné à plus de 80 %, faisant des produits métallurgiques de l’entreprise ceux qui affichent la plus faible empreinte carbone du marché mondial du manganèse. Une performance certifiée par l’obtention des normes ISO 14001 (environnement), ISO 9001 (qualité) et ISO 50001 (énergie).

Pourtant, Comilog n’évolue plus en terrain conquis. Face à elle, des challengers émergent : Nouvelle Gabon Mining (NGM), implantée depuis 2013 à Franceville et Okondja, affiche déjà une capacité de 2 millions de tonnes par an et prépare à Mounana une unité de ferro-alliages destinée à renforcer sa compétitivité. Codétenue par l’État et des partenaires internationaux, NGM exporte depuis le port d’Owendo vers des marchés diversifiés. À ses côtés, l’entreprise chinoise Compagnie industrielle et commerciale des mines de Huazhou (CICMHZ), Africa Mining Development (AMD), et le géant australien GEMCO complètent un paysage de plus en plus disputé.



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